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6356 décembre 2002 — Trois informations donnent une indication précise du climat qui règne aujourd'hui au Moyen-Orient, après neuf mois de pressions continuelles des USA auprès des pays de la région pour avoir un appui de leur ttaque contre l'Irak. (En avril, Dick Cheney a effectué un voyage dans la région, qui était le premier effort précis et puissant pour obtenir cet appui. Hier 5 décembre, Wolfowitz, au départ d'Ankara, terminait la dernière en date des initiatives US pour obtenir cet appui.)
Ce climat, défavorable aux USA, constitue un problème grave, d'autant plus grave qu'on ne voit pas l'amorce d'une évolution vers une amélioration. A mesure que les choses se précisent, on découvre que les oppositions à la politique américaine sont plus solides que prévu, et que les polémiques les plus vicieuses et les plus déstabilisantes continuent à être entretenues (voir le cas saoudien). Cela implique que, dans ces pays, des fractions importantes estiment que les bonnes relations avec Washington ne sont pas (plus) nécessairement la priorité absolue.
Les trois informations citées comme exemplaires du climat concernent trois pays-clés : la Turquie, l'Arabie Saoudite et l'Iran.
• L'accueil turc fait à Wolfowitz a été plus que mitigé. Le résultat de la visite est un soutien extrêmement conditionnel, alors que la position de ce pays est absolument centrale pour la stratégie américaine. Pour les Turcs, il faudra une nouvelle résolution de l'ONU autorisant l'emploi des armes contre l'Irak pour qu'ils autorisent l'utilisation de leur territoire par les USA. En tout état de cause (donc, hypothèse d'une résolution pro-guerre de l'ONU comprise), le déploiement de forces US terrestres importantes en Turquie n'est certainement pas assuré, les dirigeants turcs se montrant ouvertement réticents. Par rapport aux nécessités opérationnelles et au poids de la puissance US, la position turque est plus un demi-échec qu'un demi-succès.
« Turkey's foreign minister said Tuesday that his country would allow the United States to use military bases in the country for a strike against Iraq, but only if the United Nations first approved such military action. (...)
» When asked if the United States would have to seek a new U.N. resolution to use force against Iraq, Yakis said: ''Yes, yes, yes. The Turkish understanding (is) that the present resolution, 1441, does not allow automatic resorting to armed intervention.'' (...)
» Although the United States is looking at the possibility of sending ground troops into northern Iraq, Yakis said Turkey would have trouble supporting a large U.S. military presence. ''It may be difficult to see tens of thousands of American forces being transported through Turkish territory into Iraq or being stationed or deployed somewhere in Turkey and their carrying out strikes inside Iraq,'' he said.
• Les relations des USA avec l'Arabie Saoudite continuent à se dégrader et, comme on le voit avec les deux autres exemples rapportés ici, ce fait est loin d'isoler l'Arabie. (Les analystes américains prévoyaient effectivement un isolement saoudien à mesure de la dégradation des relations avec les USA). Le dernier élément en date concernant cette détérioration des rapports USA-Arabie est l'affirmation, par le ministre saoudien de l'intérieur, que l'attaque 9/11 contre les USA a été manipulée par Israël. Même si l'affirmation ne concerne pas directement Washington, elle concerne la politique américaine, les engagements fondamentaux américains, et rejoint les pires accusations lancées aussi bien contre Washington que contre Tel Aviv à l'occasion de cette attaque.
« The Saudi police minister has claimed Jews were behind the Sept. 11 attacks because they have benefited from subsequent criticism of Islam and Arabs, according to media reports. Interior Minister Prince Nayef made the remarks in the Arabic-language Kuwaiti daily Assyasah last month. The latest edition of Ain al-Yaqeen, a weekly Internet magazine devoted to Saudi issues, posted the Assyasah interview and its own English translation.
» ''We know that the Jews have manipulated the Sept. 11 incidents and turned American public opinion against Arabs and Muslims,'' Prince Nayef was quoted as saying in the Arabic text, while Ain al Yaqeen's English version referred to ''Zionists'' instead of ''Jews.'' ''We still ask ourselves: Who has benefited from Sept. 11 attacks? I think they (the Jews) were the protagonists of such attacks,'' Nayef was quoted as saying. Nayef's spokesman, Saud al-Musaibeeh, did not respond to repeated requests for confirmation the minister had been quoted accurately.
» ''The Saudis are telling us that they are an ally in the war on terror while their top government officials are still blaming ... the Jews and denying that 15 Saudis took part in the attacks on New York and the Pentagon,'' Rep. Eliot Engel, a New York Democrat, said in Washington earlier this week. ''The Bush administration continually defends Saudi Arabia as a friend of the United States and a committed partner in the war on terror,'' Engel said. ''Does this Saudi minister sound like a partner in the war on terror?''
» Sen. Charles Schumer, also a New York Democrat, wrote this week in a letter to the Saudi ambassador to the United States that ''the interior minister's comments only serve to confirm American suspicions about the Saudi government's commitment to the war on terror.''
» Nayef's remarks echoed rumors that have been heard in the Arab world since the attacks — but this time they are attributed to the man in charge of Saudi investigations into the attacks. »
• Le troisième point concerne des déclarations du président iranien, le modéré Khatami. (La déclaration est rapportée par l'agence Reuters.) La déclaration est importante parce qu'on a l'habitude de juger que Khatami doit avoir comme politique de ménager le plus possible les USA, pour affirmer sa position de modéré à l'intérieur, où le courant réformiste est très affirmé, et pour avoir le soutien US dans cette même position intérieure. Khatami est, dans la hiérarchie iranienne, le signe le plus convaincant que le prosélytisme démocratique, évidemment américain, pourrait marcher en Iran. Dans sa déclaration, au contraire, Khatami attaque les USA, mais dans un langage modéré si l'on veut, sans diabolisation, en leader responsable qui ne veut pas être pris pour un extrémiste. Ce n'est pas un Khatami brusquement devenu extrémiste qui parle mais un Khatami modéré qui a jaugé les réalités, et qui conclut que la politique américaine est un danger “pour le monde”. C'est un signe de plus de l'isolement croissant des USA dans la région.
« Iranian President Mohammad Khatami mounted an unusually strong attack on the U.S. government on Wednesday, accusing it of seeking a pretext to attack Iraq and of posing a danger to the whole world. ''We have always voiced our opposition to an American attack on Iraq and basically we sense danger from America's unilateral policies, not just for ourselves, but the whole of mankind,'' Khatami told reporters after a weekly cabinet meeting.
» Khatami, a moderate cleric who has made great efforts in the past to improve the Islamic Republic's relations with the West, said Iran was no friend of Iraqi President Saddam Hussein, who launched an attack on Iran in 1980 that sparked an eight year war in which one million people were killed. ''We are not happy with the Iraqi regime which has carried out so much oppression against our nation, but this (a U.S. attack) is not the way to deal with it,'' he said. ''I hope this attack does not take place even though it seems that the United States is looking for a pretext.''
» ''Unfortunately, due to the rule of a hard-line (U.S.) faction whose policies in my view are dangerous for the whole world, a favorable outcome cannot be predicted,'' he said. »
Reprenons notre dernière remarque en l'élargissant. Ces trois péripéties renforcent fortement l'impression de l'accroissement de la solitude américaine dans cette région, également comme une mécanique qui pourrait provoquer des regroupements anti-américains surprenants. On assiste, en attendant un conflit qui reste toujours hypothétique, à l'érosion d'une position de suprématie absolue des États-Unis, non seulement dans les années 1990, mais encore dans les années 1970 jusqu'à la révolution iranienne. En attendant que la guerre contre l'Irak transforme le Moyen-Orient en “protectorat américain”, comme le but en est clairement affiché à Washington, le résultat qu'on mesure chaque jour est exactement le contraire : l'érosion accéléré de la domination américaine dans la région. Il faudra qu'on explique un jour la pensée profonde qu'on trouve dans l'actuelle stratégie américaine.