Et si l’énigme était vide?

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Voici un autre bilan de la première année d’Obama au pouvoir, enchaînant sur un jugement de l’homme, qui est singulièrement sévère pour l’un et l’autre. Ce n’est pas de saison alors qu’ici et là, sous les plumes des commentateurs de service, pointent des larmes d’émotion à la pensée de la générosité sans bornes des USA à Haïti; ce n’est pas pour autant inintéressant. L’auteur, ou le coupable, est Bruce Anderson, de The Independent, le 18 janvier 2010.

«Disappointment was inevitable. Barack Obama is not divine. Yet even a strenuous God would have had difficulty in coping with the weight of expectations which descended on him. Even in human terms, there was nothing in his background to suggest he possessed exceptional ability. A first-term Senator, he had made no significant legislative contribution. He had become well-known, because of his colour and because he was just about the most left-wing member of the Senate. But he was one of the least experienced Presidents of all time.

»There was a further difficulty. No-one knew what he stood for. The left-wingery was quickly dumped when he hit the Presidential hustings, without being replaced by anything coherent. Candidate Obama behaved like a British Liberal candidate. He invited the voters to write letters to Santa Claus, and promised to deliver the presents. So was he still a closet Leftie? Or was he the equivalent of the young Tony Blair: a left-winger in order to commend himself to the party activists, who moved to the centre as soon as politics became serious? Or was there a third alternative: that Barrack Obama did not really know what he believed? That seems much the most likely. […]

»The keynote of the Obama presidency has been tentativeness. It is as if he were working as an electrician without knowing much about electronics: sneaking a squint at the textbook whenever the householder was not looking. […]

»The Inauguration highlights a further disappointment. A year ago, President Obama's prestige was unlimited. Nobody wanted to be the first foreign leader to diss him. Even the Israelis were wary. If anyone could relaunch the Israel/Palestine peace process, it was Mr Obama. So what has happened? Nothing. Nobel Peace Prize? The President deserves a Nobel prize for ineffectuality, to be shared with Tony Blair and Senator George Mitchell. All their combined efforts have achieved combined efforts have achieved zilch. The odds on an eventual tragedy are much shorter.

»A year ago, we should have all taken the odds against Mr Obama winning a second term. Now, they too will be much shorter. […] Barack Obama is not a bad man. But he is not a good President. He will not deserve to be re-elected.»

A côté de cela, ou au contraire de cela si l’on veut, on lira, ce 19 janvier 2010, «One year later: How Obama has learned to become a wartime commander in chief», de Scott Wilson, qui est un monument d’encensement pompeux et patriotard à la gloire d’un Obama qui s’est parfaitement conformé aux canons (!) du système en devenant “président de guerre”. L’article hollywoodien s’écoute au garde à vous, au son de l’hymne des Marines, avec un portrait dédicacé de John Wayne en bandoulière, pour mieux mesurer et goûter la bêtise servile où navigue aujourd’hui la presse réputée comme un modèle de professionnalisme et de liberté. Effectivement, si BHO c’est ça, alors notre chroniqueur cité le 12 janvier 2010 a raison: «Blacks have achieved racial equality. They can produce presidents as bad as the white ones.»

Notre commentaire

@PAYANT L’énigme Obama? Des indices nous sont donnés pour nous faire penser que ce serait étrangement une énigme vide, ce qui formerait une version postmoderniste acceptable de la chose. Peut-être ces deux phrases d’Anderson donne-t-elle donc la clef de l’énigme: il n’y a pas d’énigme là où il devrait y en avoir… BHO «had become well-known, because of his colour and because he was just about the most left-wing member of the Senate. But he was one of the least experienced Presidents of all time».

Examinons les principales explications qu’Anderson donne pour asseoir son jugement.

• BHO “ne savait pas vraiment ce qu’il croyait” quand il fut élu («Or was there a third alternative: that Barack Obama did not really know what he believed?»). Au fond, Obama se serait lancé dans la course à la présidence comme “on tente un coup”, plus intéressé par l’exploit lui-même (un Africain-Américain, si jeune en plus, 44ème président des USA) que par ce qu’il voudrait ou pourrait faire de cette présidence. Le terme choisi est intéressant (“croire” et non “vouloir”: “il ne savait pas ce qu’il croyait” et non “il ne savait pas ce qu’il voulait”); il confirme ce jugement de la recherche de la performance, aux dépens de ce qu’il faudrait faire une fois la performance réalisée.

• La “caractéristique de la présidence d’Obama est l’hésitation” («The keynote of the Obama presidency has been tentativeness»). Cela enchaîne parfaitement avec ce qui précède. Obama est installé à un poste de direction avec une multitude de pouvoirs et il ne sait qu’en faire, quelles impulsions lancer – sauf dans tel ou tel domaine où il a pratiquement délégué ses pouvoirs, plus par inexpérience que parce qu’on les lui a imposés, comme pour son équipe financière qui a traité la crise de Wall Street comme l’on sait. Il ne sait que faire puisque, évidemment, “il ne sait pas ce qu’il croit”.

Cette appréciation est intéressante parce qu’elle permet de donner diverses explications à divers événements ou jugements qui se sont déroulés ou ne se sont pas déroulés, qui se sont avérés justes ou ont été démentis.

• L’hypothèse de l’“American Gorbatchev” s’explique évidemment parce qu’un tel homme, tel qu’il est décrit, est par essence imprévisible. Il ne “sait pas ce qu’il croit”, donc il peut être amené à croire n’importe quoi, jusqu’à l’intérêt de déclencher des politiques révolutionnaires, tout comme il peut être amené à choisir de continuer à ne croire à rien. Ce qui apparaît aujourd’hui comme un défaut épouvantable pouvait être au début de sa présidence une opportunité rarissime. La même chose pour sa politique faite d’“hésitations”, aujourd’hui fort critiquées et évidemment critiquable quand on voit ce qu’il en sort; mais, au début de sa présidence, cette attitude présentait nombre d’opportunités intéressantes si, au cours de cette valse-hésitation, il s’était soudain décidé pour une politique audacieuse.

• L’hypothèse d’“Obama homme du système”, mis en place par le système, est complètement démentie. Son absence d’expérience, d’orientation, son absence de croyance ou de conviction, n’en faisaient certainement pas le candidat idéal, et même le candidat détestable par essence, sur lequel il était difficile de s’appuyer. (Contrairement aux croyances trop faciles, le système ne veut pas des hommes faibles et manipulables à la présidence, ou des hommes sans conviction, mais bien des équipiers solides, capables d’accepter l’influence plutôt que de la subir parce que comprenant de quoi il s’agit; des hommes qui, contrairement à Obama, “savent ce qu’ils croient”, et qui croient dans le système.) C’est pourquoi Hillary Clinton, expérimentée et armée de nombre de convictions, était plutôt la favorite du système, au départ de la course. Paradoxalement, ce qui a sauvé Obama et assuré sa victoire dans les primaires, c’est bien d’être Africain-Américain, surtout chez les démocrates et dans les milieux soi-disant “libéraux” où l’anti-racisme est une marque de fabrique. Cette particularité vue tant de fois comme un handicap, s’avéra être un avantage considérable auprès de l’establishment démocrate et, finalement, du système. La critique contre Obama pouvait passer presque automatiquement pour du racisme, et elle était presque sacrilège.

• Les conditions de son élection: ce “portrait” confirme que c’est bien la crise qui a élu Obama. Personne ne s’est vraiment intéressé à ce que disait et annonçait Obama, d’ailleurs sans réelle consistance conformément au reste de sa candidature. Mais la crise de septembre 2008 en faisait presque automatiquement le candidat du “changement” à un moment de crise où tout le monde jugeait que le changement était inévitable et devrait être mis en œuvre par la prochaine présidence. Finalement, bien sûr, il n’y a pas eu de changement.

• ...Pourtant, cette dernière affirmation (“il n’y a pas eu de changement”) n’est pas du tout assurée. Le paradoxe est, en effet, qu’il n’est nullement assuré qu’aujourd’hui Obama sache “ce qu’il croit” et que ses politiques ne continuent pas à être toujours autant d’hésitations. En réalité, “le changement” vient de ce que l’homme qui a été élu est une sorte de personnage qui est en aussi complet désarroi intellectuel par rapport aux normes du système (ce qui ne serait pas nécessairement un défaut) que le système lui-même, même si pour d’autres raisons, alors que le système voulait une personnalité qui amenât une conviction forte et redressât les choses en revigorant ses propres normes. Absence de conviction, hésitations, etc., devant une situation de crise déchaînée, c’est bien à peu près l’attitude du système lui-même aujourd’hui. De cette façon, nous dirions qu’Obama est devenu parfaitement un “homme du système” au moment où le système a besoin d’un homme qui soit assez différent de lui-même pour insuffler sa propre énergie à la situation et, effectivement, remettre en route le système. En cela, l’idée rejoint un autre jugement d’Anderson, contenu dans le titre («Is this President really strong enough?»): non, Obama n’est pas “assez fort” pour ce qu’en attendait le système, qui avait besoin d’un “homme fort” pour son propre redressement.

Comme on l’a dit plusieurs fois, BHO est “prisonnier”, de tel ou tel groupe, de Wall Street, des généraux, du Pentagone, etc. Mais “prisonnier” de tout le monde alors que chacun tire dans son sens et pour ses intérêts, c’est n’être prisonnier de personne, ou prisonnier mou, inconsistant, sur lequel on ne peut compter pour une loyauté de caste ou d'intérêt. L’inconsistance d’Obama à ce point, le fait qu’il demeure une énigme alors qu’il devient évident que l’énigme est vide, le fait qu’il continue à être examiné pour les atours dont on le charge (par exemple ceux de “président de guerre” par le plumitif du Washington-Pravda) alors que tout le monde a crié et continue à crier que “le roi est nu”, voilà qui caractérise une situation bien étrange, indéfinissable et insaisissable. Obama est peut-être, finalement, malgré tout, l’événement le plus étrange qui soit survenu aux USA et au système de l’américanisme. Peut-être est-il, finalement, par rapport à la situation, encore plus nihiliste que le système lui-même; objectivement parlant, cela n’arrange pas le système, lequel espérait accoucher d’un homme qui lui donnerait à nouveau confiance en lui-même.

Peut-être BHO est-il plus “maistrien” encore que l’on pouvait imaginer, peut-être trop “maistrien” pour un système qui est si complètement en perdition.


Mis en ligne le 19 janvier 2010 à 17H17