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323Les Britanniques nous ont habitués à leurs leçons, notamment celle d’avoir subtilement réussi à remplacer un empire par l’autre, celui sur lequel “le soleil ne se couche jamais” par celui de la City et de sa finance sur laquelle “le soleil ne se couche jamais”. Mais cette nouvelle version de l’empire est menacée de l’humiliation suprême: la perte de la notation AAA pour la City, la fameuse catégorie supérieure de la puissance et de la vertu financière.
La City fait flèche de tout bois pour nous assurer que cette humiliation n’arrivera jamais. Un article du Sunday Times du 10 janvier 2010 se fait l’écho de cette lutte intense. On y trouve, in fine, une amicale et tonitruante pression sur le pouvoir politique, celui d’après les élections du printemps, pour qu’il prenne les mesures d’austérité qui s’imposent, avec la réduction du déficit qui va avec, pour satisfaire les observateurs chargés des bonnes notes de la City.
«Leading City firms, including some of the biggest dealers in UK government bonds – gilts – say a downgrade of Britain’s AAA sovereign debt rating remains unlikely this year. This is despite a warning last week from Pimco, the world’s biggest bond-fund manager, which put the chances of a downgrade as high as 80%. Pimco’s warning was echoed by Neil Woodford, head of investment at Invesco Perpetual, who said there was a “high probability” of a downgrade.
»However, most experts pointed out that the rating agencies had signalled clearly that they would defer any decision on Britain’s AAA status until after the election. Any government, even a minority administration, would be expected to take further action to cut the deficit, they said. “There is a 50% chance of a hung parliament, but even in this event the rating agencies would give the new coalition government at least a month to agree on sufficient fiscal measures to retain the country’s AAA rating,” said Stuart Thomson, chief economist at Ignis Asset Management.»
@PAYANT On a rarement mis aussi fortement en évidence, dans cette courte nouvelle relayée obligeamment par le Times de Londres, la dépendance que la City et le système financier en général entendent imposer au pouvoir politique, essentiellement au pouvoir politique anglo-saxon puisque ce pouvoir politique anglo-saxon dit tout devoir au système financier d’une façon telle qu’il est ne jure que par lui. On a rarement mis aussi fortement en évidence, également, le procédé de chantage utilisé pour renouveler et renforcer cette dépendance, d’autant que la menace de suppression de la cotation AAA peut également être considérée, ceci n’excluant pas cela, comme une manœuvre permettant cette pression de chantage. La City annonce clairement la couleur: le prochain gouvernement devra adopter une politique d’austérité maximale si elle veut conserver la cotation AAA. L’“austérité maximale”, cela implique notamment des pressions accentuées sur la population, sur les dépenses sociales, les dépenses d’infrastructure, etc. La question des dépenses de défense sera également posée, avec l’absurdité de la charge de la guerre en Afghanistan et d’autres programmes tout aussi absurdes, tel l’engagement dans le JSF britannique.
La direction politique britannique est prise entre le marteau de la pression du système financier et l’enclume de l’aggravation de la situation économique et sociale alors qu’elle est elle-même une pauvre chose épuisée, et ces trois éléments plus graves sans aucun doute que dans aucun autre pays occidental. D’un côté, cette direction politique britannique tient ce qui lui reste de puissance, ou ce qu’elle croit qu’il lui reste de puissance, de la City en tant que place financière. Elle est donc, plus qu’aucune autre direction politique d’un autre pays, engagée à fond dans le soutien de la City. La cotation AAA fait partie des joyaux qu’il ne peut être question de sacrifier, tant toute l’influence et la prépondérance supposées de la City semblent en dépendre. D’un autre côté, le Royaume Uni est dans un état économique et social catastrophique et a besoin plus que jamais d’un gouvernement puissant, qui interviennent avec vigueur et efficacité. Le troisième élément est que, de toutes les façons, le gouvernement britannique est, per se, sans tenir compte des pressions de la City et des pressions économiques et sociales, dans une situation budgétaire catastrophique – elle aussi, sans aucun doute l'une parmi les plus catastrophiques comme résultat de la crise des pays de même catégorie – ce qui nous donne la situation inverse d’un “gouvernement puissant”.
Cette situation de triple impasse ne peut se résoudre selon la pensée ordinaire – celle qui a conduit à la crise – et, en attendant, puisqu’il n’y a aucun substitut à la “pensée ordinaire”, elle ne peut qu’alimenter les visions paranoïaques et schizophréniques. La plus remarquable de toutes est que l’essentiel de la vision “politique” de la direction britannique est aujourd’hui plus que jamais obnubilée par la City comme symbole ultime de sa puissance, comme une sorte de bouée de sauvetage si l’on veut. D’autre part, cette même City, qui a été une des causes fondamentales de la catastrophe puisqu’elle est un maillon essentiel du système financier, est un boulet qui risque d’entraîner le Royaume-Uni vers le fond en lui imposant une politique économique d’austérité qui aura des conséquences évidentes d’aggravation d’une situation déjà extrêmement difficile, sans parler des risques d'instabilité sociale et politique. La City est, pour la direction politique britannique, à la fois la bouée de sauvetage qui vous maintient à la surface et le boulet qui vous entraîne vers le fond. C’est une fulgurante illustration du système arrivée à son stade zéro de catastrophe.
Mis en ligne le 11 janvier 2010 à 06H51
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