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5 juin 2005 — Une évolution est en cours aux USA, qui pourrait conduire à une situation de la politique étrangère de plus en plus marquée à la fois par l’immobilisme et par la confusion. Deux grands courants peuvent être distingués.
• Un courant désormais classique et bien installé, qui est celui de la conviction complètement fondée sur une approche virtualiste de la situation. C’est notamment le cas des deux principaux dirigeants, GW Bush et Dick Cheney, qui continuent à affirmer une vision extraordinairement optimiste de la situation, notamment en Irak, et qui sont alimentés dans ce sens, aussi bien par leur entourage que par leur propre conviction. C’est le fameux phénomène déjà identifié de la “faith-based community”, autre nom donné au virtualisme. Dans un article du 5 juin du Washington Post qui apprécie la situation de ce problème aujourd’hui, cette situation est définie de la sorte par un ancien consultant du département d’État: « It's dangerous when U.S. officials start to believe their own propaganda. I have no doubt that they genuinely think that Iraq is a smashing success and a milestone in their forward freedom strategy. But if you ask Iraqis, they have a different opinion. » (un ensemble de deux articles, dont celui du Post, est repris dans notre rubrique “Nos choix commentés”.)
• Un courant nouveau, largement alimenté par les déboires rencontrés par les Américains en Irak, qui place de plus en plus avant les tenants d’une ligne réaliste, faisant beaucoup moins grande part aux capacités militaires, beaucoup plus à l’action diplomatique éventuellement renforcée par la coopération avec des alliés. Divers signes de cette évolution sont donnés, jusqu’au rapport d’un exercice de crise (situation avec la Corée du Nord) fait par le Daily Telegraph, où il apparaît que la partie américaine suit un comportement extrêmement pusillanime et en retrait, comparé à celui des autres acteurs. Le résultat, qui n’est finalement pas mauvais pour les Américains (conclusion obligée pour tout exercice US), est donné par ce commentaire d’un des participants à l’exercice, à faire dresser les cheveux sur la tête d’un néo-conservateur : « China was awarded first place in the ‘game’, but only just, and America came a close second. “So was the US losing?” asked Mr Barnett, who believes in conciliating and not confronting China. [...] “No major wars — this is the definition of a happy ending. America was losing to win.” » (On peut lire un commentaire plus approfondi sur ce War Game dans notre rubrique ‘Bloc-Notes’ de ce jour.) Dans un article sur cette question, Jim Lobe passe en revue les différentes influences qui se manifestent et conclut effectivement que les réalistes sont en train de reprendre la haute main sur l’analyse de définition de la politique par rapport à l’administration GW.
« Hawks in the administration of President George W. Bush may think that they are tough, but their dreams of “regime change” in Iran and North Korea are increasingly deluded, not to say dangerous, according to their hard-edged realist rivals who have become increasingly outspoken in recent weeks.
» Their latest broadside comes in the form of an article by Richard Haass, president of the influential Council on Foreign Relations, in the forthcoming edition of the journal Foreign Affairs entitled “The Limits of Regime Change.”
(...)
» Haass' article and book release follow the publication of a column last week by arch-realist Brent Scowcroft in the Wall Street Journal which argues that the hawks' rejection of bilateral talks with North Korea in the hopes that the government there will collapse are “irresponsible.”
» Yet another realist, former Foreign Affairs editor Fareed Zakaria, made much the same argument in a recent Newsweek column that assailed the White House for what he called a four-year “stalemate” within the administration between hawks who “want to push for regime change” in North Korea and “pragmatists” who “want to end the North's nuclear program.”
» Common to all three authors is the conviction that the U.S. is not all-powerful; that it must coordinate its policy with other great powers to achieve its ends; that creative diplomacy can be far more constructive than military action; and that, despite the tough rhetoric of administration hawks, U.S. policy towards Iran and North Korea, both members of Bush's “axis of evil,” effectively is adrift.
» The realist offensive comes amid a growing sense that the intra-administration fights between hawks led by Vice President Dick Cheney and realists led by then-Secretary of State Colin Powell have continued unabated nearly six months into Bush's second term, albeit more recently without Powell and fewer leaks from unhappy State Department and intelligence officers who generally lined up with the realists. »
Nous aurions tendance à ne pas placer la seconde tendance dans l’habituel jeu de balance entre idéalistes et réalistes, avec cette fois avantage aux réalistes et seulement cela, car subsiste la première situation. Si les réalistes reprennent effectivement la main dans le tissu général de l’administration, et ils le peuvent d’autant plus que les capacités militaires US s’effritent à une vitesse sidérante, ils n’ont pas pour autant le champ libre pour une nouvelle politique. Ils seront toujours freinés, voire contredits de manière décisive par leurs dirigeants qui vivent dans leur monde virtuel à part, où tout va bien, où la puissance US triomphe.
Ce qui risque de survenir dans cette occurrence, c’est, de façon différente, une paralysie grandissante de l’appareil de sécurité nationale aux USA, avec une confusion à mesure, et une politique exprimant tout cela. La bureaucratie va y être plus que jamais triomphante, tirant dans toutes les directions, sans plan préconçu puisque son seul but est son propre renforcement.
On ne manquera pas également, et de manière tout à fait insistante, de tracer une analogie entre cette évolution et la situation en Europe, où la fragmentation et la crise sont à l’ordre du jour. Contrairement à ce que d’aucuns pourraient craindre du côté européen, en apparence d’une façon fondée, il est fort possible que les Etats-Unis ne tirent pas vraiment avantage de la fragmentation et de la crise européennes par absence de coordination entre leurs divers services, par absence d’unité d’analyse, et surtout à cause de cette paralysie qui s’installerait, comme on l’a vu, à cause des tiraillements entre un retour des réalistes et une confirmation de la conviction des dirigeants que l’Amérique est plus forte et plus efficace que jamais.