Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
456
9 octobre 2005 — D’un côté, on se demande quelle autre position la Commission pourrait défendre ; d’un autre côté on est obligé d’observer que cette position de la Commission est simplement suicidaire. L’article du Herald Tribune du 6 octobre (on pourrait en citer tant d’autres, qu’importe) nous parle de l’affrontement Chirac-Commission et retour (à la suite des attaques de Chirac contre la Commission à propos de l’emploi et du “social”, le 4 octobre). Mais c’est plutôt “des États” contre la Commission qu’il faut parler.
« A breach between the European Commission and some European Union member states over the Continent's economic policy widened Wednesday as the commission hit out at anti-free market rhetoric from France and unveiled plans to shore up Europe's industrial base.
» Declaring an “industrial policy for the beginning of the twenty-first century,” the European Commission said it would take measures to ensure Europe keeps a robust manufacturing base and to thwart a global trend for manufacturing jobs to shift from the high-cost economies of Europe and the United States to Asia.
» Günter Verheugen, the European Union's industry commissioner, said the new industrial policy was aimed at making Europe's companies more competitive in the face of intensifying global pressures. But he warned that it would not prop up uncompetitive companies through state aid or trade barriers, or by intervening in the private sector to stop businesses cutting jobs. “We don't want to go back to import quotas and protectionism,” Verheugen said. “We are going to defend community interests if and when our trading partners prevent market access, but our policy in the EU is based on global competition and open markets.” »
En l’occurrence, lorsqu’il attaque la Commission pour son manque de “social” (sur fond de grève générale en France, — suivie par une autre en Belgique, trois jours plus tard), Chirac a tort, complètement tort, et sa foi est entièrement mauvaise. La Commission ne peut rien faire de “social”, elle ne peut rien faire pour les licenciements de Hewlett-Packard. Tout le monde le sait et, dans cette occurrence, Chirac est, comme dit Eric Zemmour dans l’émission Ça se discute (8 octobre 2005 sur I-Télé), « d’un cynisme absolu ». Victor Robert, l’animateur de l’émission, lui a donné la parole à propos de l’intervention de Chirac en observant: « On dirait que Chirac a voté non ».
Chirac leader des ‘non’? C’est parfaitement le cas et c’est ce que nous observions peu après le référendum, dans notre F&C du 1er juin:
« Hier, 20H00, Chirac, l’homme qui est comme la France, “qui ne sait plus où il est ni où il va” (Eric Zemmour), a fait l’apologie du ‘modèle français’, — modèle dynamique, entreprenant, social, modèle de dialogue, rien à voir comme chacun sait avec le ‘modèle anglo-saxon’ qu’une sorte de complot prétendrait nous imposer… Ah ça non alors!
(…)
» Il y a des boulevards pour déverser par conteneurs entiers l’ironie, le sarcasme, la fureur pour ceux qui dramatisent la scène du monde en dramatisant leur propre jugement, sur l’avant-scène du théâtre politique français. Chirac, — ce ‘caméléon roboratif’, comme on le décrivait, — est peut-être bien sur le point de s’adapter. Leader des ‘non’, Chirac? Après tout, là où la majorité est, là se déplace le Président à la vitesse de l’éclair.
(…)
» Il est bien possible que, demain, Chirac passe à l’acte, lui qui avait glissé à l’oreille de Tony Blair: “Mon cher Tony, si les Français votent non vous allez voir ce qu’est un Thatcher à la française.” Tony Blair est-il plus estimable? Nous avons les scélérats de notre époque. Un scélérat qui se fait instrument du peuple parce qu’il est caméléon est plus sympathique qu’un scélérat qui a la foi à la place du peuple, — plus sûr le scélérat sans conscience que le scélérat qui a une conscience pour nous.
» Chirac est ‘abracadabrantesque’. Il n’a donc pas fini de nous laisser cois. Eh bien, si c’est le cas, qu’il fasse son travail, qu’il soit un ‘Thatcher à la française’ pour le bien de l’Europe… »
Mais qu’importe tout cela. La bataille qui gronde en Europe n’a plus rien à voir avec les premiers prix de vertu et, désormais, les dirigeants politiques n’ont plus guère le temps de s’occuper des jugements raffinés et redondants des éditorialistes de la presse parisienne. La révolte gronde en Europe parce que les temps nous pressent comme jamais, — non pas en France, dans les manifestations des grévistes, mais partout dans le monde, dans les grands courants déstabilisateurs et déstabilisants. Jamais la politique intérieure n’a autant dépendu de la politique extérieure.
Chirac est de mauvaise foi, il est cynique, il a tort sur la question qu’il soulève, — mais il parle d’or et il a donc historiquement raison. Au bout du compte, il est dans “le sens de l’Histoire”, nouvelle et tragique version. (Le “sens de l’Histoire” n’est aujourd’hui ni celui du progrès, ni celui du libéralisme, ni celui de Fukuyama.) Chirac n’est ni un homme vertueux ni un grand homme d’État en l’occurrence mais il y a que “ses tripes” et son sens du peuple (certains disent : sa démagogie), dans ce cas, rencontrent les grandes nécessités historiques du moment.
Il est intéressant de citer les grands discours des commissaires européens défendant les vertus de la théorie, un Verheugen affirmant : « We want European industry to be exposed to competition. » Il serait également intéressant de faire un tour dans les couloirs de la Commission, dans les réunions de la Commission, pour voir comment se rédigent ces discours, dans quel climat figé de conformisme, d’atonie intellectuelle, de terreur de risquer de dépasser la pensée autorisée, se passent les choses. La bureaucratie de la Commission est, aujourd’hui, paralysée devant une situation du monde qu’elle ne comprend pas, qu’il lui est difficile de comprendre et qu’il lui est de toutes les façons interdit de comprendre. « We want European industry to be exposed to competition. »? Exposer l’industrie européenne automobile au déferlement chinois qui se prépare? Monsieur le Commissaire (qui changera de 180° s’il devient ministre chez lui, comme c’est bien possible pour Verheugen) sait-il ce qu’il dit?
Ce conflit n’en est pas un. Les choses sont réglées. Le Herald Tribune, après avoir assaisonné Chirac, n’en termine pas moins son article de cette façon (il aurait pu également citer les Britanniques), —pour montrer sans le vouloir que la sempiternelle explication de l’“exception française” est un peu courte:
« There are other signs elsewhere that European industry itself is taking steps to protect itself from the forces of global competition. Last month Porsche said that it planned to buy a 20 percent stake in fellow German car company Volkswagen to secure VW against a possible takeover. DaimlerChrysler had also held talks with VW about buying a stake.
» The Italian government is also preparing defenses for state-owned companies that are due to be privatized to protect them against hostile takeovers, according to a report in a newspaper. »
La Commission, organisme d’un entre temps, répond conformément au règlement d’un autre temps. Les réunions européennes en ce moment, jusqu’aux plus anodines, montrent non plus des discussions entre les États et la Commission, mais les États disant simplement “passez outre” lorsque la Commission tente d’exposer ses conceptions ultra-libérales. La loi d’airain de notre époque, c’est la mobilisation devant les dangers extérieurs.
Dans notre livraison du 10 octobre (Volume 21, n°03) de notre Lettre d’Analyse de defensa & eurostratégie, nous notons :
« * Les négociations et les tensions avec la Chine, depuis le début de l'année, placent l'Europe devant la terrible pression d'un marché ouvert. Il faut s'en arranger, éventuellement s'en protéger là où il se peut. On verra un jour que le binôme libre-échange-protectionnisme, avec modulations selon les domaines, n'est pas si absurde qu'on croit.
» * L'instabilité des États-Unis. Katrina a fait réaliser à certains que des scénarios extrêmes avec cette superpuissance bien plus fragile qu'on croit, ne sont plus à exclure. En plus de cela, les rapports commerciaux et technologiques dans les industries stratégiques ne cessent de se tendre entre les États-Unis et l'Europe.
» * Les grandes crises de survivance s'amorcent, comme on l'a vu: la production déclinante du pétrole, la crise climatique avec les calamités naturelles qui en découlent.
» Soudain, le monde déjà incertain et chaotique devient extraordinairement dangereux. Les mesures d'urgence et les regroupements des pays proches les uns des autres deviennent inévitables. D'un certain point de vue, c'est-à-dire dans certains domaines, les plus essentiels, les verrous claquent rudement. On s'installe dans sa forteresse. »