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69916 juillet 2007 — Un article du Guardian de ce matin nous dit que l’affaire BAE-Yamamah achève sa mue en devenant une crise politique UK-USA. L’affaire avait pris un tour polémique nouveau avec l’implication de Prince Bandar, une dimension juridique nouvelle avec l’ouverture d’une enquête par le DoJ américain, dimension juridique elle-même devenue dimension stratégique nouvelle. La transformation est achevée en touchant le domaine politique.
Le Guardian révèle que le DoJ a officiellement demandé un accès à des documents secrets (paiements secrets aux Saoudiens, dont Bandar), — demande par ailleurs logique et inévitable dès lors que le DoJ lançait son enquête. C’est l’accès à ces documents qui avait motivé l’abandon de l’enquête du SFO ordonné le 15 décembre 2006 par Blair, à la demande pressante (assortie de menaces de rétorsion) des Saoudiens. Accessoirement, la même demande, rencontrant la même position britannique de refus, a également suscité une crise entre Londres et l’OCDE.
Londres est entre le marteau et l’enclume. S’ils ne donnent pas accès aux documents, les Britanniques sont menacés par les USA des mêmes mesures (au niveau de la coopération des services de renseignement) que celles dont les menaçaient les Saoudiens s’ils divulguaient les documents.
«A potential diplomatic collision with the US is looming over the corruption allegations against the arms company BAE. The department of justice in Washington has formally demanded that Britain hand over all evidence of secret payments the company made to members of the Saudi royal family to secure huge arms deals. […]
»The US justice department has sent its formal request for mutual legal assistance to the Home Office in London. This was confirmed by the SFO at the weekend. If ministers refuse to cooperate, they will face a fresh international crisis. The OECD, which polices international anti-bribery treaties, has already accused Britain of potentially breaching those treaties.
»If British ministers defy the justice department, this could go on to endanger reciprocal cooperation and intelligence-sharing with the US. Britain depends far more heavily on Washington than it does on Saudi Arabia. One senior source close to the US department of justice told the Guardian: “Britain's definition of national security might have to change under these circumstances.”»
Au Royaume-Uni même, le gouvernement Brown retrouve la même opposition, la même contradiction sous la forme de positions de politique intérieure étendues au domaine de cette crise selon les visions antagonistes qu’on en a. Entre marteau et enclume, là aussi.
• Le dirigeant libéral Vince Cable presse pour une publicité des documents incriminés : «Gordon Brown has made much fanfare about promising a more open approach to government, but if he was serious, he would find a way of opening the lid on the secrecy surrounding this murky deal. Allegations that the British government has been complicit in large-scale corruption are incredibly serious. It is profoundly unsatisfactory to invoke national security as the reason for this government's refusal to pursue either legal action or parliamentary oversight.»
• Le député travailliste David Borrow, dont le district électoral comprend des usines BAE et qui, ajoute perfidement le Guardian, a effectué une visite en juin au Salon du Bourget “aux frais de BAE”, a recommandé au ministre chargé du commerce des armements (Lord Drayson) de ne pas céder au DoJ : «The investigation will come to a point where the UK government will say ... details of these arrangements are not something they are prepared to disclose to the department of justice. […] The US criminal investigation ''could affect jobs.»
La crise BAE-Yamamah, devenue entretemps l’affaire BAE en affectant la position et l’implication du groupe BAE aux USA, est devenue une crise politique entre les USA et le Royaume-Uni («A potential diplomatic collision with the US»). Cette crise politique a principalement quatre aspects :
• Un aspect de “choix impossible” : ou bien céder à l’enclume saoudienne en refusant l’accès aux documents, ou bien céder au marteau US en ouvrant cet accès. Entre les deux, il y a un tout petit espace pour manœuvrer “à la britannique” mais ce ne peut être que pour gagner un peu de temps, — bien peu de choses avant d’approcher le “moment de vérité” où il faudra songer à prendre attitude. (Accessoirement, on tiendra compte des pressions de l’OCDE, qui poursuit son enquête, ou de celles du gouvernement suisse, qui fait de même de son côté.)
• Un aspect de “choix vicié”, avec les divers composants affectant, hors de l’affaire BAE, les relations UK-USA qui sont actuellement à un tournant. L’affaire BAE peut être manipulée comme un levier, notamment par les USA, pour obtenir du gouvernement Brown un alignement semblable à celui du gouvernement Blair, alors que des facteurs importants poussent aujourd’hui au contraire.
• Un aspect intérieur US, car il n’y a pas de front uni US sur cette affaire. Au contraire, il faudrait peu de choses pour que l’affaire BAE devienne un événement polémique à Washington même, où elle interfère sur la situation politique. On ignore même dans quelle mesure la direction politique de l’administration (la Maison-Blanche, voire le ministre de la justice lui-même en position délicate) peut influer sur la conduite de l’enquête du DoJ et de sa bureaucratie.
• Un aspect intérieur britannique, portant sur la nature des relations entre le Royaume-Uni et l’Arabie Saoudite, et notamment la forme peut-être étrange des menaces de rétorsion des Saoudiens (faites à l’automne 2006) si Londres ne mettait pas fin à son enquête. (Voir notre Bloc-Notes de ce jour.)
L’imbroglio est complet et on ne peut, pour l’instant, qu’en faire le constat. L’affaire BAE est un exercice pratique sur l’extraordinaire complexité des relations du triangle USA-UK-Arabie, et éventuellement un détonateur des caractères explosifs de ce triangle. Le caractère incontrôlable de l’imbroglio proche d’un point d’explosion est évident. Des conséquences peuvent se déclencher dans toutes les directions, absolument imprévisibles par leurs enchaînements automatiques.
A ce point, on ne peut qu’observer l’avancement inexorable de la crise, comme illustration des situations de tension extraordinaires qui caractérisent les relations internes anglo-saxonnes et celles qui leur sont liées, avec le Moyen-Orient producteur de pétrole (l’Arabie). Ce qu’on offre ici est un commentaire de plus d’une chronique d’une crise en pleine évolution, sans en pouvoir rien prévoir des effets. L’imbroglio est une crise et, comme l’imbroglio, la crise est hors de contrôle. Personne, dans cette affaire, — ni les dirigeants britanniques, US et Saoudiens, ni BAE, ni personne d’autre, — n’a en main les moyens et les pouvoirs nécessaires pour contrôler les événements. A l’image des crises de notre époque, l’affaire BAE, qui n'aurait dû être in illo tempore qu’une crise sectorielle de circonstance (armement, corruption), achève de se transformer en crise systémique.