Et si les USA prenaient le risque face à la Russie...

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Et si les USA prenaient le risque face à la Russie...

On sait que, désormais, Gorbatchev est complètement réhabilité en Russie comme une voix politique, sinon “autorisée”, dans tous les cas à laquelle on reconnaît une incontestable autorité. Cette évolution vient, bien entendu, des retrouvailles de Gorbatchev avec la politique générale de la Russie, particulièrement depuis qu’a éclaté la crise ukrainienne. Du coup, le système de la communication s’intéresse beaucoup à lui, essentiellement en Russie, et son avis est souvent sollicité et largement répercuté. Il a (re?)gagné également en crédit, ayant du fait de son “retour” retrouvé l’accès à de nombreuses sources de haut niveau. Tout cela nous dit par conséquent que toutes les déclarations de Gorbatchev ont aujourd’hui une singulière importance, en exprimant d’une façon beaucoup plus libre des conceptions et des analyses circulant au plus haut niveau des directions politiques, notamment russe bien sûr.

On s’intéressera particulièrement à sa dernière déclaration faite à l’agence Interfax, et largement répercutée par Sputnik.News et Russia Today qui l’ont placée en tête de leurs sites. On reprend ici la version RT, du 29 janvier 2015. Gorbatchev y montre une position de plus en plus dure, anti-BAO, dans l’affaire ukrainienne et l’antagonisme avec la Russie. Ce qui nous semble très important ici, c’est ce qu’il dit du comportement des USA et des possibilités impliquées par ce comportement (nous soulignons en gras la phrase qui nous paraît absolument essentielle)

«Mikhail Gorbachev has accused the US of dragging Russia into a new Cold War. The former Soviet president fears the chill in relations could eventually spur an armed conflict. “Plainly speaking, the US has already dragged us into a new Cold War, trying to openly implement its idea of triumphalism,” Gorbachev said in an interview with Interfax.

»The former USSR leader, whose name is associated with the end of the Cold War between the Soviet Union and the United States, is worried about the possible consequences. “What’s next? Unfortunately, I cannot be sure that the Cold War will not bring about a ‘hot’ one. I’m afraid they might take the risk,” he said.

»Gorbachev’s criticism of Washington comes as the West is pondering new sanctions against Russia, blaming it for the ongoing military conflict in eastern Ukraine, and alleging Moscow is sending troops to the restive areas. Russia has denied the allegations. “All we hear from the US and the EU now is sanctions against Russia,” Gorbachev said. “Are they completely out of their minds? The US has been totally ‘lost in the jungle’ and is dragging us there as well.”»

Cette phrase que nous avons souligné (“Je suis effrayé à l’idée qu’ils pourraient courir le risque” de transformer la nouvelle guerre froide en guerre réelle) renvoie à des spéculations conjoncturelles courantes, à certaines évaluations de haut niveau dont Gorbatchev a été instruit, enfin à l’expérience qu’il a des années 1980. On doit souligner combien cet aspect de l’expérience de Gorbatchev est important, qui fait toute l’originalité et le poids de son jugement puisqu’il est quasiment le seul parmi les “gens informés” à en disposer à un si haut niveau de responsabilités, venue des années 1980... Durant ces années 1980, effectivementGorbatchev vécut d’abord une période d’intense danger de guerre stratégique nucléaire entre les USA et l’URSS, jusqu’au début 1985 avec un point culminant à l’automne 1983. (Voir le 21 septembre 2003, selon des documents la CIA, l’épisode où la direction soviétique, emportée par la panique, craignit une attaque nucléaire surprise et mit toutes ses forces nucléaires en alerte maximale. Gorbatchev disait en 1986 : «Never, perhaps, in the postwar decades was the situation in the world as explosive and hence, more difficult and unfavorable, as in the first half of the 1980s»).

Ce fut une période au cours de laquelle diverses circonstances psychologiques et un enfermement des deux camps dans des perceptions complètement différentes firent craindre un tel conflit, soit selon des mauvaises évaluation par l’un des intentions de l’autre, soit par des craintes sinon des paniques obsessionnelles conduisant à l’hypothèse par l ‘un d’une attaque unilatérale par surprise de l’autre. Dans les années 1985-1990, le climat changea complètement, avec d’intenses échanges entre les deux camps à l’occasion de la “révolution gorbatchévienne”, introduisant un désordre avec certains groupes à l’intérieur des deux camps craignant des manœuvres de diversion ou de manipulation et envisageant eux-mêmes des situations du type “agression préventive”. Gorbatchev estime sans doute que nous nous trouvons dans une période de danger extrême équivalent à celle de ces années 1980, avec particulièrement une extraordinaire rupture des perceptions entre les deux camps dépassant très largement celle qui exista en 1980-85, – mais, cette fois, lui-même attribuant tout le poids énorme de cette rupture au bloc BAO dont il juge qu’il se conduit d’une façon si irrationnelle qu’on peut parler d’une pathologie de la psychologie (“Ont-ils complètement perdu l’esprit ? Les USA ont complètement perdu le sens des réalités et ils tentent de nous conduire à les imiter.”)

Il est manifeste que ce que craint Gorbatchev par-dessus tout, c’est une évolution psychologique vers la panique comme l’on eut quelques exemples en 1980, juste après l’invasion de l’Afghanistan. (Un incident peu connu mais resté symbolique du climat fut celui d’un général faisant partie de la DIA, et arguant d’un ton hystérique dans un séminaire, en octobre 1980, de la nécessité immédiate d’une attaque nucléaire “préventive” contre l’URSS pour “sauver la République” [américaine]. Il fut immédiatement relevé de ses fonctions.) Le danger réside dans le climat psychologique, beaucoup plus volatile, – ce n’est pas peu dire, – aujourd’hui que dans les années 1980-1985, pouvant amener brutalement à une évaluation extrêmement alarmiste et conduire certains à presser la direction politique US pour une “attaque (nucléaire) de première frappe” (cela contenu dans le concept de Prompt Global Strike). L’idée rejoint celle de Eric Zuesse, du Washington’s blog (voir le 6 janvier 2015), qui argumente pour son compte qu’Obama pourrait choisir la guerre nucléaire pour perpétuer l’hégémonie US et éviter l’effondrement “de l’Empire” (“du Système”, pour notre compte)...

«The background of President Obama’s efforts to provoke a nuclear war has been presented in a succinct 14-minute video by the superb documentarian Aaron Hawkins, and also in an article that I wrote (which is to the same effect as that documentary, but cites different documentation). Basically, it has to do with something that is of intense concern to the U.S. aristocracy: continuation of their domination over all other nations’ aristocracies. It’s like the buildup to World War I was, which war likewise was aristocratically sponsored in order to achieve global aristocratic dominance.

»Unfortunately, this time, that war would have to be nuclear. Obama is doing everything he can to win it, but he is hoping to be able to achieve this win by something called “Prompt Global Strike,” which would eliminate Russia’s ability even to respond to a nuclear attack. Scientists are virtually unanimous that, with the current generation of vastly more-powerful nuclear bombs, even if only a few nuclear weapons are involved in an exchange, this planet will experience nuclear winter and massive starvation, so that if the nuclear exchange goes beyond that, then life as it has existed on this planet will essentially be ended. However, a doctrine of “U.S. Nuclear Primacy” was introduced by the U.S. aristocracy in 2006, which concludes that, “If Washington continues to believe such preeminence is necessary for its security, then the benefits of nuclear primacy might exceed the risks.” The authors ignored nuclear winter, because their article was addressed to America’s aristocrats, not to the public (whose concerns and especially their priorities are very different).»

• A côté de ces diverses conceptions et observations, on observe, dans un domaine un peu différent mais qui va dans le même sens, un effort de communication massif du Pentagone pour lancer de nouveaux programmes, mettre au point de nouvelles technologies, renforcer qualitativement et quantitativement les capacités militaires US dans les prochaines années. Cet effort a pris le nom de Defense Innovative Initiative (DII ou D2I), ce qui indique qu’un ensemble bureaucratique important est en train d’être mis en place pour assurer à la fois les pressions de communication, les budgets nécessaires et les poussées internes au Pentagone pour faire avancer un ensemble de programme.

(Cela ne signifie nullement le succès de ces programmes, et nous serions tentés de croire le contraire au vu des résultats de récents efforts gavés de tels moyens considérables, mais cela signifie une pression psychologique constante pour installer une narrative de la nécessité vitale d’une sorte de “réarmement”, – si le mot n’était pas chargé d’une ironie explosive lorsqu’on sait que le budget du Pentagone, annoncé nominalement à près de $600 milliards, dépasse en fait, par divers artifices comptables, dotations cachées, budgétisation vers d’autres ministères, etc., les $1.200 milliards. Ce chiffre, lui, dépasse très largement l’addition de tous les budgets de défense de tous les autres pays du monde. Considérées en chiffres réels, – ces “plus de $1.200 milliards” et non pas le budget officiel du DoD, – nous estimons que les dépenses militaires US doivent atteindre entre 80% et 90% de toutes les dépenses militaires du monde, et non les 50% que le budget officiel indique aujourd’hui. Le monstre [Moby Dick & le reste] est quasiment indescriptible en termes humains courants.)

Voici donc quelques extraits, ici et là, de déclarations et précisions données par divers hauts fonctionnaires du Pentagone sur la nécessité de renforcer l’effort de développement de nouvelles technologies. L’argument est essentiellement celui de la puissance et des capacités technologiques que les Russes et les Chinois sont en train de développer, réduisant considérablement ce qui est considéré comme l’avantage technologique du bloc BAO sur ces deux puissances. (Cet argument implique une logique dont un autre aspect opérationnel, plutôt inverse de celui du développement de nouvelles technologies, pourrait rejoindre la crainte de Gorbatchev exprimée plus haut [“Je suis effrayé à l’idée qu’ils pourraient courir le risque...”]. Il consisterait à juger qu’une attaque est d’autant plus envisageable le plus rapidement possible parce qu’il serait “risqué” de laisser Russes et Chinois encore progresser dans le développement de capacités quasiment à niveau des capacités actuelles du bloc BAO ; l’argument se renforce de la différence chronologique du rythme, avec Russes et Chinois en pleine progression tandis que le DoD, célèbre pour sa gestion catastrophique, n’en est qu’aux intentions de lancer de nouveaux programmes.)

• Sur Reuters, le 30 janvier 2015 : «Pentagon arms buyer Frank Kendall told the House Armed Services Committee in a separate hearing that he was deeply concerned about heavy investments by China, Russia and others in weapons designed to target critical U.S. military capabilities such as aircraft carriers and satellites. “I am very concerned about the increasing risk of loss of U.S. military technological superiority,” he said. “We're at risk and the situation is getting worse.”]

• Sur Spoutnik.News (France), le  : «Les pays de l'Otan doivent intensifier la conception d'armes de pointe, a déclaré le sous-secrétaire américain à la Défense Robert Work. [...] Work a appelé les pays de l'Otan à accélérer le développement d'armes de pointe pour rester en avance sur la Russie et la Chine dans ce domaine, rapporte jeudi le journal Business Insider. “Nous devons coordonner nos efforts et travailler ensemble pour éviter tout doublon, ainsi que renforcer nos structures à l'aide de technologies innovantes, d'expériences et de simulations d'opérations militaires’, a déclaré M. Work lors d'une conférence sur la sécurité internationale tenue à Washington. Selon le responsable, le Pentagone a mis au point un nouveau programme baptisé Defense Innovation Initiative et travaille actuellement sur plusieurs projets à long terme destinés à assurer la suprématie militaire des Etats-Unis sur leurs adversaires potentiels.»

• Selon Sputnik.News (USA), le 30 janvier 2015 : «The US Department of Defense no longer has exclusive access to the world's cutting-edge military technologies, the spokeswoman for the US Deputy Secretary of Defense told Sputnik on Friday. “DoD [Department of Defense] no longer has exclusive access to the most cutting-edge technology or the ability to spur or control the development of new technologies the way we once did,” Lt. Cmdr. Courtney Hillson told the news agency. Hillson added that “many, if not most, of the technologies we seek to take advantage of today are no longer in the domain of DoD development pipelines or traditional defense contractors.”»

... On dira que c’est l’habituelle fiesta de communication des divers sous-fifres du Pentagone pour tenter d’influencer le Congrès dans le bon sens alors que celui-ci va débattre du nouveau budget de la défense qui devrait lui être présenté courant février. On n’aura pas vraiment tort mais on n’aura pas tout à fait raison. Ces arguments ne sont pas de pure communication, disons techniquement de la “pure fabrication” de circonstance, mais bien des “fabrications de circonstance” considérées comme véridiques, puis devenues inconsciemment et bureaucratiquement (phénomène du groupthink, version bureaucratique du virtualisme) des vérités stratégiques dans le chef de ceux qui les développent ; c’est-à-dire devenus appréciations sincères et donc une vérité de circonstance permettant de soutenir la narrative concernée ... Cela signifie que les militaires US, qui représentaient jusqu’ici un ilot de raison dans la folie washingtonienne, sont en train de basculer dans la même narrative-paranoïa de leurs directions, en justifiant les demandes budgétaires pour de nouveaux programmes par les considérables progrès des puissances russe et chinoise. Le nouveau Secrétaire à la défense Ashton Carter, qui doit être confirmé par le Congrès courant février, réputé pour représenter l’excellence dans la médiocrité la plus basse, poussera fort au feu cette affaire ; et les militaires, qui jusqu’ici se sont montrés prudents (bis), pourraient très vite verser dans la dénonciation offensive et furieuse des intentions agressives des Russes et des Chinois ... Car l’on remarque, et c’est une nouveauté montrant que les résultats de la crise ukrainienne ont été marquants à cet égard, que Russes et Chinois sont désormais considérés ensemble, c’est-à-dire comme des alliés stratégiques de fait, dont le but est la destruction des USA ...

Mais gardons bon espoir, bien entendu ... Cet emportement paranoïaque général, cette folie, est aussi dispensatrice d’erreurs considérables, d’évaluations complètement faussaires, de mauvais calculs, de gestion catastrophique et de décisions qui le sont tout autant, etc., avant d’en arriver à l’ultime choix sans retour évoqué in fine par Gorbatchev (attaque nucléaire) qui demande tout de même une certaine dose de courage rationnel dans la folie, de structuration des esprits et des intérêts, de solidité psychologique, toutes ces choses qui n’existent plus. En d’autres mots, notre pari pascalien serait que le monstre s’effondrerait avant de pouvoir frapper.

Pendant ce temps, l’autre monstre, l’immense Himalaya de stupidité paralysée de l’UE, continue, dans ses couloirs, à chanter la supériorité militaire incontestable et quasiment divine du bloc BAO, – les “gentils”, descendants des civilisés des XIXème-XXème siècle, mais blanchis encore plus dans l’antiracisme-Ajax qui lave plus blanc que blanc, – supériorité bien entendu affirmée sur les Russes, – les “barbares”, descendants des bandits de tous nos temps de notre contre-civilisation. (Voir le 27 janvier 2015  : «Cette situation est aggravée par une évaluation militaire qui va dans le sens d’un maximalisme, en garantissant en théorie une impunité militaire. Les évaluations de la force militaire russes au sein de l’UE sont que ces forces sont incapables de résister à l’irrésistible et sublime puissance militaire du bloc BAO. Cette étonnante évaluation ressort d’une réflexe pavlovien entraînant la nécessité absolue de faire correspondre l’évaluation à la narrative : comme pour le renseignement, les autorités civiles doivent recevoir le message qu’elles et leur narrative attendent. Il y a aussi le vieux réflexe de mépris pour les Russes, relevant bien plus du suprémacisme que du racisme.») Le poids de cette sottise de l’UE peut certes être ressentie comme écrasant, mais cela ne doit pas empêcher d’évoquer une certaine signification devant la perfection de ce rapport inverti masse-stupidité, – un peu comme les bourgeois de Brel, mais adaptés tout de même, “plus ça devient gros, plus ça devient con”, – et de montrer la souplesse nécessaire pour échapper à la pression du poids tout en appréciant l’originalité rassurante de l’évolution intellectuelle.

... Quand on ajoute les deux, notre “pari pascalien” nous semble de plus en plus valable. Le tout est de tenir devant cette masse insupportable pour la plupart des psychologies.


Mis en ligne le 31 janvier 2015 à 12H36