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1367Un sondage défavorable à GW Bush, on avait oublié que cela pouvait exister. GW Bush avait été désigné à son élection et lors de ses neuf premiers mois de présidence comme un homme énigmatique à force de médiocrité et d'inexistence. L'attaque du 11 septembre 2001 avait changé et même renversé tout cela. Les médias se chargèrent de reconstruire le personnage en une sorte de “président de guerre” à-la-FDR (Roosevelt), aux dimensions flatteuses, à l'esprit audacieux, au regard churchilien. Le public a suivi et les commentateurs de l'establishment se sont extasiés. Le scandale Enron-Andersen remet les choses au point, ou semble devoir commencer une évolution dans ce sens. La question est de savoir si cette impulsion sera conduite jusqu'à des situations nouvelles, où l'administration Bush perdrait sa position privilégiée actuelle et serait à nouveau soumise aux critiques et aux attaques de façon systématique ; savoir, pour faire bref, si nous n'allons pas vers une nouvelle époque, une “post-9/11” ? Question bien difficile : si le scandale a ce potentiel sans aucun doute, il n'est pas sûr que le monde politique, y compris les plus opposés à l'équipe Bush, laisse faire une affaire qui pourrait devenir incontrôlable et dommageable pour tous. D'autre part, est-ce que le monde politique peut encore contrôler Enron-Andersen ?
A Washington, on vit à nouveau à l'heure des scandales. Les opposants et les jamais-contents goûtent le plaisir subtil d'à nouveau attaquer le président tout en épousant le sentiment populaire, dans tous les cas des 63% de la population (selon le sondage CBS du 18 janvier) qui disent que l'administration Bush cache quelque chose dans cette affaire.
Au centre de ces observations, il y a donc ce scandale qui prend des dimensions considérables. Le scandale a deux orientations majeures qu'il faudra suivre en ayant à l'esprit ce fait fondamental que l'une peut influer sur l'autre, de façon directe et grave :
• D'une part, il y a donc cet effet de déstabilisation politique de l'équipe GW Bush, avec, notamment et particulièrement visé, le vice-président Cheney qu'on ne voit plus depuis le 11 septembre que de loin en loin, dont on ne sait plus s'il existe encore, — situation complètement extraordinaire pour un pays soi-disant “ouvert” comme se targue d'être l'Amérique. Comme on l'a dit, on ne sait pour l'instant jusqu'où les événements peuvent conduire à ce niveau de la politique washingtonienne. En théorie, le champ est très vaste. Le scandale dépasse potentiellement en importance, en signification, en effets politiques, tout ce qui a précédé depuis les scandales de l'administration Harding (1920-23), la plus corrompue de l'histoire des États-Unis. La question est de savoir si ce potentiel se réalisera. La seule certitude est que cette menace, qui existe d'ores et déjà, impose d'ores et déjà une position défensive à l'administration Bush. L'électorat, par sondage interposé, a donné l'autorisation aux hommes politiques d'abandonner leur position d'allégeance au consensus de la Grande Guerre contre la Terreur. La concurrence électorale d'ici les élections mid-term devrait accentuer le phénomène. D'autre part, il n'est pas sûr que, devant les perspectives du scandale, l'administration ne manipule pas la guerre en cours pour la dramatiser à nouveau et forcer ses adversaires à se regrouper derrière elle.
• Le scandale est d'une telle gravité, d'un point de vue fondamental, d'une part parce qu'il implique la mise en cause du système de contrôle des pratiques du capitalisme (implication du cabinet d'audit Andersen, l'un des premiers du monde, dans l'effondrement d'Enron, effondrement d'Andersen également probable) ; d'autre part parce qu'il met en cause les structures mêmes du capitalisme américain, par conséquent du capitalisme mondial (globalisé). Le scandale doit également jouer un rôle subtil mais puissant dans les relations transatlantiques, les Européens défendant une autre conception des cabinets d'audit, avec le contrôle de leurs activités confiée à d'autres puissances que les rassemblements des actionnaires des sociétés concernées. Les Britanniques eux-mêmes, échaudés par l'affreux scandale Maxwell, sont revenus à une conception plus stricte du cabinet d'audit et ont, dans cette matière, une position bien de l'américaine. Dans tous les cas, les conséquences à terme sur l'évolution des activités boursières devrait être sérieuse puisque le scandale attaque au coeur le principal ingrédient de cette activité, qui est évidemment la confiance.
En effet, la psychologie est essentielle. Ce qu'on doit apprécier dans les suites et les effets de ce scandale, c'est aussi la possibilité d'un retentissement sérieux au niveau de la psychologie américaine, sensible à toutes les formes d'accident au niveau des structures boursières et capitalistiques, et déjà fortement secouée par l'attaque 9/11. Là aussi, il y a une question insistante sur la confiance. Alors qu'on pensait que 9/11 pourrait également être l'occasion d'un rétablissement de la confiance du public américain dans ses autorités, le gouvernement, l'establishment, Washington D.C., le scandale va puissamment dans le sens contraire.
• Voici, comme exemple de ce climat psychologique, un texte significatif des temps nouveaux qui courent déjà, peut-être signe avant-coureur de renversements possibles dans l'opinion publique, sans aucun doute illustratif de la potentialité explosive de Enron-Andersen. Nous donnons ci-dessous la reproduction d'une partie significative de ce texte, du commentateur John Balzar, dans le Los Angeles Times du 18 janvier 2002).
« This rotten barrel of apples is all encompassing. Down at the bottom, in the really contaminated slime, Enron/Andersen/et al. is about what we have allowed our nation to become.
» It's about us. It's about winning at any price--not just winning but trouncing--about seeing what you can get away with. It's about greed and the glorification of greed. It's also the football player who deliberately tries to injure his opponent. It's about parents who beat each other up at their kids' sports matches. It's about the hand-to-hand combat of getting your children into the best colleges so they will be the dog that eats instead of the dog that gets eaten. It's about the ugly edge that has crept into our language, so that words such as "intimidation" become virtuous and "honor" a quaint laughingstock. It's about the blue-ribbon professor-cum-economics columnist who acknowledges taking $50,000 from Enron for serving on "a panel that had no function that I was aware of."
» Awhile back, we lost sight of the principle that hard work, diligence and some luck made the man.
Inexplicably, we veered from the root ideal of civil in civilization. We took what we could and called it ours. We created the lottery for the instant chance at more. We demanded that every business "grow" rather than serve--which sounds a lot less benign than it became, as we watched ourselves transformed into jackals feeding from our own wounds. We watched as our political system was co-opted for pennies by wheeler-dealers who hollowed out the laws with fancy regulations and hidden legislative favors until our vaunted democracy became the instrument of our own oppression.
» We saw simple and honest things devalued. Like the passbook savings account. And employee loyalty--or loyalty of any kind, for that matter. You could wish you were high-minded in this age, but weren't you looking for 25% gains on your retirement holdings too? It didn't matter if a company made something, only if it made something happen. It mattered less whether a deed was right than whether you were "in" or "out."
» Where is the smoking gun?
» It's in our hands.
» Yes, George W. Bush is culpable: This freight train crashed on his watch. These were his back-slapping buddies. These are the people he entrusted with government. This is the way-of-life philosophy he championed. Let's not forget that just a few weeks ago he denounced Democrats for stalling on a multimillion-dollar, retroactive tax break for Enron and other giant companies. Let's remember that his top economics advisor, a former Enron retainer, views the collapse of the company as "a triumph for capitalism." Let's not overlook that his Treasury secretary sees Enron as evidence of the "genius of capitalism." Let's not overlook that his choice to run the GOP has decided to stay on the payroll of a law firm retained by Enron and reserves the right to moonlight as a strategic advisor for the company.
» But Bush didn't create the scandal. It's been in the works for years. He's no more guilty than the people who voted for him, or for those many millions who were suckered into this vision of a cutthroat America where values--that shopworn word--mean nothing at all when measured against the bottom line.
» Perhaps all boats float on a rising tide. But reach down. Tastes like sewer water now, doesn't it?
» I can hardly wait for tomorrow's papers. This is a terrific time. Maybe, finally, at long bloody last, things will get bad enough to make them right. »
• Un autre commentateur, Robert J. Samuelson, parle d'une autre crise que nous rapprochons du scandale Enron-Andersen, parce que ces deux affaires concernent la globalisation et marquent aujourd'hui la crise de la globalisation. Il s'agit d'un texte sur la crise de l'Argentine. L'intérêt est la remarque de Samuelson sur la psychologie. Effectivement, nous pensons que ces chocs successifs vont avoir un effet vraiment dévastateur sur la psychologie. (Dans l'International Herald Tribune du 18 janvier 2002) :
[...] « Perhaps Argentina's crisis will harm only Argentina. But because globalization promised so much more than it has delivered, the crisis may foretell a wider political and psychological fatigue. "I travel a lot to these 'emerging market' countries," says the economist Arturo Porzecanski of ABN Amro. "There's a lot of disenchantment. ... Everywhere people are disenchanted." »