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581En effet, poursuivons cette évocation de l’interview de James Carroll en citant le paragraphe suivant la citation présentée précédemment. Carroll poursuit et termine sa prévision sur l’évolution des forces armées américaines, et particulièrement de l’U.S. Army, par ces mots:
« You know, in this way, we're now like the Soviet Union once it collapsed into Russia. When it could no longer pay the salaries of its soldiers, Russia fell back on its nuclear arsenal as its only source of power. In a way the Soviet Union never was, Russia is now a radically nuclear-dependent military power. The Red Army doesn't really count for much any more. And we've done that to ourselves in Iraq. This is what it means to have lost the war already. We didn't need an enemy to do it for us. We've done it to ourselves. »
Cette analogie avec l’URSS est dans nombre d’esprits subtils, aujourd’hui où il est question de juger de l’état des USA. Comme chez Carroll mais dans un autre domaine, on la rencontre chez Emmanuel Todd, interrogé le 12 septembre par Le Figaro. La caractéristique de ces constats, chez Carroll comme chez Todd, c’est qu’on se débarrasse désormais du particularisme “bushiste”: il n’est plus question d’un homme, d’un parti, d’une idéologie, etc., mais d’une nation et du système qui l’étouffe.
« Le Figaro : Une telle crise serait-elle une conséquence de la politique de l'Administration Bush dont vous stigmatisez les aspects paternalistes et le darwinisme social ? Ou bien ses causes seraient-elles plus structurelles?
» Todd : Le néoconservatisme américain n'est pas seul en cause. Ce qui me semble le plus frappant, c'est la manière dont cette Amérique incarnant le contraire absolu de l'Union soviétique est sur le point de produire la même catastrophe par un chemin opposé. Le communisme, dans sa folie, prétendait que la société était tout et que l'individu n'était rien, base idéologique qui causa sa propre ruine. Aujourd'hui, les Etats-Unis nous assurent avec une foi de charbonnier, aussi intense que celle de Staline, que l'individu est tout, que le marché suffit et que l'Etat est haïssable. L'intensité de la fixation idéologique est tout à fait comparable au délire communiste. Cette posture individualiste et inégalitaire désorganise la capacité d'action américaine. Là est pour moi le vrai mystère : comment une société peut-elle à ce point renoncer au bon sens, au pragmatisme et entrer dans un tel processus d'autodestruction idéologique ? C'est une aporie historique à laquelle je n'ai pas de réponse et dont la problématique ne saurait se résumer à la politique de l'actuelle administration. C'est toute la société américaine qui semble lancée dans une politique du scorpion, système malade qui finit par s'injecter son propre venin. Une telle conduite n'est pas rationnelle, mais elle ne contredit pas pour autant la logique de l'histoire. Les générations d'après-guerre ont perdu l'habitude du tragique et du spectacle de systèmes s'autodétruisant. Mais la réalité empirique de l'histoire humaine, c'est qu'elle n'est pas raisonnable. »
Mis en ligne le 13 septembre 2005 à 08H50