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14 janvier 2007 — Il commence à y avoir une certaine nervosité chez certains diplomates européens, devant la réserve, l’indifférence affectée, l’absence, etc., de l’Europe officielle à propos des événements qui se développent entre Washington, Bagdad et Téhéran. L’explication de l’attitude des dirigeants européens tient en ceci — et le propos ci-après n’est absolument pas caricatural, il rencontre au contraire une réalité pesante dans les institutions européennes : il n’y a rien que ces dirigeants ne détestent plus que de devoir s’interroger à propos du comportement des Américains. (Cette interrogation impliquant que la conclusion qu’on en tirerait pourrait différer de l’acquiescement fiévreux et empressé qui tient lieu de politique européenne à cet égard.) Il faudra bien qu’ils y viennent, d’une façon ou l’autre.
Les interrogations que nous avons recueillies ici et là dans les milieux diplomatiques européens actifs, notamment relayant les appréciations venues des postes extérieurs, concernent plusieurs choses qui justifient la nervosité dont nous parlons.
• Les Etats-Unis, l’Irak et l’Iran. On pourrait soutenir l’idée que la situation a, même du point de vue européen, fait un pas décisif le 10 janvier, lorsque GW Bush a élargi la crise irakienne à la région. Certains diplomates devinent cela et s’en préoccupent. Une de nos sources européennes nous fait remarquer ceci : «Certaines analyses et appréciations commencent à suggérer, au moins entre les lignes, qu’il serait temps que les dirigeants européens et leurs bureaucraties commencent à envisager des cas extrêmes, et dans les relations des USA avec l’Iran, et pour ce qui est de la situation à Washington.»
• La position de certains acteurs (pays) dans cette crise régionale nourrit également une préoccupation grandissante. Par exemple, la Turquie confrontée au problème kurde (et à l’attitude des USA), qui a certains liens et contentieux avec l’Europe, donc qui intéresse l’Europe. Les diplomates européens signalent l’extrême «nervosité des Turcs, et leur exaspération grandissante devant les erreurs et les confusions de la politique américaine. Les Turcs sont prêts à intervenir dans le Nord de l’Irak, dans le pays kurde, pour prévenir ce qu’ils jugent être certaines tendances expansionnistes kurdes qui se développeraient à la faveur du désordre irakien grandissant, et notamment des projets US d’intervention extérieure autour de l’Irak».
Le cas européen va beaucoup plus loin. Il est directement impliqué et explicité par le tournant dans la crise iranienne tel que nous l’avons décrit par ailleurs, dans notre Faits & Commentaires d’hier. Dans ce texte, nous observons que la crise iranienne devient de facto, par la politique de représailles de GW contre de soi-disant incursions ou positions iraniennes en Irak, voire en Iran même, un prolongement de la crise irakienne. Cette perspective comprend éventuellement, dans les hypothèses envisagées par certains, notamment sous la pression des Israéliens mais pas uniquement, une attaque contre les sites nucléaires iraniens.
La situation mérite quelques observations.
• Les Européens (les “3EU” — Allemagne, France, Royaume-Uni — et, d’une façon générale les instances européennes en soutien) suivent depuis 2003 une politique de négociations/sanctions sur la question du nucléaire iranien, dans le cadre de l’IAEA puis de l’ONU. Les USA d’une part, les Russes et les Chinois de l’autre, sont également impliqués. Il s’agit d’un cadre multinational, à propos du cadre contractuel du traité de non-prolifération et d’accords qui s’y réfèrent. Il n’y a rien là-dedans qui, de près ou de loin, ait un rapport avec l’Irak.
• Mais Bush bouleverse les données de la chose et replace la crise iranienne, dont l’un des termes essentiels reste le nucléaire iranien, dans le cadre irakien. Ce cadre irakien y joue un rôle décisif puisqu’il serait la cause de l’enchaînement initial pouvant entraîner en décision et action finales une attaque des sites nucléaires iraniens. Les Européens ont-ils quelque chose à voir avec ce nouveau cadre? Sont-ils impliqués dans la crise irakienne, d’une façon ou l’autre?
• Que feraient-ils, par exemple, si la politique Bush débouchait sur un affrontement à partir de la crise irakienne pouvant laisser envisager une attaque contre le nucléaire iranien, et si cette intention de l’administration était contestée par le Congrès US jusqu’à la possibilité d’une crise institutionnelle?
L’engagement contre l’Iran “par le bas”, d’une façon concrète sur le terrain irako-iranien plutôt que par la seule voie des airs d’une attaque aérienne, conduit à la nécessité d’une révision de leurs positions par les Européens. Pour les Américains qui ont d’abord l’Irak à l’esprit, cette évolution élargit la crise irakienne, lui “donne un peu d’air” ; pour les Européens, au contraire, c’est un rétrécissement de la crise iranienne par rapport à celle qu’ils suivent depuis plus de trois ans et un dramatique changement de substance, impliquant de facto un engagement dans la crise irakienne. La perspective est peu encourageante pour des pays comme l’Allemagne et la France qui se sont notablement abstenus de toute implication en Irak, — pour la France, notamment, dont le président vient de rappeler dans quelle piètre estime il tient cette affaire irakienne.
D’autre part, il est possible que les Iraniens jugent qu’ils ont à nouveau une sérieuse possibilité de séparer les Européens des Américains. Cela pourrait encourager les Européens à concevoir l’audace d’avoir une politique européenne dans cette affaire iranienne, — dans tous les cas à se préparer à envisager d’avoir une telle audace.
Une indication de cette possibilité. Sur le site Inter Press Services (en date du 12 janvier), le Dr. Trita Parsi, auteur de Treacherous Triangle — The Secret Dealings of Israel, Iran and the United States, écrit notamment :
«While the administration's calculation may be that lethal pressure on Iran will force Tehran to compromise, faith in Iran that offering concessions will prompt a change in the U.S.'s Iran-policy is next to nonexistent due to the Bush administration's past rejections of Iranian offers.
»But Tehran may be able to change the political climate and escape Bush's war trap by reinitiating talks with the European Union to address regional matters as well as the nuclear impasse. Europe's patience and faith in Iran has largely been depleted due to Tehran's failure to fully appreciate efforts by Javier Solana, high representative for the European Union's Common Foreign and Security Policy, to negotiate an agreement on enrichment suspension last fall.
»Still, the EU understands that the tidal waves of a regional war in the Middle East will reach Europe much sooner than they reach U.S. shores. Whether Europe will stand up for its own values and security and against Bush's war plans, however, remains to be seen. Here, Tehran's offers are likely not inconsequential.»