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899On connaît bien le journaliste, auteur et activiste brésilien Pépé Escobar, l’une des plus réputées et des plus brillantes plumes de l’activisme altermondialiste et antiSystème. Il rencontre épisodiquement Tom Engelhardt, autre grand nom du genre avec son site TomDispatch, pour une chronique qui reprend en général toutes les idées qu’il développe pour la période ; en général, d’ailleurs, la courte présentation qu’Engelhardt fait du texte d’Escobar (c’est sa formule, sur son site, pour chaque auteur qu’il reçoit) représente en elle-même, sans doute par inspiration et par émulation, une remarquable contribution au sujet traité par Escobar. Dans cette chronique du 26 avril 2012, le sujet abordé est l’arrivée au niveau d’une puissance effective du groupe BRICS, comme d’une entité capable de s’imposer face à l’Ouest, à notre bloc BAO, d’une façon si efficace qu’elle pourrait être perçue comme ayant des chances raisonnables d’être victorieuse.
Dans son introduction, Engelhardt présente l’idée de ce qu’il nomme le processus de “reverse-engineering”, selon l’idée bien connue de la capacité de retourner contre ceux qui l’ont créée et l’ont utilisée toute la puissance du progrès destructeur, éventuellement du système du technologisme principalement. Il cite notamment le cas du RQ-170 capturé par les Iraniens, et dont ces mêmes Iraniens viennent d’annoncer qu’ils étaient au terme du processus de l’exploitation des technologies de ce système et prêts à les utiliser pour leur compte. Il faut noter qu’Engelhardt pose, à la fin de son introduction, une question fondamentale, autour de laquelle se développe toute notre réflexion, de savoir s1 l’opposition au bloc BAO, cette fois dans le chef du BRICS, n’est pas, plus qu’un possible changement d’hégémonie, une phase terminale du Système, – le système antiSystème terminal qui conduira à un effondrement général, – et effondrement absolument nécessaire, évidemment.
«Last December, a super-secret RQ-170 Sentinel, part of a far-reaching program of CIA drone surveillance over Iran, went down (or was shot down, or computer-jacked and hacked down) and was recovered intact by the Iranian military. This week, an Iranian general proudly announced that his country’s experts had accessed the plane’s computer – he offered information he claimed proved it – and were now “reverse-engineering” the drone to create one of their own.
»Most or all of his claims have been widely doubted, derided, or simply dismissed in our world, and for all I know his was indeed pure bluster and bluff. But if so, it still managed to catch an urge that lay behind a couple of hundred years of global history: to adapt the most sophisticated aspects of the West to resist the West. That urge has been essential to the way our planet has developed. After all, much of the last two centuries might well be headlined in technological, economic, and even political terms, “The History of Reverse-Engineering.” […]
»Whatever the successes and failures of that process, the question today – as the U.S. declines, Europe stagnates, and the explosive BRICS countries head for center stage – is perhaps this: Can reverse-engineering really take us any farther, or will it in the end simply take us down? Isn’t it time for something new in the engineering universe or perhaps for the coming of reverse-reverse-engineering somewhere on this weather-freaky, overtaxed planet of ours?»
Escobar prend donc le relais, pour développer à la fois un historique précis et fouillé du BRICS, et des conditions dans lesquelles ce groupe, appelle d’ailleurs à se développer (Escobar parle, dans sa fougue analytique et prévisionniste, de “BRIIICTSS”), pourrait s’imposer contre le bloc BAO. Il détaille les positions du bloc BAO au travers de certaines de ses postures principales et de certains de ses théoriciens, pour terminer sur Zbig Brezinski et Hillary Clinton, et le probable échec final de leurs théories d’hégémonie mondiale et sans fin.
«Goldman Sachs – via economist Jim O’Neill – invented the concept of a rising new bloc on the planet: BRICS (Brazil, Russia, India, China, South Africa). Some cynics couldn’t help calling it the “Bloody Ridiculous Investment Concept.” Not really. Goldman now expects the BRICS countries to account for almost 40% of global gross domestic product (GDP) by 2050, and to include four of the world’s top five economies.
»Soon, in fact, that acronym may have to expand to include Turkey, Indonesia, South Korea and, yes, nuclear Iran: BRIIICTSS? Despite its well-known problems as a nation under economic siege, Iran is also motoring along as part of the N-11, yet another distilled concept. (It stands for the next 11 emerging economies.)
»The multitrillion-dollar global question remains: Is the emergence of BRICS a signal that we have truly entered a new multipolar world? […]
»…For all that military strength, however, it’s worth keeping in mind that this is distinctly a New World (and not in North America either). Against the guns and the gunboats, the missiles and the drones, there is economic power. Currency wars are now raging. BRICS members China and Russia have cordilleras of cash. South America is uniting fast. The Putinator has offered South Korea an oil pipeline. Iran is planning to sell all its oil and gas in a basket of currencies, none dollars. China is paying to expand its blue-water Navy and its anti-ship missile weaponry. One day, Tokyo may finally realize that, as long as it is occupied by Wall Street and the Pentagon, it will live in eternal recession. Even Australia may eventually refuse to be forced into a counterproductive trade war with China.
»So this twenty-first century world of ours is shaping up right now largely as a confrontation between the U.S./NATO and the BRICS, warts and all on every side. The danger: that somewhere down the line it turns into a Full Spectrum Confrontation. Because make no mistake, unlike Saddam Hussein or Muammar Gaddafi, the BRICS will actually be able to shoot back.»
On observera ce raisonnement dans un état esprit attentif et retenu, c’est-à-dire en se demandant s’il faut vraiment souscrire à l’idée que le bloc BAO est encore capable d’agir d’une façon cohérente dans le but construit et cohérent d’une hégémonie, – ce qui nous semble improbable. Cela nous amènerait donc à l’hégémonie du BRICS devenu BRIIICTSS ? Cela non plus ne nous semble pas le plus assuré et, en vérité, l’idée implicite de la fin du Système dans lequel même les BRICS/BRIIICTSS sont inclus, nous semble une issue à envisager avec le plus grand sérieux.
Mais il y a surtout un curieux passage dans le texte d’Escobar, où il parle de la France et de ce qui pourrait être un possible futur “président Hollande”. Escobar lui prête des intentions qui rejoignent l’idée d’Emmanuel Todd selon lequel Hollande pourrait s’avérer révolutionnaire ; il prête au futur président des projets politiques qu’on croirait pêchées chez un Mélenchon plutôt que chez Hollande-candidat. Voici le passage, qui étonnera plus d’un commentateur sceptique en présentant l’hypothèse de la France redevenue soudainement une force antiStystème et menant à l'intérieur du bloc BAO la révolte contre le Système :
«It will be fascinating to see what the possible election of socialist François Hollande as French president might mean. Interested in a deeper strategic partnership with the BRICS, he is committed to the end of the U.S. dollar as the world’s reserve currency. The question is: Would his victory throw a monkey wrench into NATO’s works, after these years under the Great Liberator of Libya, that neo-Napoleonic image-maker Nicolas Sarkozy (for whom France was just mustard in Washington’s steak tartar).
»No matter what either Dr. Zbig or Hillary might think, most European countries, fed up with their black-hole adventures in Afghanistan and Libya, and with the way NATO now serves U.S. global interests, support Hollande on this…»
Bref, il nous semble qu’à première vue, c’est beaucoup prêter, en intentions et en capacités d’action, à un éventuel “président Hollande”. Il reste qu’on perçoit, chez Escobar, une vision inconsciente et instinctive, sinon intuitive, de la France qui correspond à une perception exceptionnaliste persistant à faire de ce pays quelque chose qui est à part dans le bloc BAO, et donc de potentiellement capable de se révéler antiSystème. C’est un privilège de la pensée intuitive dont bénéfice la France, et aucun autre pays du bloc BAO.
Dans le rapide mais éclairant passage qui est cité, subsiste l’impression que Sarko et son allégeance entropique au Système est implicitement perçu comme une catastrophique exception dans le cours de la politique traditionnelle de la France, elle-même exceptionnelle, – par conséquent, Sarko comme exception négative d’une politique exceptionnelle positive. Il y a là un rappel du Chirac des années 2002-2003 (sur l’Irak) et, plus généralement, du sens profond que la vision gaullienne a développé depuis un demi-siècle, en confirmation du rôle historique que tient nécessairement la France. Cela fait penser qu’il suffirait effectivement d’une inflexion de la politique française dans le sens évoqué, avec un nouveau président, pour que la France retrouve toute sa vraie place dans le concert du bloc BAO et dans la perception des forces extérieures au bloc, c’est-à-dire la place d’une dynamique antiSystème dans le concert du Système. (C’est la fameuse et traditionnelle posture de la France, à la fois “en dedans” et “en dehors”, inscrite dans l’ensemble-Système et pourtant d’instinct et d’intuition comme antiSystème.)
Ce que nous relevons là n’est ni une réalité ni une prévision, – pour cette sorte d’hypothèse, nous sommes loin d’être encore fixé, – mais simplement le constat que la potentialité antiSystème de la France reste une réalité intellectuelle présente dans les esprits, malgré l’expérience catastrophique des cinq dernières années, malgré l’accélération remarquable de la décadence de la politique française qui en a résulté. Dans le rôle qui est le sien actuellement, qu’on le veuille ou non, la France se trouve, dans l’expérience et la psychologie historique des esprits, à contre-emploi par rapport à sa tradition, par rapport à l’essence de ses conceptions. C’est une réalité métahistorique qu’il faudrait peu de choses pour réactiver, provoquant ainsi une dynamique irrésistible qui entraînerait la France dans ses retrouvailles avec sa nature profonde. Il ne s’agit de rien de plus qu’un point d’interrogation aujourd’hui présent dans la situation politique, – mais rien de moins non plus.
Mis en ligne le 27 avril 2012 à 06H52
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