En Irak, le piège se referme (I): l'américanisation de la guerre

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En Irak, le piège se referme (I): l'américanisation de la guerre


3 décembre 2004 — La décision, annoncée le 1er décembre, que les forces en Irak vont être augmentées (de 138.000 hommes à 150.000) représente une réelle défaite politique pour les Américains. (L’administration GW est incapable de la moindre prévision, comme elle l’a montré à plusieurs reprises. Elle avait néanmoins un “plan implicite” en Irak, jamais détaillé ni annoncé officiellement comme une politique officielle mais simplement présenté au travers diverses déclarations parcellaires et fuites officieuses. Ce “plan implicite” revient à l’idée qu’il fallait transférer le plus vite possible aux Irakiens les opérations militaires, en même temps que le pouvoir politique.)

[A noter qu’il s’agit en bonne partie d’une “fausse” décision d’augmentation du volume des forces. L’essentiel de l’“augmentation” sera obtenu en accentuant la méthode de la prolongation de déploiement des forces en Irak. Les difficultés inhérentes au système seront accentuées (fatigue, tension, etc).]

Cette décision d’accroissement des forces signifie un engagement américain renforcé mais aussi une intensification de la guerre, c’est-à-dire une “américanisation” de la guerre. On peut alors avancer cette prévision : l’Irak devient de plus en plus le Vietnam, revu en version postmoderne par les conditions générales ; c’est-à-dire un Vietnam politiquement bien plus grave, qui se terminera dans des conditions bien pires, qui secoueront le régime washingtonien jusque dans ses tréfonds.

Thomas E. Ricks, dans le Washington Post du 2 décembre présente et explique cette décision selon, effectivement, l’idée d’américanisation de la guerre.


« The increase in troop strength, which had been hinted at by senior U.S. military officials for weeks, is driven primarily by the need to tamp down the Iraqi insurgency as the elections set for the end of January draw near. “The purpose is mainly to provide security for the elections, but it's also to keep up the pressure on the insurgency,” Army Brig. Gen. David Rodriguez, deputy director of operations for the Joint Chiefs of Staff, said at a Pentagon briefing.

» Other military experts, however, said the escalation reflects the more intense nature of the war after the U.S.-led assault on the rebellious Sunni city of Fallujah, west of Baghdad.

» “The ferocity with which the war is being waged by both sides is escalating,” said Jeffrey White, a former Defense Intelligence Agency analyst who is now at the Washington Institute for Near East Policy. “It is not just that the number of incidents are increasing. The war looks to be changing in character.”

» Retired Army Col. Ralph Hallenbeck, who worked in Iraq with the U.S. occupation authority last year, said he is worried that the move represents a setback for the basic U.S. strategy of placing a greater burden on Iraqi security forces to control the country and deal with the insurgency. “I fear that it signals a re-Americanization . . . of our strategy in Iraq,” he said.

» Adding troops at this point is the opposite of what senior Pentagon officials expected when the war began in March 2003.

» Before the invasion, Deputy Defense Secretary Paul D. Wolfowitz dismissed an estimate by Gen. Eric K. Shinseki, the Army chief of staff, that several hundred thousand troops would be needed to occupy Iraq after the fall of Saddam Hussein's government. ''I am reasonably certain that they will greet us as liberators,” Wolfowitz told a congressional committee, “and that will help us to keep requirements down.”

» The original war plan, which was based on that assumption, called for a series of quick reductions in troop levels in 2003, to perhaps 50,000 by the end of that year. A revision of that plan, devised 12 months ago, called for steady reductions this year.

» Instead, occupation forces hit their lowest level last winter, bottoming out at about 110,000 in February. Then, in late March, the insurgency intensified and broadened, with heavy fighting in Shiite areas of south-central Iraq for the first time.

» Since then, U.S. troop numbers have risen in response to the unexpected strength and growing sophistication of the enemy. “Plan A — what the U.S. actually did — failed, and Plan B -- the adaptations since the end of 'major combat' — hasn't worked either, so far,” said retired Army Col. Raoul Alcala, who has served as an adviser to the Iraqi Ministry of Defense, referring to President Bush's May 1, 2003, announcement that major combat operations had ended in Iraq.  »


La décision d’américanisation de la guerre, au moment où cette guerre apparaît beaucoup moins dans les informations, signifie l’abandon de toutes les possibilités de retrait et de transfert de la responsabilité de la guerre aux Irakiens. Les élections vont évidemment donner une forte représentation, sinon le gouvernement, aux chiites, et les rapports des nouvelles autorités irakiennes avec le conflit (et les Américains) vont devenir très complexes, avec des possibilités d’affrontement, d’extension, de guerre civile, etc.

Les Américains vont se trouver au coeur de cette mêlée irakienne, identifiés comme la cause et la cible principales. Leur situation politique risque d’être pire que celle qu’ils connurent au Vietnam, puisque même l’autorité civile qu’ils ont suscitée pourrait se retourner contre eux (ce qui ne fut pas le cas avec le gouvernement sud-vietnamien). L’embourbement sera complet et l’on peut envisager des cas où un désengagement d’urgence, dans une situation devenue trop grave pour les forces américaines, pourrait devenir difficile, voire impossible.

Dernier élément : la notion de durée. L’idée est que l’engagement US pourrait devenir considérablement plus long qu’on ne prévoyait, jusqu’à 10 ans au moins. « “This announcement makes it clear that commanders in Iraq need more troops and that this will be a long and very expensive process for the United States,” said Sen. Jack Reed (D-R.I.), a member of the Armed Services Committee who recently returned from a visit to Iraq. Reed, who served in the Army with the 82nd Airborne, also said in an interview that it is becoming increasingly clear that Iraqi forces will not be capable of taking over from U.S. forces for five to 10 years. »

Notre appréciation est que cette indication de durée est défendable en théorie mais pas du tout en pratique, et que les forces américaines connaîtront la défaite, sous une forme ou une autre, bien avant ces dix années. Comme le montrent les 20 derniers mois, les choses, en Irak, s’aggravent beaucoup plus vite qu’au Vietnam.

La réponse à la question implicite de William S. Lind est apportée. Et la conclusion de ce même Lind, en cas de réponse négative, (il donne une autre prospective d’aggravation de la situation en Irak, avec l’idée d’une intervention de l’Iran) est évidemment complètement justifiée : la défaite américaine est maintenant assurée.


« Between now and January, the Bush administration will have to decide whether or not to take the last dignified exit from Iraq. That is to announce before the Iraqi elections that we will be leaving soon after them. If Bush and his neo-con handlers miss this opportunity, our only choice will be to remain in Iraq until we are driven out in a humiliating defeat. Like the kid who knows he has to eat his spinach, we will be better off pretending to choose the inevitable.

» What is the chance this will happen? Behind the scenes, a growing number of conservative leaders are working to make it happen. But events are moving the other way… »