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19 janvier 2007 — Les attaques contre BAE et les revers de cette société s’accumulent. Bien entendu, on sait le rôle qu’a joué dans cette situation le scandale Yamamah, qui est d’ailleurs toujours d’actualité, cette fois dans les eaux dangereuses pour la bonne réputation du Royaume-Uni de l’OCDE. L’OCDE a effectivement décidé que le Royaume-Uni méritait un avertissement sérieux. Il compte revenir sur le cas en mars prochain, après enquête approfondie et avec un rapport circonstancié.
Epuisés par ces pressions, les ministres du gouvernement Blair sont conduits à nous confier ce secret extraordinaire que BAE «n’est pas au-dessus des lois». On en chancelle, abasourdi par la vigueur de la révélation. («Yesterday, [(17 January)…] Lord Goldsmith, the Attorney-General, said that BAE Systems was not “beyond the law”. In a letter to Sir Menzies Campbell, the leader of the Liberal Democrats, he said that he had told the Serious Fraud Office to pursue other investigations into BAE contracts “vigorously”.»)
Hier, le même Lord Goldsmith déclarait devant ses pairs, commentant le communiqué de l’OCDE : «It is very important to make it clear that dropping the investigation into alleged bribes paid by BAE Systems — and it was not an entirely comfortable decision — doesn't mean we are backing off in any way from our commitment to tackling international corruption. On the contrary, I am clear we should re-double our efforts. I have told the director of the Serious Fraud Office that he should vigorously pursue current investigations, which include a number of other cases against BAE, and that we need to do all we can to make sure that he has the resources to do so.»
Il faut tout de même faire un recomptage des mises en cause de BAE ces dernières semaines.
• Bien sûr, il y a Yamamah. Le sauvetage in extremis de tout le système-BAE fondé sur cette architecture de corruption mise en place depuis 1985 pourrait s’avérer sur le terme une étonnante victoire à la Pyrrhus.
• Les suites de ce qui aurait dû être une conclusion de cette affaire sont connues, et embarrassantes, — jusque et y compris des prises de position embarrassantes de forces qu’on croyait acquises au groupe industriel de l’armement.
• … L’affaire va jusqu’à impliquer la mauvaise humeur du fameux Intelligence Service, ou MI6, qui a refusé de signer un document du gouvernement garantissant la vertu de la décision prise le 15 décembre dernier d’abandonner l’enquête.
• Dans l’intervalle, deux marchés suspects, l’un en Afrique du Sud et l’autre en Tanzanie sont apparus au grand jour. Les limiers du Serious Fraud Office s’en occupent.
• Dans l’intervalle (bis), l’increvable Guardian, qui s’avère le plus précieux auxiliaire du SFO, révélait que les patrons du groupe, Mike Turner et Dick Evans, sont nommément désignés dans un document compromettant du SFO :
«BAE's chief executive, Mike Turner, is named along with the former chairman, Sir Dick Evans, and two other executives, in a document dated June 26 last year.
»The document is a request for mutual legal assistance sent from the SFO in London to authorities in South Africa, where a £1.5bn aircraft deal with Britain is under investigation. The SFO's dossier says: “There is reasonable cause to believe that all the above-named persons and company have committed offences of corruption.” It was leaked to the Mail & Guardian, a Johannesburg newspaper.»
On ne doit pas parler de concertation dans toutes ces attaques (théorie du “complot”). On doit plutôt constater l’évidence : le poids pris par BAE, la crudité de ses actions, la façon exempte de vergogne que cette société pratique dans l’art de la corruption, l’impression qu’elle donne de se croire “au-dessus des lois”, l’impression qu’elle donne également d’exercer par son influence un empire sans limite sur les forces politiques, et d’en user sans vergogne, — tout cela semble exacerber les oppositions après la cristallisation du cas avec Yamamah. Que ce soit le SFO, le Guardian, le parti libéral, l’OCDE ou la City, il semble qu’on commence à être excédé par BAE.
Il apparaît que cette séquence d’événements est autre chose qu’anecdotique. On distingue un courant de contestation s’exprimant dans différents milieux influents et qui trouve une ample justification dans les diverses activités de BAE. Si Yamamah est le détonateur et l’une des principales causes de cette réaction, c’est finalement toutes les activités, la façon d’être et d’agir de BAE qui sont en cause. La chose est d’autant plus importante que BAE représente, par un concours de circonstances autant que par l’orientation et la puissance de ses activités, un phénomène dépassant largement le cadre industriel ou de la fabrication et du commerce des armements. BAE est devenu en vingt ans (depuis les premiers contrats Yamamah) un phénomène d’influence et de contrôle politiques, à la fois britannique et transatlantique. (Sur l'historique des contrats Yamamah, on peut lire notre Analyse de ce jour.)
Le passage de BAE de la sphère britannique à la sphère transatlantique, avec son “américanisation”, s’est fait depuis 1998-99. Aujourd’hui, BAE est un des principaux contractants du Pentagone. La société britannique est devenue une partie du complexe-militaro-industriel (CMI) américaniste, et une partie importante en raison de l’influence qu’elle exerce au Royaume-Uni et pour le maintien des relations spéciales impliquant l’alignement du Royaume-Uni sur les USA.
C’est dans ce contexte général qu’il faut apprécier l’attaque lancée contre BAE. Il faut d’abord mesurer combien cette attaque est diverse. L’exaspération à l’encontre de BAE se manifeste aussi bien dans des milieux politiques, financiers, bureaucratiques et juridiques. Il ne s’agit pas d’une opération marginale de “moralisation” ni d’une opération idéologique d’opposition au “marchand de canons” qu’est BAE, — toutes circonstances promises à l’échec en raison de la marginalisation et de l’irresponsabilité politique qu’elles impliquent. Il s’agit d’une réaction politique profonde, qui recèle des conséquences graves si elle va à son terme. Ira-t-elle à son terme, justement? L’engagement de l’affaire Yamamah devant l’OCDE, l’alacrité du SFO sur d’autres affaires BAE font penser que la réaction contre la société britannique n’est pas loin d’être hors de contrôle.
Les connexions de BAE avec le CMI américaniste rendent cette affaire extrêmement importante. Si les enquêtes et polémiques se poursuivent, on se trouverait de facto devant la première attaque sérieuse contre le CMI. Le fait qu’elle ne soit pas lancée en tant que telle, qu’elle soit inadvertante, avec certaines parties qu’on aurait crues plutôt favorables à BAE (la “City”), rendent la chose paradoxalement plus crédible. BAE ne s’attendait certainement pas à de telles attaques et, le plus souvent, il a négligé leur importance (c’est le cas des enquêtes du SFO) et leurs effets en s’appuyant sur son influence, laissant finalement se développer diverses offensives très dommageables. C’est dans cette sorte d’occurrence, où rien n’est vraiment prévu ni prévisible, que surviennent des accidents qui peuvent être dévastateurs pour les machines et les organisations les mieux structurées.
Il ne faut pas s’y tromper. BAE est un empire, qui a porté à son extrême le système de la corruption, de l’influence, de la collusion transatlantique et de son développement au cœur de ce complexe militaro-industriel dont le poids pèse si fortement sur les relations internationales. Aucune autre société, y compris Lockheed Martin aux USA, n’a une activité subversive et déstructurante si diverse, notamment dans cette mesure où BAE a assuré jusqu’ici une domination complète de l’establishment britannique. C’est sur ce point, peut-être, que les choses commencent à céder. L’attaque contre BAE, qui suit plus une réaction de la nature des choses qu’une réaction organisée, constitue un champ intéressant où envisager que le complexe militaro-industriel présente une vulnérabilité inattendue.