Euphorie Russie-USA à Moscou et Vershbow (BMDE en Ukraine) aux oubliettes

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Rarement une mise au point aura été aussi sèche et aussi sévère, venue de tous les côtés en un tir plus que croisé – triangulaire et sans pitié. Alexander Vershbow, adjoint au secrétaire à la défense pour les relations internationales, qui avait évoqué l’installation d’une station-radar en Ukraine (voir notre Bloc-Notes du 12 octobre 2009), a été démenti sans la moindre précaution de langage de trois côtés à la fois : du côté US, du côté russe et du côté ukrainien. Cerise sur le gâteau d’une visite d’Hillary Clinton à Moscou qui s’est passée dans les meilleures conditions du monde parce que les Américains veulent absolument une entente avec la Russie: il n’y aura pas non plus la moindre installation US de ce genre en Géorgie. (Il n’en avait pas été officiellement question mais il en est encore moins question, après tout, en le disant…)

• Dans cette affaire Vershbow, les Russes avaient annoncé, avec un Lavrov plutôt sombre le 9 octobre, qu’ils voulaient des éclaircissements. Un Lavrov hilare le 13 octobre, sortant de son entretien avec Hillary, a écarté d’un geste l’affaire ukrainienne. Hillary, elle, commentait que sa rencontre avec Lavrov avait été “formidable”.

• Les Américains, selon Novosti le 13 octobre 2009 ont assuré que les USA veulent établir leur nouvelle version du réseau anti-missiles (ex-BMDE) en complète coopération avec la Russie, selon une interview de Michael McFall, conseiller du président américain en charge de la Russie et de l'Eurasie, au journal Kommersant. «Le principal résultat des rencontres des présidents Medvedev et Obama consiste dans le fait que ce système doit être créé avec la participation de la Russie», dit McFall. Puis, sur l’Ukraine: « D'après M.MacFall, la déclaration de l'assistant du secrétaire américain à la défense, Alexander Vershbow sur une éventuelle implantation d'éléments du bouclier antimissile en Ukraine a été faussement interprétée par les journalistes. “L'Ukraine n'a jamais fait l'objet de discussions dans le contexte de l'ABM”, a-t-il assuré.»

• Du côté ukrainien, on avait été sans aucun doute mis au parfum de l’atmosphère russo-américaine qui s’esquissait, et on avait prévenu la moindre ambiguïté de ce côté. D’où ces déclarations du ministre des affaires étrangères ukrainiennes de vendredi dernier, reprises par Novosti, du 9 octobre 2009: «“Le déploiement de l'ABM sur le territoire ukrainien serait à mon avis illégitime, voire anticonstitutionnel”, a annoncé vendredi M.Porochenko en commentant la récente déclaration du sous-secrétaire américain à la Défense Alexander Vershbow sur le déploiement éventuel d'éléments de l'ABM en Ukraine.» Le reste des déclarations de Porochenko porte sur la nécessité de très bonnes relations entre l’Ukraine et la Russie.

• Enfin, sur le point géorgien, Hillary n’a pas barguigné, même si l’hypothèse d’un déploiement de quoi que ce soit de sérieux en Géorgie est assez surréaliste et n’a jamais été évoqué sérieusement – donc, rien n’est trop beau pour rassurer les amis russes (selon Novosti, le 14 octobre 2009): «“Je ne vois aucune raison de déployer des éléments de l'ABM sur le territoire de la Géorgie“, a estimé la chef de la diplomatie américaine. “Je sais que cela préoccupe la Russie”, a poursuivi la Secrétaire d'Etat. Les Etats-Unis voudraient lever cette préoccupation et mettre sur pied, conjointement avec la Russie, un bouclier antimissile “en mesure de protéger aussi bien le peuple américain que le peuple russe, ainsi que nos amis et alliés en Europe”.»

@PAYANT D’une façon générale ce “sommet” USA-Russie, avec Hillary rencontrant Lavrov puis Medvedev, s’est passé dans une atmosphère idyllique, qui entend dissiper tous les malentendus possibles, les diverses hypothèses plus ou moins techniques, plus ou moins politiques, évoquées depuis la décision d’abandon du BMDE, il y a un mois. Notamment, il y a eu une sévère mise au point sur la sortie de Vershbow, sur l’Ukraine, qui avait été encore plus significative par sa déclaration assez provocante («Moscow initially responded with “euphoria” to the Obama administration's revamped European missile-defense plan, Vershbow said. Since then, he said, Russian officials have realized the new plan will put more missiles and Aegis ships in Russia's neighborhood. “I think that euphoria has faded.”»). Il est difficile de penser que Vershbow a été “mal compris” par les journalistes, avec des déclarations aussi nettes, et plus raisonnable de penser que le Pentagone a été à cette occasion vertement remis à sa place.

Nous faisions donc preuve d’un optimisme trop tempéré en avançant, le 12 octobre, qu’Hillary Clinton tenterait d’arranger les choses («Il sera intéressant de voir ce qu’il sortira des entretiens d’Hillary Clinton à Moscou. Sans doute y aura-t-il une tentative d’apaisement de cette nouvelle tension?»). Les Américains n’ont pas “tenté”, ils ont fait feu de tout bois pour dissiper toute ambiguïté et pour proclamer hautement leur volonté de coopération. Décidément, l’abandon du BMDE est bel et bien un acte d’apaisement vis-à-vis de Moscou, et une main tendue pour un arrangement sans aucune restriction.

Il faut que la réconciliation avec la Russie soit bien une priorité essentielle d’Obama pour les choses soient dites comme elles le sont, et que le Pentagone soit mouché comme il l’a été. Dans ce cas, quand la priorité est aussi claire dans le chef du président et qu’il n’y a pas de dispositions techniques en place qu’il faut supprimer, comme dans le cas de la BMDE – le Pentagone étant maître dans l’art de faire traîner les mesures de repli ordonnées par la direction politique quand existent effectivement des installations ou des bases – la décision politique triomphe aisément de la bureaucratie qui n’a plus aucun moyen de contre-attaquer. A cette lumière, les déclarations de Vershbow s’avèrent être une tentative sans guère de substance pour tenter de ne pas perdre toutes les positions que le Pentagone projetait d’installer autour de la Russie.

Le résultat est net, et la démonstration involontairement faite par Vershbow interposé. Washington est prêt à aller très loin pour s’entendre avec la Russie, alors qu’il ne reçoit guère de choses en compensation, les Russes restant ultra-prudents, et toujours réticents, à propos de sanctions contre l’Iran. Avec la Russie, Obama joue au niveau fondamental de la stratégie. Il veut un apaisement des relations avec la Russie et un accord stratégique de limitation des armements nucléaires. Il semble prêt à aller loin pour cela.

Il n’empêche… A cette lumière, nous sommes encore plus intéressés de voir comment se déroulera la visite de Biden en Tchéquie et en Pologne dans quelques jours, pour rassurer les “alliés perdus”. En attendant, Vaclav Klaus, président tchèque et irascible comme l’on sait, mais partisan d’une entente avec la Russie, a été reçu en grandes pompes à Moscou il y a deux jours, avec quelques accords économiques à la clef. C’est peut-être une indication qui va au-delà de la seule personnalité de Klaus…


Mis en ligne le 14 octobre 2009 à 10H09