Entre Israël et Washington, une “crise de confiance”…

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Entre Israël et Washington, une “crise de confiance”…


1er août 2005 — Il ne faut pas craindre de poser et de poser encore son regard sur cette question des rapports entre les USA et Israël, qu’on a déjà largement abordée, jusqu’à indirectement (en y ajoutant le facteur français) le 28 juillet encore.

Les échos divers de cette crise, notamment imprimés, sont extraordinairement prudents et circonspects, en même temps qu’ils restent assez rares. Les rapports entre les deux pays sont fondamentaux, à la fois très délicats et d’une complexité inouïe. Un changement significatif dans ces rapports signifierait un bouleversement formidable, — et nous parlons certes d’un bouleversement politique et stratégique, mais, plus encore, d’un bouleversement psychologique.

Au Pentagone, où les journalistes posaient le vendredi 29 juillet des questions à propos de l’aspect de la vente d’armes israéliennes à la Chine de cette crise (puisqu’il ne s’agit effectivement que d’un aspect de la crise), la langue de bois est complète, verrouillée, sans une seule interstice qui puisse laisser passer une raie de lumière. A entendre le porte-parole du DoD Lawrence Di Rita (dans Haaretz du 31 juillet), on croirait l’entendre parler de l’article du FT sur le JSF. Par exemple :


« Tough issues remain in a dispute between Israel and the United States over Israeli arms sales to China, but talks to resolve them are not stalemated, a Pentagon official said on Friday. Pentagon spokesperson Lawrence Di Rita cited good progress in the talks but refused to put a timetable on the negotiations, which were delayed last week when Defense Minister Shaul Mofaz canceled a planned trip to Washington to take part in ongoing talks.

(...)

» “I have talked to people who are involved, who think this is going to be resolved, in the time-honored phrase, sooner rather than later. They don't think this is something that is going to take forever,” Di Rita told reporters in response to questions at the Pentagon on Friday.

» “That was an assessment by people involved as of the last day or two ... There still is a general sense that they will probably get something done,” he said. »


Alors, comment en juger?

L’article de commentaire du journaliste de Haaretz, Ze'ev Schiff, en date du 29 juillet est intéressant. (Nous le publions aujourd’hui dans “Nos choix commentés”.) Il est prudentissime, il est écrit comme si l’auteur marchait sur des œufs, — mais il nous dit certaines choses très intéressantes, notamment par leur nouveauté. (L’on peut être sûr que les esquisses d’analyse que Ze'ev Schiff présente sont proches de celles du gouvernement israélien, et qu’elles représentent également, dans la formulation où elles sont faites, l’appréciation la plus conciliante pour les vues de Washington qu’on puisse en donner du côté israélien.) Cela permet de compléter le tableau et de voir que la perception pessimiste qu’on a déjà signalée, de la situation générale des rapports israélo-américains, n’est pas exagérée.

On trouvera ci-dessous quelques citations extraites de l’article, avec quelques rapides commentaires tentant d’en dégager la signification.

• Comment faut-il apprécier cette crise? « It is a serious crisis, which has spilled over into political and economic spheres... » La phrase est significative. Elle nous montre que la crise ne peut être réduite à la seule question des ventes d’armes à la Chine, quelque importance qu’ait ce domaine. D’une certaine façon, il s’agit d’une surprise (pour nous, mais aussi, chemin faisant, pour les Israéliens et les Américains eux-mêmes).

• ... A preuve, cette remarque, qui n’est pas rien: «  One of the conclusions is that no comprehensive strategic dialogue is currently taking place [...] The strategic dialogue between the countries has slowly evaporated over the past two years... » Ze'ev Schiff donne un exemple de cette absence de dialogue entre Israéliens et Américains: « An example of the shallowness of the strategic contacts is the absence of a fundamental discussion between the United States and Israel regarding the U.S. administration's plan to expand the democratic process in the Middle East. » Il s’agit d’une critique indirectement dite, mais ferme, des Israéliens à l’encontre des Américains. Le problème est sans doute que les Israéliens ignorent que cette absence de consultation des Américains sur les plans de l’administration US dans le domaine de la “démocratisation” du Moyen-Orient repose d’abord sur le fait que ces plans n’existent pas. Mais, bien sûr, les Israéliens ne peuvent croire cela et il n’est pas question que les Américains le disent.

• Les Israéliens se sont trompés sur l’ampleur de la crise sur la question des transferts d’armements, notamment sur les intentions des Américains, leur position très dure dans cet affrontement. Cette remarque le dit : « The assumption was that Washington would end the crisis before the disengagement. Instead, the Americans have presented more stringent demands. » Alors, mea culpa de la part des Israéliens? Peut-être, mais qui tient à la seule tactique: « We must ask how it happened that almost all Israel's assessments regarding the conduct of negotiations with the Americans in the Chinese UAV affair have proved to be mistaken. Israel maneuvered itself into a situation where its friends in the administration and in Congress cannot, or do not wish to, help it in this matter. »

• ...Il n’empêche, il y a des conditions que les Israéliens n’accepteront pas, malgré toute la bonne volonté du monde. Israël ne veut pas être traité comme une “république bananière”: « Because [the Americans] feel affronted, they are not taking into account the political situation in Israel, and are trying to dictate to the Knesset, in an insulting manner, a timetable for its decisions. An agreement is meant to end a crisis, and not to force a friendly nation to agree to be punished in stages. Even a banana republic would not sign such an agreement. »

Il est difficile, à la lumière de ces diverses remarques, de ne pas conclure selon la proposition de départ, que la crise entre les deux pays est effectivement grave. Ze'ev Schiff nous en donne d’ailleurs la mesure, par une phrase peut-être imprudente, ou bien voulue mais avec un sens de gravité extrême même si les termes restent prudents: « Israel is making efforts to end the dispute but is not succeeding, apparently because it is a crisis of confidence. » Une “crise de confiance” entre deux pays qu’on nous présente et qui se présentent comme apparemment si complètement soudés, si complètement unis sur des “valeurs” qui reposent justement sur une confiance commune et réciproque complète, c’est une chose à la fois surprenante et gravissime.

L’article de Ze'ev Schiff est donc prudentissime, pour nous décrire une situation gravissime… Il nous confirme que les contacts réels entre Israël et Washington se perdent aujourd’hui dans les quiproquos, l’amertume et le soupçon, et surtout l’incompréhension qui est la mère de toutes les tensions et la voie vers la possibilité d’une perte de contrôle de l’évolution des choses. La crise américaine, la situation déformée par le virtualisme, la brutalité des rapports US avec l’extérieur qui en découle, ne sont pas pour rien dans cette gravité. Tout est en place, effectivement, pour une évolution de plus en plus chaotique, d’autant que le chaos intérieur washingtonien n’est pas prêt de cesser. C’est dire si nous maintenons notre hypothèse fondamentale sur l’arrière-plan de la situation, portant sur la question de la souveraineté, avec la possibilité d’évolutions spectaculaires et surprenantes (dans ce cas entre Israël et la France).