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17 juillet 2005 — Faire changer leur vote, dans les dernières minutes, comme ça, à une centaine de parlementaires US de la Chambre des Représentants, rien qu’au bruit délicieux du craquement des chèques qu’on détache du carnet, cela vous en dit long sur la grande santé de la Grande république démocratique et triomphante… L’excellent dans tout cela, c’est qu’on ne prend même plus la peine de s’en cacher, en rien ni de quelque façon que ce soit (les parlementaires « started changing votes after learning of opposition from the business community »). Take a look, s’il vous plaît, à ce modèle de turbo-démocratie, acclamé accessoirement comme “modèle anglo-saxon” (d’après The International Herald Tribune du 15 juillet):
« The final vote was 215 to 203, well short of the two-thirds majority needed under a procedure for what normally are non-controversial bills.
» Earlier during the roll call, more than 330 members had registered yes votes, but several lawmakers said people started changing votes after learning of opposition from the business community. »
…Cela étant écrit dans le plus pur esprit de la basse vengeance rancunière, reste que nous nous sommes trompés. Bien que la Chambre ait voté en faveur de ce projet de loi, le East Asia Security Act dit “maccarthysme transatlantique” par nos soins, elle n’a pas atteint les deux tiers des voix nécessaires qui étaient dans la poche avant le vote. (Première morale de l’histoire : dedefensa.org a le carnet de chèques moins séduisant que celui des industriels US.)
A côté de la solide réalité, écrite par inadvertance par l’auteur de l’article (les parlementaires « started changing votes after learning of opposition from the business community »), l’explication officielle du changement de décision de vote de plus d’une centaine de parlementaires, telle qu’elle est rapportée dans le même International Herald Tribune du 15 juillet, est touchante de simplicité et d’ingénuité. Elle tient à la mention de la distribution d’un tract in extremis sur les travées de la Chambre, comme si un simple texte, tiré par une imprimante sollicitée également in extremis, suffisait, par sa lumineuse clarté et sa profonde conviction, à convaincre les esprits vertueusement sensibles au bien public et à la force de la logique sociale de plus de cent parlementaires: « Representative Donald Manzullo, Republican of Illinois, distributed a notice that groups such as the U.S. Chamber of Commerce, the Aerospace Industries Association and the Electronic Industries Alliance opposed the measure because more export controls would result in the loss of U.S. jobs. “Passage of this bill means that Boeing and other aircraft manufacturers will sell fewer airplanes overseas,” the notice read. »
Ce vote est de pure circonstance dans l’affrontement entre les industries US engagées dans la coopération internationale et les experts divers estimant que la sécurité nationale prime tout. Il s’agit d’une riposte puissante de l’industrie, chèques en bandoulière, mais nullement d’une victoire décisive ni du signe d’une victoire inéluctable. Les mêmes industries sont dépendantes du Pentagone qui peut être conduit à soutenir les durs de la Chambre si son intérêt l’y invite, et faire pression sur ces industries pour qu’elles mettent un bémol à leurs propres pressions. D’autre part, dans certains cas, les industriels US se retrouvent de l’autre côté de la barrière. Dans l’affaire du marché d’une centaine de ravitailleurs en vol pour l’USAF, Boeing est favorable à une législation dont l’effet brutal est d’exclure Airbus de toute compétition nationale pour ce marché.
On doit présenter trois remarques pour achever de commenter l’événement:
• Le vote ne tranche nullement l’affaire, d’autant que la Chambre, même dans ce cas d’une intervention massive de l’industrie, reste majoritairement partisane de la loi proposée. On peut être sûr, au gré des tensions diverses entre les USA et l’Europe et des spéculations autour de la Chine, qu’on reviendra sur cette affaire, par le biais d’une autre proposition de loi, et cette fois les industries de défense ne seront peut-être pas aussi heureuses.
• On a confirmation que, plus que jamais, le désordre règne à Washington. Le vote a été obtenu par surprise, par un coup bien monté des industriels. Selon les tactiques employées par les divers groupes de pression, on retrouverait des situations différentes.
• Un autre constat que nous tirons du vote de la Chambre, c’est-à-dire de cette majorité 215-202 pour la loi malgré l’offensive des industries, et de 330 députés convaincus de voter la loi avant l’intervention des industriels, c’est que la tendance reste plus que jamais au durcissement. Sur la voie de cette tendance, ce vote est un accident, rien d’autre.