Et la conquête, de repartir...

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C’est un peu comme une fièvre récurrente, une réplique régulière de paludisme, une mauvaise maladie infantile (pour l’esprit de la chose) qui revient… Dès qu’un événement obtenu en général après bien des vicissitudes et sans très bien savoir à quoi il servirait se dessine d’une façon qui pourrait faire penser à une “victoire”, le système de la communication s’y met. On empile les narratives. La “victoire” en Libye a donc aujourd’hui nombre de parrains, d’inspirateurs, de stratèges et ainsi de suite et les “Grands Jeux” divers, sinon contradictoires, se découvrent.

Vieil habitué de la rhétorique impériale-neocon, chef de l’enquête officielle sur 9/11 et donc parfait maître en dissimulation, en faux et usage de faux, Philip Zoelick prend sa plume la plus impériale pour nous expliquer que la Libye est un nouveau commencement. Cela se passe dans le Financial Times et il n’est pas vraiment utile de s’y attarder (à l’article et à ses détails).

• En général, les adversaires de l’ordre établi, eux-mêmes déjà établis dans cette opposition depuis des décennies, et qui ont donc leurs propres schémas d'une critique qui porte effectivement son âge, envisagent avec tout le sérieux possible cette sorte de propos. C’est le cas de WSWS.org (Bill Van Auken, le 24 août 2011), qui nous donne une bonne analyse du projet Zoelick. Il lui accorde tout le sérieux possible, et également, in fine, aux plantureux moyens dont disposent tous les pays du bloc BAO qui se trouvent, comme l’on sait, au mieux de leurs formes diverses.

Van Auken met en évidence la plus grande originalité du projet Zoelick : la nouvelle croisade, qui sera rien moins que la relance du “printemps arabe”, sera essentiellement menée par le groupe de pays qui sont, c’est bien connu, les initiateurs du “printemps arabes”, initiateurs de la démocratisation du Moyen-Orient puisque modèles eux-mêmes de la chose, – l’Arabie Saoudite, Bahreïn, les Emirats Arabes Unis, le Quatar, etc. En mettant en évidence l’aspect le plus grotesque du plan Zoelick, Van Auken lui donne curieusement la dimension d’une menace très sérieuse qui forme un non moins curieux contraste avec cet aspect grotesque.

«A column by Philip Zelikow entitled “Gaddafi’s fall will renew the Arab spring,” published on the Financial Times web site Monday, provides a glimpse into the far-reaching aims being pursued by Washington and the other major imperialist powers in their supposedly “humanitarian” intervention in Libya. […]

»As the ex-State Department-NSC official [Zoelick] makes clear, Libya won’t be the end of this process. The Libyan war, he says “will renew a sense of momentum.” He continues: “The struggle in Syria, slowly escalating, will move even more into the foreground.” In other words, what is at stake is not merely the takeover of a single country, as significant as that is, but rather the reordering of an entire region.

»And who, according to Zelikow, is in the vanguard of this supposedly democratizing “Arab Spring?” “Much of the drive in Arab spring policymaking is currently coming from the Persian Gulf states, such as Saudi Arabia, the United Arab Emirates and Qatar,” he writes. “It is their hour. The Saudi government is playing a critical role in the Arab diplomacy now isolating Syria. The UAE, with the Saudis, came up with the funds that allowed Egypt’s interim rulers to hold off the conditional packages being offered by the international financial institutions. The Qatari government has played a vital role in the Libyan revolution.”

»The “Arab Spring” is “their hour?” These supposed champions of democracy and the liberation of the Arab masses are a collection of absolute monarchies, where oppositionists face torture, imprisonment without trial and even beheading. Having done away with the “unitary, statist model,” described by Zelikow as the “decrepit son of decolonization,” the road is clear for the outright recolonization of the region. Or, more accurately, most of the region. One hardly suspects that Zelikow is proposing an end to the “unitary, statist model” in Israel. […]

»Zelikow rose to prominence in US establishment circles during the period of the collapse of the Soviet Union and the Eastern European Stalinist bureaucracies. He then served as a senior security adviser during the Persian Gulf War of 1990-1991. He became an advocate for the policy that led to the invasion of Iraq in 2003, a war that was made possible by the liquidation of the USSR. Now he is proposing a major escalation of that policy.

»His column on Libya serves to confirm that the war there has nothing to do with humanitarianism or human rights, but represents the violent subjugation of a former colonial country. And it is a warning: Libya is only the beginning of an imperialist drive to reorder the entire Middle East. Given the conflicting interests between the major imperialist powers themselves, this process threatens to give rise to far bloodier conflicts in the foreseeable future.»

• Pour remettre quelques pendules fantasques à l’heure, on fera appel à cette analyse de Anshel Pfeffer, commentateur renommé de Haaretz et qui parvient en général à faire de bonnes synthèses du sentiment général de l’establishment de sécurité nationale israélien, sans pour autant partager les engagements de ce groupe. Dans Haaretz du 23 août 2011, Pfeffer fait un bilan de l’affaire libyenne. Il émet divers jugements sur les gains et les pertes des uns et des autres, mais, surtout, il désigne un couple de vaincus, outre Kadhafi : Obama et les USA.

«Officially, this is NATO’s achievement. But in practice, two key members of the alliance will have trouble claiming credit for it. Angela Merkel’s Germany initially opposed the military intervention in Libya, reversing course only toward the end. And NATO’s superpower, the United States, doesn’t come out looking like a victor despite having contributed vital military and logistic assistance to the effort.

»While the leaders of Britain, France and Italy led the hawks, U.S. President Barack Obama was dragged into battle almost against his will. Nor did the Republicans, who lambasted him for going to war without Congress’ approval, escape unscathed. Since the wave of revolutions began in January, Obama has reacted to every development belatedly. Only last week did he finally demand that Syrian President Bashar Assad go. At no point has the U.S. been the initiator, or even a major influence over events.

»Now, his administration will have to coordinate a policy on Syria − once again belatedly. In Syria’s case, the main players are Assad’s patron in Tehran, which will do whatever it can to preserve his regime, and Turkish Prime Minister Recep Tayyip Erdogan, who is now backing the opposition. Syrian opposition leaders met in Istanbul yesterday to plan for the day after Assad’s fall. They know who’s in charge − and he isn’t in Washington.»

Il y a, dans cette sorte de supputations qui suivent des événements comme ceux de la Libye, – dont nul ne sait précisément ce qu’il en sortira, de ces événements, – les mêmes pesanteurs, tant dans les propositions de vastes plans de conquête que dans la critique de ceux qui les prennent au sérieux. La surprise, dans ce cas, est que celui qui vient, indirectement, remettre les choses au point est un Israélien. Quelle que soit la tendance de Pfeffer dans l’échiquier israélien, on comprend bien que son analyse renvoie au climat qui existe aujourd’hui en Israël, et dont on a déjà beaucoup parlé. Ainsi, voit-on effectivement le “climat israélien” s’imposer comme “modérateur” et facteur de réalisme dans le débat développé plus haut, en rappelant la réalité de la situation. La plus immédiate de ces réalités, – puisqu’ils veulent tous partir à la conquête de la Syrie, – est que le sort de la Syrie dépend aujourd’hui de ses voisins (Iran, Turquie, Israël), et nullement des rodomontades de Ryad et de Washington (et de Paris, pourquoi pas), – toutes ces puissances à bout de souffle, qui ont élevé la narrative de leur puissance et la corruption de cette puissance à la hauteur de deux beaux-arts équivalents.

Ce qui permet d’enchaîner directement sur ce facteur du “climat israélien”, absolument essentiel, qui évolue à une vitesse fulgurante (contraction du temps et accélération de l’Histoire, partout), que l’on n’a certainement et évidemment pas réalisé à Washington ni sous la plume du distingué Zoelick ; il s’agit du fait qu’Israël, avec sa direction hystérique et chérie des projets neocons, est en train de devenir, à une très, très grande vitesse, extrêmement conservatrice, prudente, sur la défensive, etc. On connaît les désaccords sur la Libye, entre neocons et Israéliens, et à l’intérieur du mouvement neocon. Pour mémoire, croit-on qu’Israël soit particulièrement heureux du sort fait à Kadhafi ? Pour être plus actuel, croit-on que la direction israélienne actuelle souhaite la chute d’Assad de Syrie ? Pour avoir quoi et qui à sa place ? Un nouveau régime, type-Egypte new look où un gouvernement éternellement “transitoire” répondrait, par sa faiblesse, aux sollicitations exacerbées et “démocratiques” de la rue, lesquelles sollicitations seraient évidemment, et l’on comprend pourquoi, anti-israéliennes, et cette fois sans que le bloc BAO se dressât avec vigueur contre cette tendance puisque la Syrie “démocratique” serait un de ses enfants chéris ? Et, dans ce cas de cette nouvelle attitude d’Israël, dont on connaît la puissance d’influence, est-on justifié de considérer sérieusement les projets d’un Zoelick s’ils n’ont pas le soutien d’Israël ?

…Bref et de façon plus générale, la question est de savoir si le bloc BAO, ou américaniste-occidentaliste, avec ses dirigeants politiques à la dérive, ivres de slogans type-BHL et à la psychologie complètement allumée par les narratives virtualistes dont on les gave et dont ils se gavent, si ce bloc ne se trouve pas dans un climat psychologiquement encore plus instable que celui qui baigne la direction israélienne elle-même (avec la nuance, pour cette dernière, de l’évolution à laquelle on assiste, et le fait qu’on pourrait commencer à envisager d’écrire “a baigné”, au passé). La résurrection de projets type-neocon de démocratisation du Moyen-Orient est un excellent cas d’analyse psychanalytique, en laissant de côté la thèse du projet politique qui ne figure ici que comme exercice de manifestation du sujet de l’analyse. C’est sur ce plan (la psychologie et sa pathologie) que ces projets, comme celui de l’éminent Zoelick, doivent être discutés, pas du point de vue politique.


Mis en ligne le 25 août 2011 à 08H12