Erreurs de guerre

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Erreurs de guerre


3 juillet 2002 — La dernière "erreur" en date de l'U.S. Air Force, avec un bilan provisoire de 40 tués et de plus de 100 blessés dans une noce d'un village afghan, a reçu une singulière publicité. Jusqu'alors, les nombreuses autres "erreurs" américaines étaient passées relativement inaperçues, à cause de diverses circonstances extérieures. Cette fois, à cause de cette publicité qui ne fait que mettre en lumière une réalité constante dans la campagne en Afghanistan, il s'agit d'un problème général pour les Américains, problème de crédibilité de l'action militaire, problème de mise en cause de méthodes brutales, problème à la fois diplomatique et de crédit moral pour les États-Unis.

La réaction US initiale, essentiellement du Pentagone, a été conforme à l'habitude, mais cette fois on s'en est aperçu, — réaction bureaucratique où la vérité est sacrifiée aux intérêts bureaucratiques en cause, aux intérêts politiques des uns et des autres, à la prudence allant jusqu'à la désinformation. Lorsque tout cela apparaît publiquement, comme c'est le cas depuis lundi, la réaction apparaît elle-même inepte, inappropriée, grossière, avec des variations et des arguments inadmissibles, — ce qu'elle est finalement, eu égard à la réalité des événements dont elle prétend rendre compte. Si l'on ajoute à cela certains aspects aussi malheureux, — mais compréhensibles selon la logique bureaucratique, —que l'absence d'excuses comme réaction immédiate (elles viendront plus tard et ce sera trop tard pour l'effet public), on aboutit à l'une des plus significatives catastrophes de relations publiques de l'époque post-9/11. Une bonne illustration de cette situation du Pentagone bataillant, ou plutôt chipotant avec la réalité de l'attaque par ses pilotes de la noce dans le village afghan est donnée par l'extrait ci-dessous de l'article du Guardian du 2 juillet :

« But a US spokesman claimed yesterday that the shooting was "not consistent" with a wedding, saying that the planes had come under attack. "Normally when you think of celebratory fire... it's random, it's sprayed, it's not directed at a specific target," said Colonel Roger King at the US airbase at Bagram. "In this instance, the people on board the aircraft felt that the weapons were tracking them and were [trying] to engage them." The US planes - including a B-52 bomber and an AC-130 helicopter gunship - dropped seven 2,000lb bombs, he added.

» His unapologetic tone, after one of the worst blunders of the US-led coalition's nine-month war in Afghanistan will infuriate locals, who said most of the dead were women and children. »

Pour le reste, qui est l'essentiel finalement, la "bavure" de l'U.S. Air Force ne fait qu'illustrer, non seulement le type de campagne menée par les Américains en Afghanistan, mais aussi le fonctionnement désormais structurel des forces armées US. On voit confirmée, de façon dramatique, la pénétration totale des structures militaires américaines par la notion de Force Protection. Celle-ci explique les circonstances principales ayant mené à cette "erreur", comme d'ailleurs les précédentes "erreurs" dépendant en général de circonstances assez proches.

• Pas d'engagements offensifs terrestres significatifs. Depuis les catastrophiques opérations du printemps (dont l'opération Anaconda), les forces US semblent être revenues à leur choix initial : engagement terrestre minimal, de crainte de se trouver dans des situations incontrôlables, de risquer des pertes, etc. Les seules forces terrestres sont quelques unités des Special Forces, le plus souvent avec des Afghans qui les informent, souvent faussement d'ailleurs ; le rôle de ces forces est de guider, de loin, les armes de précision larguées par l'aviation vers ce qui est supposé être un objectif déterminé par le renseignement (tout cela, évidemment, très douteux, et en général suivi d'aucune vérification).

• Cette présence au sol de forces assurant un soi-disant Forward Ground Control remplace les FAC traditionnels (Forward Air Control), qui étaient, du temps du Viet-nâm, des petits avions lents d'observation, chargés de repérer les objectifs visuellement et de guider l'aviation dessus. Les FAC assuraient une certaine vérification visuelle des renseignements donnés, ce qui n'est pas le cas des FGC des special Forces, qui sont loin des objectifs et se contentent d'assurer le travail du guidage ("éclairage" des cibles). Bien entendu, la cause de l'abandon des FAC est que ces unités faisaient un travail très risqué et dangereux, trop pour les consignes actuelles de la Force Protection.

• Les patrouilles aériennes de combat sont effectuées par des appareils lourds et extrêmement puissants, dont on attend que l'intervention sera décisive. Il s'agit, dans ce cas, de B-52 et d'AC-130 Spectre. Leur puissance de feu et leurs caractéristiques généraux impliquent également de très faibles, voire aucune capacité(s) d'identification visuelle. Ces appareils se reposent uniquement sur l'information qui leur est transmise par les moyens de communication habituels des forces armées US et disposent d'appareillage d'observation électronique souvent inappropriés pour disposer certaines nuances de la réalité afghane. Bien entendu, ce choix d'intervention est dicté, notamment, par le fait que ces appareils sont relativement invulnérables au feu possible venant du sol, par rapport aux moyens supposés d'Al Qaïda, et aussi parce qu'on attend de la puissance de feu employée qu'elle limite le nombre d'interventions nécessaires et, par conséquent, les risques encourus.

Ces différents points tactiques décrivent une méthode de guerre américaine dont le résultat ne peut être qu'une inefficacité constante dans la chasse aux terroristes, et des risques très grands d'"erreurs" comme celle qu'on décrit ici. On y ajoutera le climat psychologique créé au sein des forces armées par les nécessités de la Force Protection, qui explique par exemple les réactions très violentes à la moindre intervention qui pourrait ressembler à une agression (tirs de AK-47 en l'air lors d'une fête de mariage, par exemple). Ce comportement US commence à poser de graves problèmes de coopération, notamment avec les Britanniques qui ne se privent plus de critiquer les Américain. Il s'agit finalement d'une interrogation générale sur le sens de la guerre en Afghanistan, en même temps que sur ces conditions. Voilà ce qu'en dit le journaliste indépendant britannique Brendan O'Neill :

« For US forces that are fearful of getting too stuck into this dangerous, alien territory, any large gathering of people is immediately suspect – and any large gathering of people that fires AK-47s in celebration may as well have signed their own death warrants. US forces cannot tell one ‘towel-head’ from another, and sometimes just opts to blast them all.

» All of this illustrates an important point: the fact that the Afghan war has little coherence or direction doesn’t make it any less bloody than traditional warfare. Indeed, as hundreds discovered today, a war without aim fought from on high is a dangerous and deadly affair. »