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1207Il n’est de chronique du plus grand intérêt que celle qui examine les causes profondes de la course actuelle de ce que certains nomment “l’Empire”, d’autres “le capitalisme”, d’autres “la doctrine du chaos” (on se permettra de balancer le “créateur” parce qu’il ne faut pas trop pousser), d’autres encore “le complot mondialiste” (nous préférerions “globaliste”, mais passons…) ; et nous-mêmes, que nous nommons dans l’ordre croissant d’importance ontologique, “le bloc BAO” (“bloc américaniste-occidentaliste”, formé comme spontanément, sans organisation), “le Système” (majuscule absolument nécessaire ou l’on n’y comprend rien, car il s’agit d’une entité unique), “la contre-civilisation”.
Prenons la chronique de ce 28 novembre 2011, de Justin Raimondo, sur Antiwar.com ; Justin, fantastique lutteur contre l’Empire par le moyen de combattre qui compte aujourd’hui, le verbe informatisé (“la communication”, l'Internet), qui montre une opiniâtreté, une alacrité, un courage sans jamais en démordre, – avec lequel nous ne sommes pas toujours d’accord, mais avec lequel nous sentons toujours une solidarité de combattant. Une fois de plus, Justin s’en prend à “l’Empire”. Le titre de sa chronique est peu original (“The Price of the Empire”) ; le sous-titre est beaucoup plus intéressant : “Have US policymakers gone crazy?”
Raimondo fait la liste interminable des occupations, attaques, implantations, agressions, bases, infiltrations, corruptions, etc., de tous les territoires concevables par les forces armées US qui tendent de plus en plus à se confondre et à se fondre en une force plus vaste, plus indéterminée, quelque chose qu’on pourrait nommer (tribut à Hollywood) “la Force”, et qui se représente bien plus justement (à notre sens, certes) comme “le Système” en dépassant largement la référence hollywoodienne… Aussi sont-ce les deux derniers paragraphes de cette longue chronique qui donnent tout son sens à ce texte, avec notamment l’apparition de cette expression “to rule or ruin”, qui suscitera le reste de notre réflexion.
«All this will come back to haunt us – indeed, it already has, and I’m not just talking about how terrorism is the unacknowledged offspring of US intervention. The economic blowback alone will be severe enough to destroy us: we are well down the road to bankruptcy, and a few more downgradings of US debt will have us in the same condition as Greece.
»This is why the increased pace and violence of US intervention abroad is doubly troubling. The utter recklessness of our leaders is astonishing: it smacks of desperation, of some mad plan to “rule or ruin.” Unless our leaders change course, we are rapidly hurtling toward a tremendous collision – with our adversaries abroad, with our own economic limits, and with reality itself. The sheer force of the impact will destroy all that we value in our civilization, i.e. what is left of our prosperity and our liberty. This is the price of empire, and the question of the century is: are Americans prepared to pay it?»
…Il faut aller plus loin car nous sommes déjà plus loin. Ce n’est pas «some mad plan to “rule or ruin”» qu’il faut envisager mais “some mad plan to ‘ruin and rule’”… Traduisons plus largement et d’une façon plus ambitieuse par “‘un plan fou’ [on verra de quelle folie il s’agit] qui consiste à transformer en ruines le reste de la civilisation et soi-même, et d’ainsi régner sur les ruines du monde, en étant ruines soi-même”. Au-delà des ruines, on pourrait évoquer une sorte d’ambition d’“entropisation” de la civilisation, sous la poussée d’une politique, dont nous avons déjà qualifié l’un des segments d’“entropie totalitaire”.
Il est assez difficile de trouver une explication rationnelle à cette sorte d’aventure, dans tous les cas avec la raison privée de tout accès à l’intuition haute que nous a léguée la modernité depuis le début de son processus à la Renaissance. Plus avancent les évènements, plus s’empilent les ruines, et notamment les ruines de notre psychologie et de notre esprit, plus apparaît l’évidence de l’impossibilité matérielle, politique, policière, etc., de rétablir un semblant d’ordre structurel, même au profit d’une minorité fort argentée, qui donnerait un sens à cette folle aventure, plus les explications avancées ne résolvent rien parce qu’elles portent toutes sur le “comment”. Que ce soit la “folie” des dirigeants considérée au sens le plus trivial ou la thèse du complot de la globalisation (du “gouvernement mondial”), nous n’en sommes toujours qu’au “comment” (conduire à bien “le plan”), et nullement au “pourquoi” de ce “‘plan fou’ […] qui consiste à ‘transformer en ruines le reste de la civilisation et soi-même, et d’ainsi régner sur les ruines du monde, en étant ruines soi-même”.
On pourrait alors en venir à la question de savoir si nos dirigeants sont fous, comme Raimondo s’interroge lui-même (“Have US policymakers gone crazy?”, – le “US” n’étant vraiment pas indispensable), mais en élargissant décisivement l’idée de la pathologie clinique à la pathologie métaphysique. La réponse pourrait être positive si l’on donne un sens à cette folie, qui justement soit autre que physiologique, c’est-à-dire psychologique dans le sens le plus physiologique du terme ; si l’on envisage que cette folie a un sens inspiré par quelque chose de spécifique et éventuellement sinon nécessairement d'extérieur, et dans un but spécifique, qui est celui du “plan fou” et du reste. Nous en venons alors à notre hypothèse constante de l’existence du Système en tant qu’entité autonome, qui dépasserait même dans l’esprit de la chose les concepts d’égrégore et de système de type anthropotechnique (anthropotechnocratique, etc.), toutes ces choses dotées d’une certaine autonomie mais dans l’hypothèse la plus étroite où l’action humaine reste à la base de leur création. Un premier élargissement de la pensée serait de savoir si cette action est consciente ou inconsciente et, choisissant le second cas, si elle n’est pas tributaire de forces extérieures en envisageant une réponse nécessairement positive.
D’autres hypothèses, plus vastes et plus audacieuses doivent alors être envisagées, pour donner une explication satisfaisante de l’évolution actuelle de la situation qui nous sorte des lieux communs et des impasses intellectuelles où nous nous débattons. Nous avons déjà largement commencé à étudier ce type d’hypothèse (voir notamment, pour illustrer l’élan initial de cette démarche, les numéros de dde.crisis du 10 juillet 2010 et 10 septembre 2011, et leurs présentations sur ce site les 17 juillet 2010 et le 10 septembre 2010). La thèse de La grâce de l’Histoire (voir la rubrique) est également fondée sur l’exploration et l’exploitation de cette hypothèse. Ces diverses hypothèses, en offrant l’idée de leur “opérationnalité” activée dans le sens d’une dynamique de surpuissance se transformant et s’enfantant elle-même en une dynamique de l’autodestruction répond d’une façon globale et cohérente à la pratique même du “pourquoi” le processus en cours développe ce “plan fou”, effectivement d’autodestruction, auquel Raimondo fait allusion.
On comprendra aussitôt notre conclusion, si on ne la devine déjà. Il nous apparaît de plus en plus évident que l’élargissement de la pensée vers la métahistoire et la métaphysique, avec une raison restaurée dans son accès à l’intuition haute, constitue une mesure préliminaire fondamentale pour poursuivre cette démarche intellectuelle cherchant à embrasser et à découvrir le sens et la signification de l’enchaînement formidable des évènements qui secoue notre époque.
(…Après tout, l’on pourrait aussi bien lire ce Bloc-Notes en complément de la Note d’analyse de ce même 28 novembre 2011.)
Mis en ligne le 28 novembre 2011 à 12H05