En quoi le président Hollande a manqué à ses devoirs

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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En quoi le président Hollande a manqué à ses devoirs

21 avril 2017 – Les événements qui sont annoncés représentent une très grande défaite pour la démocratie et, pour mon compte, une immense déception par rapport à ce que j’attendais de cet indiscutable homme de non-État qu’est le président Hollande. S’il avait été un véritable homme de devoir, un irréfragable homo democraticus, c’est-à-dire effectivement homme de non-État dans ce cas, il aurait, en supprimant cette élection présidentielle (et la suite), décrété non pas l’état d’urgence mais l’état de dispense qui eût été une forme subtilement cachée mais destinée à devenir éclatante au-delà des siècles de la proclamation de l’immobilité éternelle.

Cela n’aurait nullement été un “coup d’État” mais bien une proclamation démocratique, d’une sorte de fixation dite “en l’état”, autrement dit un “coup de non-État”. Il aurait ainsi signifié que la situation que nous connaissons qui est perçue comme celle du déséquilibre catastrophique est en réalité celle de l’équilibre-parfait-dans-le-déséquilibre-catastrophique constituant l’achèvement décisif et figé dans l’éternité du projet postmoderne. Au lieu de quoi, nous avons cet événement stupide en soi, d’une stupidité marquée par la confusion, le désarroi et la fureur que nous observons, qui vient contrecarrer cette grandiose ambition. C’est ce que Hollande n’a pas accompli, il a manqué à ses devoirs... Effectivement et vertueusement homme “normal“ et “dernier homme” nietzschéen à la fois, il porte la lourde responsabilité de n’avoir pas distingué cette vertu qui était sienne, combien il avait lui-même porté l’état de médiocrité à un sommet tel qu’il n’y en a pas de plus haut, et qui méritait donc d’être démocratiquement protégé et conservé. La démocratie en eût été fortifié à jamais.

J’avais attendu, sinon espéré, que sa décision de ne pas se représenter était l’amorce de cette proclamation de “l’état de dispense”, avec la suppression de l’élection présidentielle qui aurait suivi après quelques semaines laissés aux “Insupportables” pour se gavrocher dans leurs simulacres de “primaires” et autres agitations. Ensuite, il aurait lui-même abandonné sa charge à l’heure prévue, et peut-être même ordonné la suppression du gouvernement, libérant du coup Jean-Marc Ayrault de ses devoirs pour lui permettre d’écrire ses mémoires sous le titre de “Comment j’ai fait oublier Vergennes”. J’éprouve devant tout ce gâchis des occasions perdues une profonde déception et une grande peine. Le “dernier homme” n’a pas osé assumer cette vertueuse fonction d’être effectivement le dernier en toutes choses, y compris les choses historiques qui devaient se clore après lui. L’Histoire lui en demandera raison.

Eh bien, passons outre... Puisqu’il en est ainsi, le champ est désormais ouvert à la subversion de ce qui aurait dû être le grand’œuvre démocratique ultime de ce président qui a manqué à ses devoirs. Pour mon compte et en cela reprenant une plume qui est celle de mon parti à moi, cette “subversion de la subversion” comme inversion vertueuse typique, je ne trouve pas meilleure expression que dans la citation ci-dessous qui place notre “dernier homme”-“dernier président” devant les conséquences de la trahison de son propre parti qui est de laisser voir notre vérité-de-situation. Le simulacre étant ainsi écarté, on y découvre sans surprise mais à un rythme d’expression superbe un “état des lieux” absolument catastrophique, en lieu et place du rassurant “les lieux en l’état” comme il est suggéré plus haut.

Il s’agit d’un passage du dernier livre, au propre et au figuré puisque publié après son décés, du métaphysicien Jean-François Mattei. Bien que je sois loin d’avoir lu toute la production de cet homme de haut esprit, j’ai déjà dit combien je ressentais chez lui cette façon superbe de réconcilier deux grands esprits, Platon et Nietzsche, contre ceux, notamment les déconstructeurs de la postmodernité qui furent les adversaires de Mattei, et particulièrement Gilles Deleuze qui avait annexe Nietzsche à son propre parti. Dans ce passage de L’homme dévasté (Grasset, 2015) intitulé L’annonce de l’insensé (P.38-41), le verbe de Mattei se marie presque jusqu’à la fusion au verbe de Nietzsche, essentiellement celui du Zarathoustra, pour discourir du “dernier homme” selon-Nietzsche et de “la mort de Dieu” ; ce qui nous conduit au constat que si “Dieu est mort” à cause de l’acte du “dernier homme”, c’est que Dieu existait quand l’homme était une créature de Dieu, – et s’il “existait”, c’est qu’il existe sans aucun doute parce que la parole du “dernier homme” (“Dieu est mort”) ressemble tant à un simulacre de parole, et en tous points à une imposture du logocrate.

Voici donc Mattéi, et qu’il repose en paix....

 

« La destruction ne concerne pas un homme sans qualités, mais un être qui porte en lui l’idée d’humanité. La disparition de l’humanisme en est la forme idéologique tardive. Le Requiem aeternam homine de la déconstruction moderne est à la vérité antérieure. L’orchestration la plus riche de cette messe pour une humanité défunte est celle de Nietzsche dans le prologue de Zarathoustra. Le prophète, pour qui l’homme est “quelque chose qui doit être surmonté”, vient parler à la foule de la venue du surhomme. Comme ses propos ne recueillent que des rires, il décide de décrire ce qu’il y a de plus méprisable, le “dernier homme”. Ce personnage se confond avec “le plus laid des hommes” qui garde encore figure humaine, mais qui n’a presque plus rien d’humain. Ce résidu d’homme, à la vérité une chose innommable, est accusé par le prophète d’être le meurtrier de Dieu.

» Qui est le dernier homme ? Un être incapable de maîtriser son chaos intérieur et d’enfanter une étoile.

» Impuissance de la création. Quand on l’interroge sur l’existence, il ignore le sens des mots amour, création, désir, étoile.

» Incompréhension du monde. Comme il ne supporte pas la lumière du soleil, il cligne d’un œil complice avec ses pareils.

» Appauvrissement du regard. Indifférent à la grandeur du monde, il amenuise toutes choses à la taille d’un puceron.

» Éloge de l’insignifiance. Il proclame enfin avec satisfaction qu’il a inventé le bonheur.

» Épuisement de l’idéal. Le dernier homme ne veut plus ni créer ni enfanter, ni restaurer un nouveau commencement. Et la foule de jubiler au portrait du dernier homme en reconnaissant sa propre image ! Elle trépigne, cligne des yeux, toussote et claque de la langue, écrit Nietzsche en multipliant les signes d’une vie incapable de s’inscrire dans un temps reposé.

» Le prologue de Zarathoustra consonne avec l’apologue du Gai Savoir qui a pour nom “L’insensé”. Le prophète et le dément ne sont pas entendus par la foule alors qu’ils proclament, l’un, la mort de l’homme, l’autre, la mort de Dieu. Nietzsche met en effet en scène un fou qui allume une lanterne en plein midi comme si le soleil subissait une éclipse. Et cet homme se rend sur le marché, non pour chercher le surhomme ou le dernier homme, mais Dieu. Et la foule de se moquer de l’homme qui a perdu Dieu comme on égare un enfant. L’insensé lance alors au peuple un cri de fureur : “Où est passé Dieu ? Je vais vous le dire. Nous l’avons tué, vous et moi !” Les hommes sont les assassins de Dieu et, par contrecoup, les assassins de l’homme, car la suppression de l’homme est l’envers de la disparition de Dieu.

» Privé de la clef de voute, le monde se désagrège dans une confusion épouvantable. L’insensé clame que les hommes ont effacé l’horizon et détaché la terre du soleil. Privée de sa lumière, notre planète s’abîme dans une chute qui la précipite de tous les côtés et l’enfonce au cœur de la nuit. Aussi doit-on allumer des lanternes à midi comme le dément l’a fait avant de prendre la parole. Et le glas de sonner son leitmotiv : “Dieu est mort ! Dieu demeure mort !” L’insensé comprend à ce moment qu’il est venu trop tôt et que les hommes n’ont pas pris conscience de l’événement formidable : la mort de Dieu tué par ses créatures. Ainsi l’insensé fera-t-il irruption dans les églises de la ville pour entonner son Requiem aeternam Deo.

» L’indifférence des derniers hommes à leur humanité est symbolisée par la disparition du soleil auquel la terre était enchaînée. Le déficit d’orientation est tel que l’homme ne se reconnaît plus comme un homme. Il y a dans le constat nietzschéen une occultation de l’astre, un désastre, manifestée par l’indifférence du dernier homme quand il entend les mots “désir“ et “étoile”. L’image de l’étoile, identifiée à Dieu dont l’homme a été arraché, élucide le rapprochement avec le “désir”. Le mot est issu de desiderarium, “absence d’étoiles”, c’est-à-dire d’augures favorables. Le dernier homme n’est pas seulement l’être qui a tué Dieu sans mesurer les conséquences de son acte. C’est l’être qui, privé d’étoile, n’est plus en mesure d’assumer son humanité. »

 

C’est cet arrangement nietzschéen de la catastrophe que le président Hollande avait pour mission énoncée par quelque “force obscure” de fixer dans la pseudo-éternité du “big Now”, caricature invertie de l’“éternel présent” du métaphysicien. L’élection présidentielle qu’il n’a pas su empêcher par le geste du souverain de l’inversion est l’un de ces événements qui, tel les termites, est déployé pour œuvrer à la dissolution souterraine de ce pseudo clinquant du “présent éternel”. L’enjeu est, au bout du tunnel des désordres du monde de la postmodernité qui ne cessent de s’accumuler, de faire sortir le monde de la caverne de Platon où il s’est enfermé avec délice pour lui faire retrouver le grand soleil nietzschéen du Midi.

Tout cela, dit le plus simplement du monde...