Erdogan, manipulateur-manipulé...

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Erdogan, manipulateur-manipulé...

Pour rassembler une illustration générale qui à notre avis convient, d’une façon très symbolique mais significative, à l’événement qui va du putsch avorté en Turquie du 15 juillet à la rencontre-réconciliation Poutine-Erdogan à Saint-Petersbourg du 9 août et aux (très) diverses réactions qui ont suivi, nous choisissons un texte du site WSWS.org du 10 août (traduction française du texte anglais du 9 août) sur les manifestations-monstre d’unité nationale, en Turquie le 7 août. Il s’agit d’un événement populaire sans précédent dans ce pays, tant par le volume (les participants, selon un comptage allant “de plus d’un million de personnes” selon les sources-BAO officielles, type-Reuters, automatiquement défavorables à l’actuelle tendance turque, à “près de cinq millions de personnes” selon les sources turques officielles et de l’agence de presse nationale) que par la ferveur de l’unité nationale, avec participation de la plupart des partis politiques, donc l’opposition incluse.

(WSWS.org est une source intéressante, d’un trotskisme militant comme l’on sait, et habituellement peu indulgente pour Erdogan, avec d’excellents relais en Allemagne, et notamment dans la communauté turque d’Allemagne qui est moins “suspecte” d’être influencée directement par les autorités en place. On peut d’ailleurs lire, le 6 août [en français, traduction d’une article anglais du 5 août], un article très intéressant sur la violente campagne anti-Erdogan en Allemagne, lancée depuis le putsch avorté. Elle rassemble une coalition hétéroclite et quasiment unanime, où les plus actifs, de la voix dans tous les cas, se trouvent à la droite extrême et à “la gauche de la gauche”, c’est-à-dire les plus islamophobes et les défenseurs intransigeants des “valeurs” qui mettent avec générosité leur intolérance dogmatiques au service de la tolérance. Au reste, la tension est nette entre la Turquie post-putsch et l’Allemagne, nuancée dernièrement d'une façon gracieuse par une récente déclaration favorable du ministre allemand des affaires étrangères se réjouissant de la rencontre Erdogan-Poutine. Il est très difficile de s’y retrouver, et sans doute inutile d’essayer, entre tous ces acteurs-figurants qui s’essaient à l’activisme sans très bien savoir pour qui ils font ce qu’ils font, – tous ces étranges activistes dont nombre se jugent antiSystème et qui se retrouvent en bout de course en “idiots utiles” des putschistes type-Gladio postmodernes, gulénistes, CIA, OTAN & Cie.)

Pourquoi insister sur cet événement du 7 août plutôt que sur la rencontre du 9 août, à Saint-Petersbourg ? Parce que le 7 août nous semble dire plus clairement la transformation qui s’est opérée en Turquie, et par conséquent le facteur principal qui va compter dans les relations entre la Turquie et la Russie dans le sens le plus large possible, c’est-à-dire dans un environnement international très complexe et tendu de crise haute comme on les a déjà envisagées, que la rencontre du 9 août où les deux présidents réconciliés par les événements ont tout de même fait d’abord de la tactique politique dans leur communication (dans ce qui est visible pour nous), c’est-à-dire sans que nous sachions bien entendu ce qu’ils se sont dit. En quelque sorte, le 7 août, que nous découvrons à cette occasion, nous “parle” plus à cet égard, et c’est une fait inattendu dont il faut tenir compte. D’autres événements survenus depuis le 9 août marquent l’intensité de la situation et montrent combien les relations entre la Turquie et la Russie sont à considérer dans un environnement extrêmement complexe et tendu.

• Le lendemain de la rencontre de Saint-Petersbourg, l’OTAN a publié un communiqué marquant par son inutilité formelle combien est très grande la “nervosité” des USA et du bloc-BAO en général devant la reprise des relations entre la Russie et la Turquie à la suite du putsch-avorté dont il est très largement reconnu qu’il a été manufacturé avec le soutien, sinon la participation active de l’ensemble US/OTAN/Gladio/BAO/etc. On comprend cette “nervosité” devant le constat désolant et quelque peu indécent qu’on ne peut plus organiser aujourd’hui un putsch sans susciter de la mauvaise humeur chez le pays d’accueil de ce putsch. Le Washington Post a publié un article, le 11 août, sans autre but ni information nouvelle que de marquer la susdite extrême “nervosité” de l’Organisation et de rappeler des évidences qui peuvent tout aussi bien constituer un rappel à l’ordre. (Effectivement, il est logique que ce soit l’OTAN qui dise que la Turquie reste “un allié apprécié” au sein de l’OTAN, mais il l’est moins que ce soit l’OTAN qui précise la participation à l’alliance de la Turquie “n’est pas mise en question”, puisque cette aspect des choses dépend de la volonté de la seule Turquie. Il reste de toutes les façons à déterminer quelle mesure de stupidité à l’échelle de l’OTAN il faut affecter à cette réaction qui montre la préoccupation de l’Organisation, voire les menaces voilées contre la Turquie, d’une façon publique dont on ne peut dire que cela constitue un chef d’œuvre tactique de communication. Le caractère excptionnnel de l'intervention a, d'autre part, de fortes chances de signaler un état de panique chez les élites-Systèmedu bloc-BAO, état d'ailleurs assez courant chez eux par les temps qui courent et volent.)

Quelques mots de l’article doivent être mis en exergue parce qu’ils suffisent à rendre compte de cette exceptionnalité de la réaction, “nervosité” et panique à la fois des USA et du bloc-BAO pour les suites d’une action dont il est évident que les USA et le bloc-BAO portent aux yeux de l’évidence elle-même l’entière responsabilité : « NATO went out of its way Wednesday to insist that Turkey — whose president this week visited Moscow and promised a new level of cooperation with the man he repeatedly called his “dear friend,” Russian President Vladi­mir Putin — remains a “valued ally” whose alliance membership “is not in question.” In a statement posted on its website, NATO said it was responding to “speculative press reports regarding NATO’s stance regarding the failed coup in Turkey and Turkey’s NATO membership.” Not only does Turkey make “substantial contributions” to NATO joint efforts, it said, “Turkey takes full part in the Alliance’s consensus-based decisions as we confront the biggest security challenges in a generation.” The extraordinary statement, and the perceived need to issue it, highlighted the West’s growing nervousness over the fallout from last month’s coup attempt... »

• Dans un article du 11 août, ZeroHedge.com résume les autres événements post-9 août, susceptibles de montrer la “nervosité” et la “mauvaise humeur”, et la “panique” des uns et des autres. Il y a ce que ZeroHedge.com considère comme une réaction turque au communiqué de l’OTAN : l’annonce par le ministre des affaires étrangères turc que la Turquie pourrait bien s’équiper en armements chez d’autres (lire Russie, Chine) que chez ses alliés, et l’annonce des reprises des bombardements turcs contre Daesh, avec nécessité de se coordonner avec la Russie. (Cette dernière nouvelle est accueillie par les Russes d’une façon neutre ou d’une façon prudemment positive, cela marquant pour le temps courant une sorte d’attentisme sceptique vis-à-vis des initiatives de “rapprochement” de la Russie de la part d'Erdogan.) Enfin, ZeroHedge.com insiste sur l’annonce à confirmer qu’Erdogan aurait proposé à Poutine de passer à leurs monnaies nationales, à la place du dollar, pour leurs échanges.

« The unexpectedly sharp antagonism between Turkey and the west accelerated today, and one day after NATO preemptively [4]reminded Turkey that it is still a NATO alliance member and advising Ankara that "Turkey’s NATO membership is not in question", Turkey had some more choice words for its military allies. Cited by Reuters, Turkey foreign minister Mevlut Cavusoglu told Turkish's NTV television on Thursday that the country “may seek other options outside NATO for defense industry cooperation, although its first option is always cooperation with its NATO allies.” Translation: if Russia (and/or China) gives us a better "defensive" offer, we just may take it.

» The sharply worded retort came on the same day that Turkey said it will resume airstrikes on Islamic State targets in Syria, and asked Russia to carry out joint operations against its “common enemy.”  Ankara halted strikes after the downing of a Russian plane by Turkish forces last year. In the same interview, Cavusolgu said that Ankara “will again, in an active manner, with its planes take part in operations” against Islamic State targets. Cavusolgu also said that Ankara has called on Moscow to carry out joint operations against the “common enemy” of IS.

» But perhaps the most notable development was reported today by Turkey's Gunes newspaper, which said that as part of the discussion between Putin and Erdogan on Tuesday, the Turkish president suggested to abandon the US dollar in bilateral trade between Turkey and Russia, and instead to transact directly in lira and rubles. This would "benefit both Russia and Turkey", Erdogan allegedly said in his August 9 meeting in St Petersburg, adding that this would relieve the lira from the USD's upward pressure. [...] Needless to say, such a bilateral agreement would further infuriate Turkey's European "friends", permanently halting Turkish accession into the customs union, in accordance with Austria's recent demands, and would in turn lead to a dissolution of the refugee agreement that is still keeping millions in refugees away from Europe in general and Germany, and Merkel's plunging popularity ratings, in particular... »

• D’une façon générale, la rencontre de Saint-Petersbourg a été accueillie très diversement, provoquant chez les commentateurs de la presse alternative (antiSystème) des réactions souvent extrêmes et contrastées. Un bon exemple de la chose se trouve dans la mini-polémique par articles interposés entre John Helmer et Alexander Mercouris. Helmer avait publié un article d’analyse sur les perspectives russo-turques bien avant Saint-Petersbourg sous le titre “une nouvelle alliance byzantine”. (Nous avons repris cet article le 29 juillet, en observant simplement : « Composé à partir de sources russes essentiellement, le texte offre une perspective particulièrement large et une interprétation des événements de très grande ampleur géopolitique. ») Après Saint-Petersbourg, Helmer a fait un très long article (le 10 août sur son site Dances with Bears, repris sur Russia Insider le 11 août), particulièrement pessimiste, sinon réducteur, présentant Saint-Petersbourg comme un échec complet, avec un Poutine furieux et fatigué et un Erdogan manœuvrant le président russe pour simplement s’en tenir à l’apparence de mots très chaleureux sur une relation retrouvée avec la Russie. (Il n’est pas inintéressant, dans ce cas, de s’attarder aux réactions des lecteurs de la version publiée sur Russia Insider, qui en disent beaucoup sinon beaucoup plus, et sur l’article, et sur le sommet du 9 août.)

Là-dessus, Mercouris prend sa plume et critique assez durement l’article de Helmer, sur le thème “le sommet de Saint-Petersbourg n’a donné que ce qu’il pouvait donner” (se citant lui-même à cet égard, pour avoir annoncé cela) : « In the aftermath of Erdogan’s visit to Russia the danger of overly-high expectations is illustrated by an article by the veteran Russia watcher John Helmer. In a lengthy discussion of the Putin and Erdogan meeting he portrays a manipulative Erdogan getting essentially all that he wanted from a furious Putin.  In particular he makes much of the fact that the summit that the summit produced no actual agreements...  [...] The Russians had however already said before the meeting that no formal agreements were expected.  I said as much in my article discussing what to expect from the summit written before it took place (“The Russians have said that there will be no formal agreements”).  »

Cette sympathique et sans doute amicale passe d’armes illustre surtout l’extrême difficulté de juger des rencontres officiellement arrangés autour des situations de crise, et selon leur seule présentation officielle, par rapport à la vérité-de-situation de ces rencontres et de ces crises. Nous sommes tous soumis à cette même vérité, – c’est le cas de le dire, – sans que personne d’ailleurs ne puisse nous départager aussitôt et d’une façon rationnelle, selon les canaux courants. La recherche des vérités-de-situation est effectivement une enquête et la seule rationalité n’y suffit pas.

• ... C’est pourquoi, nous avons choisi le rapport de l’événement du 7 août que nous n’avions nous-même pas commenté ni même noté, pour caractériser la situation après le sommet de Saint-Petersbourg. Ce rapport de WSWS.org n’apporte aucune révélation d’analyse mais décrit l’ampleur de la chose, sous la plume de gens sérieux même si souvent sectaires et dogmatiques, dans une occurrence et selon une orientation où, pour ce cas, le sectarisme et le dogmatisme n’interfèrent pas. Pour nous, cette puissance manifestation populaire constitue un événement, non pas parce qu’elle donne une arme au “manipulateur-Erdogan”, mais au contraire parce qu’elle réduit considérablement sa marge de manœuvre, donc sa “marge de manipulation”.

Il est manifeste, pour la très grande majorité des commentateurs antiSystème que le putsch-avorté est une manipulation classique de l’ensemble US/OTAN/Gladio/BAO/etc. (Sauf pour Mercouris dans ce cas, le 27 juillet, et d’une façon catégorique [« Why the US Almost Certainly Was Not Involved in the Turkish Coup »], avec un argument final assez étonnant [« I would add at this point that any US decision to give the green light to the coup would definitely have needed Obama’s approval »], comme si la CIA ou n’importe quel “État parallèle” d’une certaine tenue à Washington se préoccupait, aujourd’hui moins que jamais, de l’approbation d’un président impotent autant par sa non-politique que par un mandat qui se termine dans 3/5 mois.) Il est également manifeste, pour les foules rassemblées en Turquie sous la bannière du nationalisme qui n’est pas vraiment de style otanien (ni EUropéen) que le putsch est quasiment signé, de manufacture US/OTAN/Gladio/BAO/etc. Ces faits nous semblent acquis, et l’importance considérable des manifestations du 7 août en Turquie mesure l’importance de la réaction de la population turque (laquelle fut par ailleurs la véritable force qui mit le putsch du 15 juillet en échec).

Par ailleurs, on dit que le soutien populaire est l’une des armes essentielles d’un Erdogan qui a évité de peu une élimination qui aurait pu ressembler à celle de Kadhafi (“We Came, We Saw, He Died”). On dit également que la position d’Erdogan est fragile, que la manufacture US/OTAN/Gladio/BAO/etc. ne s’en tiendra pas là et pourrait bien repasser les plats pour une nouvelle tentative, selon le précepte-Système qu’on ne “change jamais une méthode qui échoue”, – au contraire, on en remet une louche. Dans ce cas, le soutien populaire à Erdogan est une arme d’autant plus efficace qu’elle s’est forgée dans l’opposition au putsch avorté ; mais justement, dans l’opposition à un putsch que tout le monde dénonce comme expectoré par la manufacture US/OTAN/Gladio/BAO/etc. C’est dire combien Erdogan dépend d’abord d’un soutien qui est essentiellement antiaméricaniste, anti-OTAN, nationaliste, etc., et cela est bien une limite de sa marge de manœuvre, donc une limite de sa “marge de manipulation”. La popularité de la Russie en Turquie va avec, malgré ses dénégations à Moscou de l’aide russe au niveau du renseignement qui se confirme par ailleurs de toutes parts. (Dernière précision en date, sur Strategic-Culture.org, le 11 août, de Peter Koenig : « Shortly before the quickly and poorly prepared coup was launched on 15 July, Putin informed Erdogan of the western plans. He sent a special emissary via a complex supposedly disguising detour route from Moscow to Ankara. The envoy handed Erdogan a long list of allegedly high ranking suspects in the Turkish Administration. »)

Dans son rôle public actuel, Erdogan est à l’aise parce qu’il joue dans le registre anti-US/OTAN/Gladio/BAO/etc. Il est moins sûr qu’il se sente aussi à l’aise pour éventuellement se montrer moins aimable avec la Russie, et éviter certaines mesures de plus en plus concrètes de rapprochement avec cette Russie, alors que les pressions US/OTAN/Gladio/BAO/etc. ne cesseront pas de s’exercer, – et avec quelle force, on s’en doute, si Hillary Clinton était élue ; alors que son seul allié en l’occurrence est la Russie, et son soutien principal une mobilisation populaire anti- US/OTAN/Gladio/BAO/etc.  Le manipulateur-Erdogan serait alors plutôt en position d’être manipulé, comme s’il était, lui, prisonnier effectivement d’une seule option. Du coup, ce seront les événements qui parleront, de même que la mobilisation populaire turque est un événement (événement structurant dans le sens antiSystème), né en réaction à un événement déstructurant que fut le putsch-avorté. Du coup et pour nous, ce sont les événements qui décident, comme à l’habitude, et ils décideront, toujours selon nous, dans le seul sens possible à notre estime.

Le texte de WSWS.org, de Halik Celik, est donc du 10 août 2016, sous le titre (raccourci ci-dessous par nous pour des raisons techniques) « Des millions de personnes manifestent en Turquie contre la récente tentative de coup d’Etat ».

dedefensa.org

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Des millions de personnes manifestent en Turquie...

Dimanche 7 août, des millions de personnes se sont rassemblées partout en Turquie pour ce qui constitue la plus récente série de manifestations contre le coup d’État raté du 15 juillet. Dans une manifestation d’unité sans précédent, la mobilisation la plus large fut organisée sur l’esplanade Yenikapi d’Istanbul. Y participaient le Parti de la justice et du développement (AKP), au gouvernement, le principal parti de l’opposition, le Parti républicain du peuple (CHP) et le Parti du mouvement nationaliste turc d’extrême-droite (MHP) ainsi que leurs organisations affiliées et de nombreuses ONG. Le “Rassemblement pour la démocratie et les martyrs” fut organisé sur un appel lancé par le président turc Recep Tayyip Erdogan.

Il s’agissait apparemment du plus large rassemblement de l’histoire de la Turquie. L’agence de presse turque et la police d’Istanbul ont estimé le nombre de participants à près de cinq millions tandis que Reuters – et de nombreuses agences d’information européennes – ont fait état d’une participation « de plus d’un million de personnes. » Selon les autorités, quelque 7.000 bus municipaux et plus de 200 bateaux et ferries ont fourni un service gratuit aux participants.

Le Parti démocratique du peuple (HDP) pro-kurde, troisième parti du pays, ne fut cependant pas invité au rassemblement au motif qu’il entretient des liens avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) qui mène une guérilla contre l’Etat turc.

L’une des principales caractéristiques du rassemblement fut, pour la première fois de l’histoire du pays, la participation de l’état-major de l’armée turque aux côtés de partis politiques. Le général Hulusi Akar, le chef d’état-major, a dit dans son discours que les gens qui se trouvaient derrière cette tentative de coup d’Etat, l’organisation terroriste Fethullah ou FETO, devaient être condamnés à la « peine maximale. »

Le président du MHP, Devlet Bahçeli, qui fut le premier à appuyer ouvertement Erdogan et son gouvernement contre la tentative de coup d’Etat a qualifié le rassemblement de « nouveau chapitre de l’histoire » disant, « un nouveau voyage commence avec Yenikapi. » Dans son allocution au rassemblement, le dirigeant du CHP, Kemal Kilicdaroglu, a dit que la défaite de la tentative de coup d’Etat du 15 juillet marquait un nouveau départ pour le pays. « La tentative de coup du 15 juillet a ouvert une nouvelle porte aux compromis. Il existe une nouvelle Turquie depuis le 15 juillet. Si nous réussissons à porter encore plus loin ce pouvoir et la culture de la réconciliation, nous laisserons une Turquie meilleure à nos enfants », a-t-il dit.

Soulignant que tous les dirigeants politiques devaient tirer des enseignements de la tentative de coup d’Etat, Kilicdaroglu a réitéré les points qu’il avait énoncés lors de son “Rassemblement pour la république et la démocratie ” du 24 juillet à Istanbul. Il s’est dit inquiet à propos de la république et de la démocratie, de l’égalité devant la loi, de l’importance du système parlementaire, de l’indépendance du droit et de l’indépendance des médias. Il a souligné que dans la Turquie d’après le coup d’État, la politique devait être exclue des mosquées, des casernes et des tribunaux.

Depuis le coup raté mené par des sections de l’armée turque avec sans aucun doute l’approbation de Washington – la base aérienne d’Incirlik qui héberge des milliers de soldats américains et qui est la principale base pour les bombardements des Etats-Unis contre la Syrie et l’Irak, a été le centre d’opération du coup d’Etat – le gouvernement AKP a arrêté ou détenu plus de 60.000 adversaires politiques, fermés au moins 15 universités et plus d’un millier d’écoles privées. De plus, un grand nombre d’agences d’information, de chaînes de télévision et de radio, de journaux et de magazines ainsi que des maisons d'édition prétendument proches de FETO ont été fermés.

Décrivant la tentative de coup et l’opposition populaire à son encontre comme « une deuxième guerre d’indépendance de la Turquie », le premier ministre turc Binali Yildirim a fait l’éloge des dirigeants du CHP et du MHP « pour avoir soutenu la volonté nationale et la démocratie. » Il a cité les poèmes de poètes islamiques turcs bien connus, de droite et de gauche, et fait le vœu de maintenir et d’encourager le climat de réconciliation entre le gouvernement et l’opposition. « Nous ferons de notre mieux pour sauvegarder cette unité historique, » a-t-il dit.

Dans son discours à la foule, le président turc Recep Tayyip Erdogan a adopté un ton conciliant de compromis et d’unité tout en ayant des mots très durs pour les alliés occidentaux de la Turquie ; il a dit, « Notre présence aujourd’hui inquiète nos ennemis comme c’était le cas au matin du 16 juillet. » Erdogan a durement critiqué le gouvernement allemand pour l’avoir empêché d’adresser son message par lien vidéo au rassemblement des quelque 40.000 personnes réunies la semaine dernière à Cologne contre la tentative de coup d’Etat. « Où est la démocratie [en Allemagne]? » s’était-il exclamé en affirmant que les autorités allemandes avaient permis au PKK de retransmettre une conférence vidéo des Montagnes de Qandil en Irak. « Qu’ils nourrissent les terroristes, ils se retourneront contre eux, tel un boomerang, » a-t-il dit. Il a repris sa position que la décision de réintroduire la peine de mort en Turquie serait laissée à l’appréciation des législateurs turcs, précisant, « J’accepterai le rétablissement de la peine de mort si le parlement l’approuve. »

Le “Rassemblement pour la démocratie et les martyrs” à Istanbul a suscité une couverture des médias aux Etats-Unis et en Europe. Mais, en conformité avec leurs gouvernements, ils se sont surtout concentrés sur les enquêtes et suspensions d’après le coup d’Etat et « la démonstration de force [d’Erdogan] après la tentative de coup d’Etat » (Reuters). Les médias internationaux ont à peine traité les raisons et les lourdes conséquences de la tentative de coup d’Etat qui a coûté la vie à des centaines de civils et qui fut déjoué par une opposition de masse.

Largement isolés de leurs alliés occidentaux, Erdogan et son gouvernement utilisent efficacement l’opposition de masse au coup d’État pour renforcer leur position par rapport aux Etats-Unis et à l’Allemagne – les puissances qui ont apparemment soutenu la tentative de coup – en promouvant le nationalisme. C’est ainsi que le premier ministre Binali Yildirim a déclaré que la tentative de coup avait unifié le pays. « Chaque coup d’Etat qui ne nous tue pas, nous renforce. Comme c’est le cas ici et maintenant, » a-t-il dit, tandis qu’Erdogan faisait référence à « la foi et à la détermination de cette nation. » [...]

Depuis le remplacement fin mai du premier ministre Ahmet Davutoglu par Binali Yildirim, le gouvernement AKP a montré des signes croissants de changement radical dans la politique étrangère du pays, notamment au Moyen-Orient. Dès son entrée en fonction, Yildirim a dit que son but était d’accroître le nombre des amis de la Turquie et de réduire le nombre de ses ennemis. Il a rapidement cherché, en juin dernier, à restaurer les relations dégradées avec la Russie et Israël, et exprimé sa volonté d’en faire de même avec l’Irak, l’Égypte et même la Syrie.

Les puissances occidentales ne sont cependant pas prêtes à accepter un rapprochement entre Istanbul, Moscou et Damas. La Turquie a récemment joué un rôle clé dans la guerre de changement de régime soutenue par les Etats-Unis en Syrie et dans l’agression de l’OTAN contre la Russie. « Ce soutien est désormais menacé », prévenait le Wall Street Journal dans un récent article. Selon ce journal, un grand nombre de gradés et d’officiers du renseignement turc impliqués dans l’acheminement d’argent et d’armes en soutien à des rebelles en grande partie islamistes en Syrie, comme le commandant de la 2ème armée, responsable des frontières avec la Syrie et l’Irak, ont été arrêtés pour avoir participé au coup d’Etat. « Les généraux qui avaient dirigé la politique turco-syrienne et la politique concernant les Kurdes de Syrie sont tous en prison et nous assistons maintenant à l’effritement de l’establishment sécuritaire turc, » a dit Gonul Tol, le directeur du Centre d’études turques de l’Institut du Moyen-Orient, basé à Washington. « C’est ce qui rend la Turquie très vulnérable et faible, et la rendra moins encline à rechercher la confrontation. »

Halik Celik