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355Barack Obama a rompu une étrange “habitude” des présidents US, instituée depuis Bush-père, qui était de ne plus aller saluer épisodiquement, au sens propre et au sens figuré, les soldats morts, de retour des théâtres extérieurs dans leurs cercueils. Ce retour a toujours été l’objet de ce que le Pentagone refuse de nommer une “cérémonie”, mais qui représente une tradition du salut aux morts au combat. La visite d’Obama avait été tenue secrète et se passa effectivement dans la discrétion. The Independent du 30 octobre 2009 note sobrement:
«Saluting stiffly, his coat jacket whipped by a blustery wind, the commander-in-chief watched as the coffin was borne past him by six army soldiers in combat fatigues. Or, to put it another way, an American President was spending a night without sleep, to experience the ultimate human cost of a war that, though he might not wish it, is now his responsibility.»
Comme on l’a dit, GW Bush, après Clinton et son père, ne participa jamais à une telle cérémonie. Il ne refusait nullement la fréquentation des militaires, bien au contraire, mais il écarta systématiquement cet aspect-là du rapport du président avec les conséquences ultimes de ces guerres extérieures qu’il avait déclenchées lui-même. Obama a choisi cette autre approche émotionnelle de la question des pertes humaines: «For Mr Obama the visit will only have underlined how war and its human cost are the toughest part of his, or any Presidency. “It is something I think about each and every day” he said yesterday. And few wars pose tougher challenges than Afghanistan. Sgt Griffin was only one of at least 55 soldiers to have died there in October, the bloodiest month yet.»
Dans sa chronique du 30 octobre 2009, Patrick J. Buchanan observe le problème général des conflits et crises périphériques en cours du point de vue politique et stratégique. Il trace un lien entre de récents événements, jusqu’au constat de l’enchaînement des USA à leurs divers engagements, et à la merci de diverses forces dont l’intérêt est que ces conflits et crises se poursuivent… Un lien existe-t-il aussi entre la description de cet imbroglio et l’hommage d’Obama au retour des soldats morts – qui serait un lien politique fondamental derrière le symbole?
«Ominously, in August, terrorists bombed the foreign and finance ministries in Baghdad, and last week blew up the Justice Ministry and Baghdad Provincial Governorate. And the Kurds are now claiming their control of oil-rich Kirkuk is non-negotiable, which crosses a red line in Baghdad.
»Next door, a terror attack by Jundallah (God’s Brigade) in Iran’s southern province of Sistan-Baluchistan killed 40, including two senior commanders of the Revolutionary Guard. An enraged Tehran pointed the finger at the United States, as there have been charges the CIA has been in contact with Jundallah as part of President Bush’s destabilization program to effect “regime change.”
»But Barack Obama has been in office for nine months — and he would never authorize such an attack on the eve of a critical meeting on Iran’s nuclear program. Moreover, the State Department condemned the Jundallah bombing as terrorism and offered public condolences to the families of the victims.
»But if we didn’t authorize this, who did? Was the timing of this attack coincidental? Were these just freelance secessionists on an operation unrelated to the U.S.-Iran talks? Or is someone trying to torpedo the talks and push Iran and the United States into military collision? For this was a provocation. And whoever carried it out and whoever authorized or abetted it wishes to dynamite the U.S.-Iran negotiations, abort a rapprochement and put us on a road to war. Speculation is focusing on the Saudis, the Gulf Arabs and the Israelis, who have been accused, as has the United States, of aiding PJAK, a Kurdish faction that has conducted raids in northern Iran.
»If we have any control of these organizations, we should shut them down. With U.S. armies tied up in Iraq and Afghanistan, and America conducting Predator and cross-border attacks in Pakistan, provoking a war with Iran would be an act of madness.
»Looking back, how has all this fighting advanced U.S. national interests? We have a “democratic” Iraq that is Shia-dominated and tilting to Iran. We have an open-ended war in Afghanistan that will likely do for Obama what Iraq did for Bush. But we can’t pull out, it is said, for if we do, Kabul falls and Afghanistan becomes the sanctuary for an Islamist war to take over Pakistan and its nuclear weapons. And if that should happen, it would indeed be a crisis.»
@PAYANT La question, accessoire mais puissamment symbolique, est de déterminer si le geste d’Obama saluant les morts de retour d’Afghanistan n’est pas un geste qui participe d’une dialectique muette du président pour expliciter, d’une part ses hésitations devant les décisions à prendre pour un renforcement en Afghanistan, d’autre part, et d’une façon beaucoup plus importante, les difficultés qu’il aurait à tenter d’envisager ce qui serait une orientation qui irait vers un désengagement. Le texte de commentaire de Buchanan sert à comprendre autant l’imbroglio des conflits et l’enchaînement qui les lie les uns aux autres, emprisonnant d’autant les USA, que l’activité des forces qui travaillent pour renforcer cet enchaînement et l’utiliser à leur avantage. Dans l’affaire iranienne (l’attentat de l’organisation Jundallah), la connexion israélo-kurde, avec l’aide de certaines organisations US hors du contrôle d’Obama, représente une explication acceptable, l’affaire faisant mieux comprendre par ailleurs l’engagement de la Turquie, de plus en plus furieuse de la connexion israélo-kurde, au côté des Iraniens. L’attentat, qui a eu lieu en Iran peu avant la rencontre de négociation entre l’Iran et ses interlocuteurs de la “communauté internationale”, a compromis ces négociations et enferme encore plus l’administration Obama dans un cycle d’enchaînement. Le ton du commentaire de Buchanan, habituellement conjointement critique d’Obama et de l’engagement extérieur US est caractéristique; cette fois, Buchanan présenterait plutôt Obama comme victime de forces qui s’opposent à un désengagement ou à des arrangements. Ce n’est pas une remarque indifférente parce que Buchanan est, à cet égard, un commentateur en général bien informé des tendances en cours à Washington.
Les bruits washingtoniens accréditent de plus en plus la version que les délais de la “réponse” du président aux demandes de McChrystal représentent très nettement une hésitation fondamentale devant la stratégie à suivre, ou, dit autrement, la considération sérieuse par l’administration Obama d’une stratégie de désengagement. C’est bien entendu à cette lumière qu’on peut avancer que le geste symbolique d’Obama allant saluer les morts de retour d’Afghanistan aurait effectivement une signification politique puissante. Ce salut aux morts représenterait l’interrogation symbolique devant un enchaînement d’engagements qui mettent en péril, autant l’équilibre des situations sur le terrain que l’équilibre même de ce qu’il reste de puissance aux USA. Nous aurions donc dépassé le stade du “président-Hamlet” pour une période nouvelle, inconnue, où existe la possibilité de décisions radicales – cette période-“Hamlet” sur la nécessité de l’engagement massif que demande McChrystal représentant par ailleurs simplement le début de la réflexion sur la possibilité d’un désengagement, à partir de facteurs de désordre divers où le caractère du président a son rôle. La plus radicale des décisions qu’on puisse envisager aujourd’hui à Washington serait évidemment la proclamation que les USA doivent, en un tournant radical de leur politique, s'orienter vers la recherche du désengagement des fronts extérieurs. Les circonstances de la démission du haut fonctionnaire Matthew Hoh alimentent cette spéculation-là.
Plus le temps passe dans la “réflexion” sur la question du renforcement ou pas en Afghanistan, plus cette question prend d’importance et conduit à une interrogation sur l’engagement général des USA. Que cette attente impliquant évidemment une dramatisation ait été voulue ou pas, dès l’origine, par Obama, importe assez peu. Le fait est que nous sommes entrés dans une période d’incertitude nouvelle – une incertitude succédant à d’autres, tant notre temps est fait de cette matière-là de l’incertitude. Il n’y a strictement rien qui nous permette de dire sur quoi débouchera cette réflexion, tant les forces à l’œuvre sont volatiles et explosives dans tous les sens, tant le choix l'orientation de l'administration Obama est lui-même un sujet de pure spéculation. Le seul constat qu’on puisse faire, sans grande originalité tant il se répète, est que le temps qui passe dans cette situation ne fait qu’aggraver les conditions de la crise, exacerber les tensions. Certes, à un moment ou l’autre, ces tensions deviendront trop fortes pour écarter plus longtemps la décision. Quelle que soit sa décision (Obama cède et ordonne un renforcement, ou bien Obama prend le risque d’amorce une stratégie de désengagement), quelles que soient les modalités de cette décision pour tenter d’en dissimuler l’orientation fondamentale, cette décision sera nécessairement vécue comme une crise elle-même. Elle sera une crise – une de plus.
Mis en ligne le 30 octobre 2009 à 09H48
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