Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
347C’est un incident sans véritable signification politique, mais un incident tout de même peu ordinaire. Il nous semble qu’il est assez significatif pour mériter quelques observations. Cela se passe à l’ONU, hier, à une session du Conseil de Sécurité. L’ambassadeur US Zalmay Khalilzad, qui préside le Conseil, prend la parole et lit le document présentant la position officielle du Conseil sur le Darfour, décidée après de longues discussions. Il lit et détaille une position très dure contre le gouvernement soudanais. Un moment de silence, puis intervention du Russe : “mais ce n’est pas le texte sur lequel nous nous sommes mis d’accord”. On se consulte, on relit : oui, oui, on s’est trompé, Zalmay Khalilzad a lu un mauvais texte. (La position du Conseil est beaucoup plus nuancée, édulcorée, etc.) On fait comme si cette réunion n’avait jamais eu lieu, on recommence avec le bon texte…
Précisions sur cet incident par Reuters, hier soir :
«U.S. Ambassador Zalmay Khalilzad had to reconvene the U.N. Security Council and rerun a meeting on Friday after reading the wrong statement on Sudan, effectively wiping an entire council session out of history.
»At the first session, Khalilzad, current president of the council, read out a hard-hitting statement denouncing aerial bombardment in the troubled Darfur region in a clear critique of the Sudanese government.
»When the session ended, Russian Ambassador Vitaly Churkin was the first to point out that the statement was not the one that the council's 15 members had agreed, participants said.
»After about 10 minutes, officials managed to corral diplomats wandering off for the weekend back into the council chamber. Khalilzad opened a new meeting under the same serial number at which he read out a more anodyne statement that just urged all parties in Darfur, rebels included, to end violence.
»“He read an old version” of the statement at the first meeting, U.S. mission spokesman Benjamin Chang said of Khalilzad. “That first one (session) never happened.” U.N. officials agreed that in effect the earlier session had been superseded.
»Khalilzad's only admission of error at the second meeting was when he concluded by saying with a grin: “The meeting IS adjourned,” stressing the word “is.”
»Afterward, he told reporters: “There were two words that were there in the first statement that shouldn't have been there. It was late in the day, Friday, administration under a degree of stress, but you know, we're all human beings, it happens.”»
Khalilzad exagère dans le sens de minimiser la chose, pour minimiser son erreur qui pourrait n’être pas loin d’être considérée comme une faute. Il s’agissait bien plus que de deux mots de trop, d’après les témoignages de ces réunions. Les deux textes étaient très différents, essentiellement par le sens, entre un texte mettant en accusation le seul gouvernement soudanais et un texte invitant toutes les parties (y compris les rebelles) à cesser les violences et à négocier.
Khalilzad ne s’est aperçu de rien, mais aussi nombre des auditeurs. On ne fera pas à l’ambassadeur US l’injure de croire qu’il a agi délibérément. Il s’agit plutôt d’un exemple du fonctionnement des grands organismes et aussi des gouvernements nationaux qui, tous, dépendent de vastes bureaucraties pour énoncer une politique et les prises de position qui en découlent. Ces processus bureaucratiques diluent à la fois les responsabilités et les engagements personnels de jugement. Ils diluent également l’esprit critique et la perception active des individus. L’erreur exposée ici est spectaculaire et, par conséquent, promise à être rapidement réparée. Mais il existe aussi des erreurs plus subreptices, des implications moins visibles qui ne sont pas redressées, qui ne sont souvent même pas identifiées. Cela conduit à des engagements qui ne correspondent pas nécessairement aux politiques décidées, jusqu’à un point où, de gauchissements en gauchissements (terme technique et non idéologique), on parvient à des changements très importants.
L’un des effets préventifs de ces risques inhérents au processus bureaucratique est de rechercher une homogénéisation maximale, pour éviter justement que les risques soient trop graves et leurs effets trop dommageables. On se trouve dans une situation de système, où la psychologie humaine est directement mise en cause et souvent emprisonnée dans des processus qui la contraignent, où les jugements sont par conséquent eux-mêmes contraints. Cette situation d’automatisme réduit le rôle humain parfois dans une mesure considérable. On serait sans doute étonné de découvrir combien de politiques, combien de décisions aujourd’hui sont dues à ces caractéristiques. Cela ne joue nullement dans un seul sens ; l’homogénéisation ne va pas nécessairement dans le sens de la modération comme on pourrait en faire l’hypothèse mais dans le sens du conformisme de la pensée. L’on sait depuis le 11 septembre 2001 que ce conformisme va dans le sens de l’extrémisme et de la radicalisation systématiques.
Mis en ligne le 26 mai 2007 à 10H23