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9203• Quelques jours d’attente pour bien nous assurer du cours des choses : le remue-ménage autour de la crise au Nigéria entre bien dans le domaine de la GrandeCrise, alias ‘Ukrisis”. • Les interprétations en sont désormais, en plus des facteurs régionaux et des décisions de tactique politique ou militaire, à identifier les grandes tendances à l’œuvre, ces grandes tendances qui s’affirment sans que nous y prenions garde. • Ainsi les eurasianistes, ou paneurasianistes de Russie, parlent-ils de l’affirmation d’un courant panafricaniste qui doit faire entrer l’Afrique dans le domaine crisique global. • L’observation vient bien à point après le sommet Russie-Afrique de Saint-Petersbourg. • Les uns et les autres parlent tous, d’une façon plus ou moins accordée, de la tradition s’opposant à la modernité, ce qui dot nous faire regretter le rôle essentiel que la France a tenu dans ce courant fondamental éclairé par l’esprit de René Guénon. • en est même quelques-uns, un peu candides, pour espérer que la France s’éveille d’un si long sommeil et sorte du Grand Néant qui est la marque du macronisme.
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5 août 2023 (18H00) – Le 27 juillet, Andrew Korybko remarquait à propos du coup d’État des miliaires au Niger, ceci qui résumait la plupart des pensées et des arrière-pensées des commentateurs qui tiennent à ne pas rester enfermés dans une vision régionale, et par conséquent trop cloisonnée pour nous laisser distinguer ce qui importe et ce qui n’importe pas. Pour Korybko comme pour les autres, et peut-être même avant les autres, c’était encore une question :
« Il est trop tôt pour dire si la junte nigérienne est multipolaire comme ses voisins ou si elle sera cooptée par l'Occident pour servir de nouveau visage à son système néo-impérialiste, mais cela changerait la donne sur le front africain de la nouvelle guerre froide si ce groupe s'inspirait de ses homologues maliens et burkinabés. Dans ce cas, l'Occident perdrait son dernier bastion dans cette région élargie, ce qui accélérerait de manière sans précédent la montée de l'Afrique en tant que pôle indépendant dans l'ordre mondial multipolaire émergent. »
Aujourd’hui, il n’est plus trop tôt, il serait même peut-être “plus tard que tu ne penses”. Le putsch au Niger est entré avec une extrême rapidité, – comme vont les évènements aujourd’hui, mus par des mécaniques supérieures, actionnées par des volontés également supérieures, – dans sa véritable dimension de “Guerre Froide” devenue grondante, “Guerre Froide 2.0” et bien plus grave et déferlante, sans contrôle, que ne fut la première du nom. Avec la première, sans écarter les aspects cruels et tragiques, on se sentait dans une paradoxale sécurité encore mieux mise en évidence par les crises soudaines qui survenaient et s’apaisaient aussi vite (Berlin 1960, Cuba 1962, Kippour 1973). Ce n’est vraiment plus le cas sur la “scène de crise”, où s’agitent pantins et marionnettes.
Pire encore, – ou “mieux”, pour ce qui est de la situation générale ? Cela se discute vraiment, si nous tenions par exemple l’idée que pire est la situation, plus vite la crise fera sentir ses effets contre le Système... Donc pire-“mieux encore”, il s’avère que l’alignement et l’obéissance dans les rangs sont très loin d’être choses acquises, – tout comme l’“hégémon” US, qui n’en est pas vraiment un mais le produit d’une fascination ayant entrainé une auto-américanisation dans les pays de ce que nommons, nous, le “bloc-BAO”... Dans le cas du Niger, nous pensons bien entendu à l’Italie.
La réaction du ministre italien des affaires étrangères exonérant la Russie de toute responsabilité est complètement du côté des “anticolonialistes”, complètement antiSystème dans ce cas, – et c’est sans aucun doute un point élégamment important. C’est vrai, il faut le répéter, nous nous demandons si cet élément de désordre “dans les rangs”, qui aggrave encore plus cet aspect spécifique de la “Guerre Froide 2.0” comme très différente de la Guerre Froide initiale, n’est pas, d’un point de vue général, “mieux que pire” tant il importe aujourd’hui de vider complètement l’abcès dans la douleur qu’on imagine. Cette douleur concerne les alignements et obéissances au Système qu’il faut mettre en question sinon briser, – et nous disons bien “au Système“ et non à “l’Amérique” divaguant droguée-bourrée, dans une crise du pouvoir absolument démente qui en fait le premier élément antiSystème en importance.
De ce “dés-alignement” d’une Italie qu’on croyait ancrée dans la traîtrise initiale de ses actes de soumission, Korybko à nouveau dit ceci :
« Cet aperçu montre qu'il est possible pour les États occidentaux de se comporter indépendamment de leurs pairs sur certaines questions si des intérêts nationaux sensibles sont menacés, qu'il s'agisse des intérêts de l'Italie en matière de migrants/réfugiés dans la crise nigérienne ou des intérêts agricoles de la Pologne en ce qui concerne l'importation de céréales ukrainiennes. Chacun de ces deux exemples est également lié aux intérêts politiques de leurs dirigeants, ce qui suggère cyniquement qu'ils n'agiront de manière souveraine sur ces questions sensibles que si leur carrière est en jeu.
» Il n'en reste pas moins intriguant de les voir faire passer leurs intérêts avant ceux de leur nouveau bloc de facto de la guerre froide, ce qui prouve qu'il n'est pas impossible que cela se produise. Dans les conditions spécifiques que nous venons de décrire, où les intérêts domestiques sensibles convergent avec les intérêts politiques d'un dirigeant occidental donné, il n'est pas exclu qu'il agisse de manière plus indépendante que ses pairs. Cela s'est déjà produit deux fois en autant de semaines, ce qui en fait un fait documenté et non une spéculation. »
Ces quelques circonstances générales ou particulières, avec aussi les agitations françaises et américanistes, montrent que l’affaire du Niger c’est bien plus que l’affaire du Niger. Symboliquement et aussi opérationnellement, c’est l’entrée de l’Afrique dans le ‘Grand Jeu’ comme l’on disait avant en bon mackindérien-géopoliticien , c’est-à-dire son entrée dans la GrandeCrise.
Là-dessus, l’occasion est belle et bonne de revenir sur un texte du 14 mars 2022 du ‘Journal-dde.crisis’, où il était question d’une amorce d’élargissement extrêmement significatif, vers cette entité que l’on nommerait couramment quelques semaines/mois plus tard le “Sud global” (ou “Sud profond”, pour notre part et pour quelques temps), dans lequel l’Afrique a évidemment une place de choix. L’affaire du Niger et les regroupements politiques qu’elle entraîne, après/en même temps que le sommet Russie-Afrique, constitue une “opérationnalisation” capitale de ces considérations théoriques où la question du panafricanisme est posée par un de ses théoriciens, Kemi Séba.
« L’important dans cette occurrence et selon ce jugement de Séba, c’est que notre ‘Ukrisis’ est sortie de son contexte pseudo-géopolitique (expansionnisme russe) ; de son axe Est-Ouest façon Guerre Froide recommencée ; de son simulacre idéologique peinturlurée de l’arc-en-ciel de nos vertus ; de sa latitude moralinesque dont le champ matriciel est le bloc-BAO dans sa situation transatlantique, croisière de luxe du type “anglosphère” exsudant le suprémacisme anglo-saxon. La ‘Ukrisis’ devient absolument un événement de son temps catastrophique, un événement pas si fou de ces temps-devenus-fous, se révoltant contre cette folie, exprimant complètement la Grande Crise.
» Or, il se trouve que Séba n’est pas un isolé, dans le sentiment qu’il exprime. On retrouve ici et là et de plus en plus, du Mexique à l’Inde, de la Chine à l’Iran, cette sorte de jugement sur ‘Ukrisis’, absolument remise dans son contexte métahistorique. Il est très intéressant de constater que ce courant, – dont on pourrait juger qu’il s’est exprimé, si les décomptes sont faits pour ce qu’ils sont et ce qu’ils disent, lors du vote de l’Assemblée Générale de l’ONU – ne faiblit pas sous les coups de l’extraordinaire offensive de communication du bloc, et des pressions qui vont avec, mais qu’au contraire il grandit selon ma perception et s’affirme tel qu’on peut le percevoir.
» C’est de loin l’aspect de l’événement le plus intéressant, le plus formidablement puissant potentiellement, parce qu’il est à la fois force et forme, qu’il n’est en rien une création de la communication comme instrument de torture postmoderne, en rien un simulacre. Je puis assurer les dieux que l’on reviendra très vite dans ces colonnes de notre site sur cet aspect de la chose, que l’on s’attachera à présenter de façon à la fois plus précise et plus conceptuelle. Car c’est bien là que nous est donnée l’occasion de sortir de la caverne de Platon. »
Cette embardée vers le panafricanisme, si elle est justifiée par les évènements du Niger, l’est encore plus au regard de l’en-cours évènementiel en général, particulièrement depuis le 24 février 2022. Ce n’est pas pour rien que ‘Russia Today’ s’est tourné vers Séba moins de vingt jours après le début de l’OMS (‘Opération Militaire Spéciale’ en Ukraine), et les commentaires soulevés par l’affaire nigériane le montrent d’une façon évidente.
Encore une fois, un commentaire intéressant, peut-être le plus intéressant, nous vient du “centre douguinien” (Alexandre Douguine), notamment sur le site ‘katehon.com’, sous la plume du politologue et philosophe Alexander Bovdunov. C’est en bon et assumé ‘eurasianiste’ que Bovdunov se lance dans le parallélisme avec le panafricanisme, – d’où le titre de cet article donné en français le 3 août 2023, – où nous aurions pu, où nous pourrions modifier un mot... :
« Eurasianisme [Paneurasianisme] et panafricanisme: des défis civilisationnels communs et des réponses à y apporter. »
Tout l’article est évidemment du plus grand intérêt, et bien entendu le sont également les “réponses” suggérées face aux “défis civilisationnels”. Mais c’est d’une autre façon que nous voulons aborder le problème envisagé, qui nous est suggéré aussi bien en filigrane et inconsciemment par certains éléments du texte, aussi bien, – de façon négative et positive, – par les évènements autour du Niger.
L’extrait que nous choisissons résume finalement fort bien le propos : la modernité est l’ennemi commun (des paneurasianistes et des panafricanistes) et leur “réponse” commune se nomme : “traditionalisme”. (« Le défi de la modernité. La réponse est : la tradition. ») L’on peut voir le lien qui s’établit dans l’analyse entre les deux courants, et combien ce lien nous concerne, – nous Européens et surtout Français.
« Les premiers panafricanistes étaient des intellectuels africains et afro-américains qui ont étudié et grandi en Occident à l'époque de la domination coloniale occidentale en Afrique. Ils comprenaient également des membres de l'aristocratie locale qui étaient directement liés par le sang à l'ancienne tradition de l'État précolonial - par exemple, Tovalu Ouenu, un dandy parisien issu de l'aristocratie du royaume du Dahomey qui a fondé la ‘Ligue générale pour la défense de la race noire’ (LUDRN) en 1924. [...]
» Le défi de la modernité. La réponse est : la tradition
» Les Eurasistes de Russie ont été les premiers, parmi l'émigration russe, à prêter attention aux écrits du fondateur du traditionalisme, René Guénon, et à les relire. Ils étaient eux-mêmes favorables à un retour de la Russie aux racines de sa tradition orthodoxe, dans le respect des traditions des autres peuples. Ce courant a trouvé son prolongement le plus adéquat dans le néo-eurasisme d'Alexandre Douguine, qui a développé l'opposition à l'Occident des premiers Eurasistes pour en faire l'opposition paradigmatique entre Modernité et Tradition.
» On peut en dire autant du panafricanisme contemporain, lui aussi affectivement marqué par la philosophie traditionaliste. Il s'agit tout d'abord des idées de Kemi Seba, président de l'ONG Urgences Panafricanistes. Cependant, les idées de la Renaissance africaine, articulées par l'ancien président sud-africain Thabo Mbeki, comportent également une attitude critique à l'égard de la modernité :
» “Ce qui est unique dans la Renaissance africaine exprimée dans les écrits de Thabo Mbeki, c'est qu'elle souligne l'importance d'ancrer la pratique quotidienne (y compris la science) dans les réalités et la philosophie africaines. Il reconnaît l'incapacité de la modernité à fonctionner au profit de tous les Africains, comme en témoigne la poursuite de l'asservissement de l'Afrique... Ni le capitalisme, ni le marxisme, ni leurs dérivés n'ont apporté la liberté ou l'unité à l'Afrique. Dans une large mesure, l'invitation à participer à la Renaissance africaine est aussi une invitation à revitaliser l'Afrique à travers ses langues et ses philosophies”, écrivent les chercheurs zimbabwéens Mark Malisa et Philippa Nengeze. »
On comprend qu’il y a dans ce propos représentant une conception russe (eurasianiste) de la philosophie de la Tradition primordiale, une démarche politique et culturelle, – avec, dans les conditions actuelles, une dimension géopolitique, – pour établir un lien entre deux zones civilisationnelles. Dans le remous actuel, il s’agit d’une politique comme on la comprend ; dans notre façon de voir, et fort logiquement aussi bien selon le sujet que selon notre démarche, il s’agit également et directement de métapolitique selon la métahistoire. Ce “lien” à établir a un nom, comme il est écrit : la tradition. La question est presque de géographie simple, mais aujourd’hui nécessairement comprise d’un point de vue culturel et métaphysique : par où peut passer ce lien entre l’eurasianisme russe qui a vocation à devenir paneurasianisme et le panafricanisme ?
Ce qui est à considérer ici, ce sont les divers détails qui ressortent des situations et des évolutions. On en cite quelques-uns qui permettent de comprendre le rôle privilégié que nous accordons à la France.
• L’auteur parle de l’apparition de l’eurasianisme d’abord dans l’émigration russe de 1917 et la suite, – et cette émigration se regroupe principalement à Paris.
• Il est normal que les émigrés russes aient aussitôt adopté comme référence le « fondateur du traditionalisme René Guénon », qui resta à Paris jusqu’en 1931 (départ vers Le Caire) et qui, quoique peu connu du public, exerça une influence considérable sur l’intelligentsia de Paris (laquelle n’était pas seulement française, puisqu’avec les Russes émigrés notamment, intelligentsia extrêmement diversifiée).
• A cette même époque des années 1920-1935 où Paris accueille Tovalu Ouenu, Joséphine Baker et où le jeune Ho Chi-minh fait ses études à la Sorbonne, et puis aussi avec toute la cohorte de jeunes écrivains et auteurs USA (Hemingway, Fitzgerald, Pound, Henry Miller, les autres, tous de nationalité américaine-antiaméricaniste), un courant antiaméricaniste (et non antiaméricain), fortement antimoderne, caractérise le monde intellectuel français (jusqu’au ‘Cancer américain’, de Robert [par Raymond] Aron et Arnaud Dandieu, en 1931).
• Il nous paraît évident que ce courant que nous nommerions “dissident”, qui est antimoderne et nullement idéologique, qui est sans rapport avec les étiquettes idéologiques courantes et assommantes dans leurs exploitations partisanes (colonialisme, racisme, fascisme, communisme), qui n’est ni de droite ni de gauche d’une façon spécifique, a imprégné nombre de penseurs “colonisés” (des gens comme Senghor). Pour nous, le panafricanisme tel que le présente Bovdunov est effectivement un mouvement appuyé sur la Tradition et nullement sur l’idéologie (colonialisme, etc.) même s’il en est fait état ; donc un mouvement où la France tient son rôle de “gardienne de la Tradition” que lui avait assigné Joseph de Maistre. (L’horreur de la Révolution selon cette approche d’une “tradition de la dissidence” offre un contraste des extrêmes faisant de la France, – un peu comme la Russie, – un champ de bataille métahistorique.)
Ce que nous entendons dire par ce rappel du rôle et de l’influence de la France, aujourd’hui réduit au plus complet néant du macronisme toujours selon les règles du champ de bataille, c’est que nette nation exerce « un magistère » sur la civilisation (encore Maistre). Cette position lui a été dérobée au cours des deux derniers siècles en même temps que commençait à se désintégrer la civilisation courante, et elle a atteint aujourd’hui ce “complet néant” où on la voit sans qu’il soit prouvé que son essence n’existe plus, que ce “néant” ne soit pas finalement autre chose qu’une représentation des élites de l’industrie du spectacle qui nous dirigent, une sorte de ‘blockbuster’ postmoderne où, comme en Ukraine, « ce sont les narrative qui gagnent les guerres ». C’est-à-dire qu’il est concevable de penser, ou d’espérer qu’une dynamique qui fait surgir deux forces parallèles comme le paneurasianisme et le panafricanisme, toutes deux se référant à la Tradition, trouve quelque intérêt, sinon quelque nécessité à en passer par l’enseignement de la France, – éventuellement, en réveillant la Belle-au-Bois-Dormant qui ronfle trop fort.
Suggestion, tout cela, avec un peu d’espérance ; mais surtout, une mémoire, – n'appelle-t-on pas ça “devoirt de mémoire” ? – où le système de la communication n’a pas son mot à dire, ni sa “cancellation” à afficher.
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