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177411 février 2003 — L’affaire dite du “veto” des trois pays (Allemagne, Belgique, France) à l’OTAN a eu un écho médiatique extraordinaire à partir du 10 février, elle se poursuit évidemment sur le fond de l’affrontement avec le débat à l’ONU et la politique des trois “rebelles” (Allemagne, Belgique, France). Bien entendu, l’explosion de critiques du 10 janvier ne correspond à aucune réalité, c’est d’abord le produit d’une mise en scène qui était destinée à faire céder ces trois pays, qui fait partie de la politique de violence des Anglo-Saxons ; la décision elle-même (à l’OTAN) n’était pas nouvelle puisque deux votes négatifs (les 22 janvier et 6 février) ont déjà eu lieu. Néanmoins, comme toujours dans le processus de ce temps virtualiste, les effets induits par les démarches artificielles du départ sont, eux, on ne peut plus réels.
Ici, nous nous attachons à la substance de certaine de ces réactions venues des USA. D’abord, une réaction personnelle venue des États-Unis, qui nous est relayée par une de nos source, et qui représente assez bien une réaction moyenne des Américains partisans de Bush et hostiles à l’Europe, devant l’attitude des Européens refusant les demandes américaines via-OTAN. (Il faut préciser que l’auteur de ce message est un avocat.)
« This is rubbish. The real problem is that nobody else has the courage to face a tyrant who has the ability to disseminate chemical and biological weapons to all corners of the world.
» The United Nations has become completely impotent. Perhaps a better suggestion would be for the United States (who carries most of the UN expenses) to pull out of the UN, close its military bases abroad, and let the rest of the world solve these problems.
» Quite honestly, I'm sick and tired of hearing France, Germany, and Belgium snivel like babies. It's time for backbone. It's time to take a stand for what is true and right and to show courage. Courage is something that Europe knows little about. Every time they get in trouble, they can't fight their own fights. They always turn to the red, white, and blue friend who shows up to save their sorry butts.
» As Abraham Lincoln once said, ''I'd rather be cheated out of good money, just to know who my friends are.'' And in this case, we're learning a great deal about that. »
Il y a un caractère émotif fondamental, presque exclusivement sentimental, dans les réactions américaines, également dans les arguments présentés de façon prétendument rationnelle. Le plus extrême à cet égard se trouve dans la campagne anti-France, d’une puissance et d’une animosité sans doute sans précédent. Un exemple désormais fameux de ce courant, c’est un texte du New York Post, quotidien très proche des néo-conservateurs, l’éditorial de Steve Dunleavy du 10 février 2003 (accès payant). Dunleavy est allé héroïquement en France, dans le cimetière de Colleville-Sur-Mer, consacré aux morts américains de Omaha Beach, ce qui a permis une photo immense, en placard, à la une du quotidien de ce 10 février. Le titre de l'article est également mémorable, c'est-à-dire héroïque: «How Dare the French Forget – Copwards should look these grave relinders.»
Ce texte, sans le moindre intérêt dans sa texture et dans son fondement, représente une concentration remarquable de plusieurs attitudes qui semblent se marier fort bien entre elles, comme si elles étaient destinées à ces épousailles, et pour cette cause encore, — chantage au sentiment, démagogie extrêmement basse, grossièreté du sentiment, incompétence historique, paresse intellectuelle, vanité latente partout pressante. C‘est un esprit vide et un coeur sec, derrière les torrents de larmes hollywoodiennes, qui s’expriment ici; cela appartient à un manipulateur des gros sentiments et des sentiments grossiers.
Steve Dunleavy n’a donc pas poursuivi jusqu’aux cimetières des 76.000 soldats français, morts de la Bataille de France, qui ont suffisamment épuisé l’armée allemande pour permettre au Royaume-Uni d’emporter la Bataille d’Angleterre, qui ont donné ainsi le temps aux États-Unis de se toiletter encore un peu pour se préparer à sauver le monde, en grand apparat, 28 mois après que Hitler ait lancé sa machine de guerre à la conquête du monde; il n’a donc pas poursuivi jusqu’aux fosses communes des centaines de milliers de morts de l’armée rouge de Stalingrad (peut-on parler d’eux aujourd’hui sans être soupçonné d’être communiste et accusé d’antiaméricanisme?), qui ont cassé la Wehrmacht et fait basculer la guerre vers la victoire; il n’a donc pas poursuivi jusqu’aux archives de ITT, de la Standard Oil, de Ford, de la Chase Manhattan et d’autres, dont Charles Higham a montré dans son Trading with the enemy qu’elles (toutes ces sociétés) n’avaient jamais jugé utile de cesser de commercer avec les nazis jusqu’à leur fournir des produits stratégiques, à l’heure même où G.I. Joe, John Doe et le Private Ryan se faisaient hacher sur Omaha Beach.
Pour ne pas nous consoler du tout, nous citons un autre texte d’une veine semblable, provenant des mêmes milieux néo-conservateurs que Dunleavy, puisque l’auteur en est Fred Barnes qui fait partie de la rédaction du Weekly Standard (texte du 13 février 2003). Il tend à confirmer combien la critique est proche de l’hostilité systématique, laquelle se repose très vite dans la haine pure et simple. Aucun désir de comprendre, aucune tentative d’explication; ce texte est carré comme un discours de GW, et il est bon que l’on sache qu’il en est publié, de semblables, tous les jours, et plutôt treize à la douzaine, dans la presse de cette tendance qui tient aujourd’hui le haut du pavé aux USA.
« How Many Frenchmen Does It Take, — Nobody likes an ingrate and a tide of anti-French sentiment is sweeping the American street. »
« DO THE FRENCH have the slightest idea about how obnoxious they seem to many Americans? I suspect not, but then the French aren't all that self-aware in the first place. And the American press, hung up on anti-Americanism around the globe, has done little to inform anyone of the rippling tide of anti-French feeling here.
» The simple fact is nobody likes an ingrate. It would be one thing if the French said they planned to sit out the war with Iraq. But it's quite another when the French actively try to undermine President Bush and prevent regime change in Iraq, as they're doing now. After all we've done for the French--saving their butts in World Wars I and II, taking over for them in Vietnam--this makes them ungrateful in the extreme--breathtakingly, unprecedentedly, and perhaps even unforgivably, ungrateful.
» There's more than just anecdotal evidence of anti-French sentiment. There are polls. Gallup found that France's favorability among Americans has dropped 20 points in the past year. It's still at 59 percent, but that survey was taken in December. Since then, the French have gone out of their way to alienate the entire American population (except the hard-core left). My guess is a poll today would show that France is viewed far less favorably than in December.
» But what about the anecdotal evidence? I give speeches and appear on TV and frequently criticize the French on Iraq, and I repeat every anti-French joke I've heard. I thought this might be politically incorrect. Au contraire. Americans of nearly all stripes appear to appreciate France-bashing. I haven't been chastised once, even after telling tough jokes zinging the French for their history of weakness, disloyalty, and fecklessness.
» The jokes have taken on a life of their own. Americans love them. For instance, Jay Leno says it's no surprise the French won't help us get Saddam Hussein out of Iraq. They didn't help us get Germany out of France, either. Still, it's essential for them to join us in the war against Iraq. They can teach the Iraqis how to surrender.
» And why are French streets tree-lined? So the Germans can march in the shade. How many Frenchmen does it take to defend Paris? No one knows. It's never been tried. What do you call 100,000 Frenchmen with their hands up? The army. How many gears does a French tank have? Five, four in reverse and one forward (in case of attack from behind). FOR SALE: French rifles . . . never fired, only dropped once.
« Dennis Miller specializes in anti-French humor. ''The only way the French are going in is if we tell them we found truffles in Iraq,'' Miller says. ''The French are always reticent to surrender to the wishes of their friends and always more than willing to surrender to the wishes of their enemies.''
« That last one is more than a joke. It's shrewd commentary. It captures why the French make such poor allies. When they pulled out of NATO 40 years ago and declared Americans must close down their bases in France, Secretary of State Dean Rusk had a bitterly caustic response. Should we dig up the graves of American soldiers in Normandy, too, and take them home? No French answer was recorded. »
Tout ce qui suit n’est pas de la plus brûlante actualité, — mais les gémissements et jérémiades sans fin, sur fond de musique hollywoodienne, sur les USA qui ont consenti à sauver le monde en 1941, conduisent à donner le goût de tenter de rappeler certains faits de la guerre. Cela, nous l’espérons, les consolera tous, derrière leurs torrents de larmes, et les soulagera de leur tristesse devant tant d’ingratitude ; qu’ils se rassurent donc, il y a moins d’ingratitude qu’on ne croit.
L’idée générale de nos historiens postmodernes est axée sur la conception absolument exclusive qu’en 1941-45, les USA ont sauvé la France, l’Europe et le monde, qu’ils ont battu l’Allemagne nazie. Cette thèse est sous-jacente à ce qui semble être considéré comme un apport historique des dernières années dans ce domaine, le scénario américain de Saving Private Ryan, de Spilberg. L’on voit effectivement le 6 juin 1944 avec pas un seul Anglais, pas un seul Canadien, et quelques indigènes, ou autochtones, ou Français, parqués dans leurs villages et pas vraiment exaltants, ni d’intelligence, ni de dignité.
Par ailleurs, voici quelques faits:
• Les USA sont entrés en guerre le 7 décembre (contre le Japon) et le 11 décembre 1941 (contre l’Allemagne), contraints et forcés, — par l’attaque de Pearl Harbor du 7 décembre et par la déclaration de guerre allemande du 11 décembre (voir notre présentation du livre New Dealer’s War). Nombre d’historiens (américains) s’accordent à penser que, si les choses s’étaient mises, c’est-à-dire si Hitler n’avait pas bougé le 11 décembre 1941, Roosevelt n’aurait fort probablement pas déclaré la guerre à l’Allemagne, certainement pas à cette époque.
• La participation effective des Américains aux opérations de guerre sur le théâtre européen (Europe, Méditerranée) n’a été massive qu’à partir du 6 juin 1944 (encore, à ce moment et jusqu’en mai 1945, l’effectif terrestre et aérien américain était l’équivalent de l’effort britannique sur ce front central européen). Jusqu’au 6 juin 1944, les Américains étaient subordonnés aux Britanniques pour les grands commandements de théâtre (le théâtre méditerranéen était au maréchal Alexander, et les commandements importants des Américains étaient régionaux [Eisenhower en Afrique du Nord, Clark en Italie]).
• L’aide matérielle US fut constamment importante, elle ne fut jamais décisive, ni pour le Royaume-Uni, ni pour l’URSS. Elle est un des éléments de la victoire parmi d’autres, elle ne peut en aucun cas être considérée comme un élément décisif. (Il y a beaucoup de considérations révisionnistes, venues des Américains eux-mêmes, sur l’ampleur de l’effort de guerre industriel US, — massif certes, mais en aucun cas miraculeux ni totalement écrasant par rapport aux autres nations en guerre, comme on l’a souvent décrit).
• ... Un exemple significatif est la production d’avions pour la guerre : 303.000 pour les USA, 158.000 pour l’URSS, 131.000 pour le Royaume-Uni, 119.000 pour l’Allemagne, 76.000 pour le Japon. Compte tenu que les USA étaient les seuls à mener deux guerres totales (Europe et Pacifique) et qu’ils développèrent à cause de leurs conditions géopolitiques (et de leurs ambitions hégémoniques?) une composante stratégique importante, absente par exemple en URSS (pourtant accusée de visées expansionnistes) et chez les Allemands, le chiffre américain est logique et d’abord dicté par les besoins américains, avec un supplément effectivement destiné à l’aide aux alliés. (Ces chiffres sont d’autant plus significatifs de la répartition de l’effort entre alliés qu’ils concernent un domaine, la puissance aérienne, sur lequel ces mêmes alliés, surtout les Anglo-Saxons, mirent constamment l’accent.) Les matériels aériens américains livrés à l’URSS et à UK ne dépassèrent jamais 10% des effectifs de première ligne de ces deux pays tout au long de la guerre. Là où l’aide US fut plus importante, c’est dans la vente et la livraison de matières premières (fer, acier, etc), qui permirent aux alliés de maintenir leur rythme de production.
• L’évaluation générale de la guerre est que la machine de guerre allemande a été brisée lors de trois chocs : El Alamein et Koursk en 1942, Stalingrad en 1943. Les Américains ne participèrent à aucune de ces batailles et n’en influencèrent aucune, ni par leur stratégie, ni par leur matériels. (Tout juste peut-on signaler l’emploi en nombre significatif de Curtiss P-40 KittyHawk et de Douglas Boston A-20, bien adaptés au désert, par les Britanniques dans la campagne d’El Alamein, — rien de décisif, sans aucun doute).
• Les considérations sur l’altruisme américain de venir “libérer” l’Europe sont émouvantes et peuvent avoir leur place ; à côté de cela, elles deviennent futiles dès lors que la géopolitique est sérieusement prise en compte, dès lors qu’on observe que l’Amérique était directement menacée : Pearl Harbor était l’étape vers la Californie, la guerre était mondiale et la sécurité nationale des USA, ainsi que leurs ambitions expansionnistes, étaient désormais concernées par les menaces japonaise et allemande. Cela n’empêchait pas les calculs précis : selon Mark Perry, dans son livre Four Stars (Houghton Miflin, Boston, 1989), l’U.S. Navy avait une stratégie dite de Pacific First et entendait intervenir le plus tard possible dans l’Atlantique pour que la Royal Navy subisse le plus de pertes possibles et soit l’obstacle le plus réduit possible à la volonté de domination navale de l’U.S. Navy dans l’après-guerre. Au contraire, l’U.S. Army, qui défendait ses exigences professionnelles, plaidait qu’une intervention terrestre importante et rapide en Europe permettrait aux USA de faire reculer de façon substantielle, à leur profit, l’influence britannique en Europe. (Voir les pages 2-5 du livre de Perry.)
• La fable de l’Amérique emportant quasiment seule la guerre et sauvant le monde et la liberté fut un montage virtualiste et médiatique auquel le Royaume-Uni prêta lui-même son concours, effaçant d’autant son propre rôle. La tactique de Churchill était de s’effacer derrière les USA pour s’accrocher à eux (special relationships) et profiter (tenter de profiter) de leur future puissance. Dès 1942, les Britanniques consentaient de façon contestable aux Américains des commandements importants pour leur permettre d’affirmer leur prééminence politique. De Gaulle avait parfaitement saisi cela. Ce passage des Mémoires de guerre est à relire; il décrit un déjeuner à Downing Street le 18 novembre 1942, dix jours après le débarquement en Afrique du Nord dont le Royaume-Uni avait laissé le commandement aux Américains. (Extrait des Mémoires de guerre, P.315-316, Tragédie, collection La Pléiade.)
«...Après le déjeuner à Downing Street, où toute la bonne grâce de Mme Churchill eut fort à faire pour animer la conversation parmi les dames inquiètes, et les hommes, lourdement soucieux, le Premier Ministre et moi reprîmes en tête à tête l'entretien: “Pour vous, me déclara Churchill, si la conjoncture est pénible, la position est magnifique. Giraud est, dés à présent, liquidé politiquement. Darlan sera, à échéance, impossible. Vous resterez le seul.” Et d’ajouter: “Ne vous heurtez pas de front avec les Américains. Patientez! Ils viendront à vous, car il n'y a pas d'alternative. — Peut-être, dis-je. Mais, en attendant, que de vaisselle aura été cassée! Quant à vous, je ne vous comprends pas. Vous faites la guerre depuis le premier jour. On peut même dire que vous êtes, personnellement, cette guerre. Votre armée avance en Libye. Il n'y aurait pas d'Américains en Afrique si, de votre côté, vous n'étiez pas en train de battre Rommel. A l'heure qu'il est, jamais encore un soldat de Roosevelt n'a rencontré un soldat d'Hitler, tandis que, depuis trois ans, vos hommes se battent sous toutes les latitudes. D'ailleurs, dans l'affaire africaine, c'est l'Europe qui est en cause et l'Angleterre appartient à l'Europe. Cependant, vous laissez l'Amérique prendre la direction du conflit. Or, c'est à vous de l'exercer, tout au moins dans le domaine moral. Faites-le! L'opinion européenne vous suivra.”
»Cette sortie frappa Churchill. Je le vis osciller sur son siège. Nous nous séparâmes, après avoir convenu qu'il ne fallait pas laisser la crise présente rompre la solidarité franco-britannique et que celle-ci demeurait, plus que jamais, conforme a l'ordre naturel des choses dès lors que les États-Unis intervenaient dans les affaires du vieux monde.»
[Notre recommandation, plus que jamais, est que, pour les textes concernés et notamment celui du Weekly Standard, on doit lire avec la mention classique à l'esprit, — “Disclaimer: In accordance with 17 U.S.C. 107, this material is distributed without profit or payment to those who have expressed a prior interest in receiving this information for non-profit research and educational purposes only.”.]