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10 août 2007 — La guerre de tranchées entre Bush et Brown, ou plutôt de Bush contre Brown, a commencé. Elle durera bien au-delà de Bush, à mesure (au moins) de la durée des conflits irakien et afghan qui ne sont pas prêts de se terminer, et même à mesure de la Long War ou “guerre sans fin” contre la terreur, — qui n'a pas de fin, comme chacun sait. Ces questions irakienne et afghane ne sont que l’occasion d’exprimer ce conflit qui est celui de l’exigence insatisfaite et qui ne pourra être satisfaite d’une psychologie américaniste dont le déséquilibre a été radicalement aggravé par 9/11.
Ce passage d’une chronique de Con Coughlin le 10 août dans le Daily Teleraph résume l’enjeu apparents et les attendus formels de cette guerre Bush-Brown et, plus largement, — USA versus UK depuis le départ de Blair. L’argument, — le prétexte politique, — porte sur les guerres d’Irak et d’Afghanistan, et du soi-disant “choix” fait par Gordon Brown.
Coughlin attaque la conception “brownienne” qui répudie la conception “bushiste” (mais aussi américaniste) de la “guerre contre la terreur”. Pour Brown, il n’y a pas de lien direct entre les deux conflits et l’un (l’Afghanistan) semble plus justifié, tandis que l’autre (l’Irak) n’est pas loin d’être une erreur gravissime. Washington, qui est tétanisé par l’Irak, sort à cette occasion l’argument qu’au contraire ces deux conflits sont liés et qu’on ne peut abandonner l’un sous prétexte qu’on se concentre sur l’autre. D’où l’annonce par Coughlin de sérieux problèmes dans les “relations spéciales”, d’ores et déjà signalés par des incidents entre les deux alliés.
«Promoting the Afghan cause at the expense of Iraq might seem like good politics at home, but it is not convincing anyone outside the Westminster beltway, least of all in Washington where Mr Brown's apparent lack of interest in Iraq's post-Saddam fate is threatening to provoke a serious rift in transatlantic relations.
(…)
»The Brown camp's wilfulness in refusing to acknowledge the link between the Afghan and Iraqi campaigns has prompted the first serious rumblings of discontent between London and Washington since September 11, with American officials this week suggesting that it did not really matter one way or the other whether British forces withdrew from Basra, because they had already abandoned control of Iraq's second city to bands of lawless militias.
»For their part, British commanders in Afghanistan complain that their attempts to win the battle for hearts and minds among the local population are being undermined by the unacceptably high number of Afghan civilians being killed by American air strikes.
L’autre signe de la mésentente vient d’une autre plume-relais et fidèle porte-voix de Washington à Londres. Il s’agit du chroniqueur du Times Gerald Baker, dans sa chronique d’aujourd’hui également. Baker, lui, reproche à Brown de jouer au plus fin avec Bush, en attendant son départ. Baker note que l’agacement se mesure bien, à Washington, et il donne des arguments d’une futilité telle qu’ils doivent être vrais et effectivement refléter l’humeur US à l’encontre de Brown, — notamment cette remarque à propos de la rencontre Bush-Brown : «It was evidently an awkward meeting. One senior US official told me this week: “Brown does rather give the impression he was born in a suit and tie, doesn’t he?”»
Il s’agit, pour Brown, de jouer la montre jusqu’au départ de Bush, — mais dix-huit mois à finasser, est-ce tenable? Et puis, pour avoir quoi, passés ces dix-huit mois? Sur ce dernier point, Baker n’a pas tort du tout, — même si la chose n’est pas rassurante, ni plaisante pour Brown et pour les autres dirigeants européens (pour ne parler que d’eux), — en assurant que le départ de Bush ne changera rien :
«No one in his right mind would seek political advantage by cosying up to Mr Bush, but if Mr Brown thinks he can just wait until America chooses a new president in 18 months’ time who will eagerly embrace the Brown-Miliband-Malloch Brown view of the world, he is making a dreadful mistake.
»The Democratic contenders for the presidency — whether it is Barack Obama promising to invade Pakistan if he deems it necessary to win the War on Terror, or Hillary Clinton trying to sound like General Patton over Iran and other potential threats — have figured out that Americans may want a different president but they still don’t want to outsource foreign policy to the United Nations or the European Union.»
Comme tous les textes des relais d’influence US, ces deux textes nous permettent de bien apprécier l’humeur washingtonienne (Bush ou pas Bush). Ce n’est pas triste. Quoiqu’il fasse, quoiqu’il dise, Brown est marqué du signe de l’apostat. Il ne s’en débarrassera jamais, notamment parce que le jugement contre lui est la marque de l’humeur et nullement de l’analyse.
Washington attend de son “allié privilégié”, en un sens, qu’il soit totalement servile en toute liberté, et même avec fierté et volontarisme. Blair faisait bien l’affaire, ce qui fait penser qu’il avait sans doute la même psychologie un peu fêlée que celle des neo-cons. Cette “servitude volontaire” (merci, La Boétie) choisie par les alliés de Washington, et même fièrement proclamée et affirmée comme une rodomontade par eux, sied parfaitement au système de l’américanisme. Elle lui permet de poursuivre sa “narrative” sur les “valeurs communes”, l’“alliance privilégiée”, la politique de la morale et ainsi de suite, — “narrative” qui est le fondement du virtualisme qui caractérise aujourd’hui le système. Washington a besoin de croire à une alliance fraternelle et équilibrée avec un pays qu’il traite comme un laquais parce qu’il a besoin de ne pas croire qu’il est une force belliciste et expansionniste manipulant ses porteurs d’eau. Blair s’y entendait parfaitement pour faire passer tout ce bazar.
Gordon Brown est plus rustre. Cet Ecossais un peu épais veut bien croire aux “valeurs communes” et à l’alliance fraternelle mais en en considérant tous les termes, —y compris celui des intérêts britanniques en même temps que de sa position politique intérieure. Brown a un peu la même logique que Sarkozy (en tenant compte des grandes différences d’éloignement et d’indépendance des deux systèmes britannique et français par rapport à Washington) : «Je veux dire [aux USA] que la France sera toujours à leurs côtés quand ils auront besoin d’elle. Mais je veux leur dire aussi que l’amitié c’est accepter que ses amis puissent penser différemment…» (Sarko, le soir de son élection.) Ce genre de marché franc et ouvert n’a jamais, au grand jamais, marché avec Washington. L’Amérique n’a pas d’alliés, elle a des vassaux dont elle attend qu’ils leur disent qu’ils sont les alliés sur pied d’égalité de l’Amérique: humiliés, réduits, maltraités, mais très satisfaits et sans aucune contestation à cet égard, et même fiers de l’être et en un sens plus libres encore d’être ainsi traités comme une sous-merde.
Brown a cru qu’avec quelques sourires et quelques protestations d’amitié plus que d’allégeance, il pouvait annoncer en toute tranquillité le commencement du retrait britannique d’Irak. C’est pour la bonne cause puisqu’il s’agirait de renforcer le front allié en Afghanistan. Washington ne veut rien entendre de cette sorte de logique, et d'ailleurs il n'y entend rien. Les Britanniques doivent être partout où ils sont, — et même ailleurs encore, — et y rester tant que Washington ne donne pas le feu vert pour en partir.
Désormais, la détérioration de la situation en Irak a trouvé un bouc-émissaire de plus. Il y avait le fantôme de Saddam, les ADM qui n'existent pas, les “baathistes”, les sunnites, les chiites, les Syriens, les Saoudiens, les Iraniens, les terroristes, les insurgés, Al Qaïda, la pluie et le beau temps; il y aura désormais, comme une cerise sur le gâteau, les Britanniques qui ont foutu le camp comme ces vulgaires “Cheese-eating surrender monkeys” de Français… On en fera une variante : “Pudding-eating surrender monkeys” ?