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915…En Afghanistan apparaît un phénomène redoutable: une chute bien préoccupante du moral des G.I.’s. Le Times de Londres publie, le 8 octobre 2009, un long article sur le moral des forces US en Afghanistan. Le texte est écrit à partir du témoignage de deux chapelains aux armées, qui viennent de passer 9 mois dans diverses unités US en opérations. Un seul mot: une confusion totale des esprits, avec le moral à mesure, qui est une bonne façon de définir cette “guerre” si étrange, sans queue ni tête, sans front, sans victoire ni défaite, sans but ni stratégie, qui dure depuis huit ans et dont on débat à Washington lisant des bouquins sur la guerre du Vietnam, pour savoir comment commencer la guerre en Afghanistan…
«American soldiers serving in Afghanistan are depressed and deeply disillusioned, according to the chaplains of two US battalions that have spent nine months on the front line in the war against the Taleban. Many feel that they are risking their lives — and that colleagues have died — for a futile mission and an Afghan population that does nothing to help them, the chaplains told The Times in their makeshift chapel on this fortress-like base in a dusty, brown valley southwest of Kabul.
»“The many soldiers who come to see us have a sense of futility and anger about being here. They are really in a state of depression and despair and just want to get back to their families,” said Captain Jeff Masengale, of the 10th Mountain Division’s 2-87 Infantry Battalion. “They feel they are risking their lives for progress that’s hard to discern,” said Captain Sam Rico, of the Division’s 4-25 Field Artillery Battalion. “They are tired, strained, confused and just want to get through.” The chaplains said that they were speaking out because the men could not.»
Les conditions opérationnelles sont toutes marquées par la confusion, l’absence d’identification de l’ennemi, etc. «The soldiers complain that rules of engagement designed to minimise civilian casualties mean that they fight with one arm tied behind their backs. “They’re a joke,” said one. “You get shot at but can do nothing about it. You have to see the person with the weapon. It’s not enough to know which house the shooting’s coming from.” […]
»The men are frustrated by the lack of obvious purpose or progress. “The soldiers’ biggest question is: what can we do to make this war stop. Catch one person? Assault one objective? Soldiers want definite answers, other than to stop the Taleban, because that almost seems impossible. It’s hard to catch someone you can’t see,” said Specialist Mercer.
»“It’s a very frustrating mission,” said Lieutenant Hjelmstad. “The average soldier sees a friend blown up and his instinct is to retaliate or believe it’s for something [worthwhile], but it’s not like other wars where your buddy died but they took the hill. There’s no tangible reward for the sacrifice. It’s hard to say Wardak is better than when we got here.”»
La conclusion est donnée par l’un des chapelain interrogé, le capitaine Masengale. Une guerre sans cause, des soldats sans cause, vieille histoire… «Captain Masengale, a soldier for 12 years before he became a chaplain, said: “We want to believe in a cause but we don’t know what that cause is.”»
@PAYANT On conviendra, sans pour autant signifier de position impliquant la moindre sympathie pour les combats en cours du fait de l’Occident, et des USA en particulier, que ce désarroi des soldats a la vertu d’aller à l’essentiel. La question sur la cause est certainement, effectivement, le cas essentiel: «We want to believe in a cause but we don’t know what that cause is.» Après tout, c’est bien la question centrale qui concerne toutes les expéditions anarchiques et désordonnées, lancées depuis huit ans, après le conflit du Kosovo en guise de prémisses: pourquoi sont-elles lancées, quelle est leur cause centrale? On répond par des slogans ficelés de-ci de là et qui correspondent à nos obsessions et à nos pathologies, à nous, en Occident, et pas en Afghanistan; soit humanitaires, pêchés dans les salons de Goeorgetown et de Saint-Germain-des-Près, soit guerriers, pêchés dans les think tanks extrémistes de Washingon, les deux milieux ayant d’ailleurs la vertu de s’échanger régulièrement leurs arguments. On s’accorde donc sur des “causes” qui sont des artefacts de la pensée aussi courte que momentanée de la communication qui nous fait office de politique, de stratégie et de vision du monde pareillement. Pendant ce temps, à Washington, dans un progrès conceptuel décisif, on s’est mis à débattre littérairement de la débacle vietnamienne, ses tenants et ses aboutissants.
Les soldats posent donc les questions essentielles et ce qu’on nous dit de leur moral montre qu’ils approchent du terme de leur capacité de combattre. Ce qui nous en est rapporté commence à ressembler singulièrement aux échos venus du Vietnam, du moral des forces US, à partir de 1968. Encore s’agissait-il d’une période où l’on avait annoncé le commencement du retrait US – et cela, c’était devenu une “cause”, même si paradoxale, à la guerre catastrophique en cours. Au lieu que, dans le cas afghan, on penserait donner une nouvelle impulsion victorieuse à la guerre, ou dans le sens d’une amélioration qui puisse passer pour une victoire. Peut-être certains chefs US et certains parlementaires ont-ils encore “le moral” pour relancer une nième fois cette guerre qui n’a pas encore commencé, mais les soldats ne l’on plus, malgré que la guerre n’a pas encore commencé. Il est difficile d’envisager qu’une stratégie victorieuse puisse être montée et exécutée avec des forces si complètement désorientées et démoralisées, quelles que soient les vertus diverses du plan McChrystal, et d’ailleurs en sachant que ce plan ne sera pas appliqué dans son entièreté et qu’on finira par décider une demie mesure – un pas en avant, un pas sur place, une esquisse de pas en arrière…
Mais la réalité, elle, est bien plus préoccupante pour le Pentagone et pour Washington, ou elle devrait l’être si on faisait son métier à Washington et au Pentagone. D’une part, c’est que ce désarroi et ce moral épouvantable n’ont rien à voir avec des facteurs annexes ou factices, même en partie (comme la drogue au Vietnam), et tout à voir avec la réalité de la guerre. Par conséquent, il est appelé et à durer, et à s’amplifier, à moins d’une offensive éclair victorieuse qui supposerait une capacité militaire que n’ont plus les forces US et encore moins leur direction, qui supposerait une unité et une volonté politique qui n’existe pas à Washington. Dans ce cas, ce facteur du désarroi et du moral va jouer un rôle déterminant et, peut-être, constituer le facteur essentiel qui pourrait faire basculer une guerre marquée par une confusion opérationnelle mais qui permet tout de même de contenir à peu près les pires revers, à un désastre militaire réel. Ce facteur nouveau pourrait effectivement, par e biais d’un désastre éventuel, transformer la crise afghane courante à Washington en une occasion d’une crise de régime majeure, à Washington toujours.
Donc, étrange retour des choses, de ces troupes envoyées en expédition pour “conquérir les cœurs et les esprits”, selon les salons occidentalistes qui pensent en moralistes stratégique, et ces troupes qui ont perdu là-bas leur cœurs et leurs esprits. Ou bien, plus simplement dit, une morale de l’histoire conforme à ce qu’ion pouvait craindre de pire.
Mis en ligne le 9 octobre 2009 à 05H46
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