F-22 versus Ben Laden

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F-22 versus Ben Laden


19 septembre 2002 — L'hebdomadaire Defense News du 16-22 septembre présente un long article sur ce que nous pourrions désigner comme “la transformation magique du F-22 Raptor”. L'article est intitulé : « Meet the F/A-22 — Why the air Force Is reworking Its Top-Priority Jet ».

On présente en quelques notes l'essentiel de l'analyse que présente l'hebdomadaire, à partir de ce qu'on peut considérer comme des sources USAF autorisées (Defense News ne donne pas accès aux articles de ses éditions papier sur son site http://www.defensenews.com/home.php). Cette nouvelle dénomination du F-22 en F/A-22 est désormais officielle, l'USAF ayant effectivement présenté cette nouvelle désignation le 17 septembre.

• L'USAF repense complètement la doctrine d'emploi du F-22, son chasseur de supériorité aérienne devenu extrêmement coûteux (projection à $190 millions l'exemplaire) et dont la projection de production est passée au fil des ans de 752 à 180.

• Le F-22 devient le F/A-22 (ou A/F-22 selon la mission), — la lettre “A” désignant le mot attack (le “F” pour fighter). Ce n'est pas le seul changement, bien que l'on ne puisse dénier la puissance magique, dans les traditions bureaucratiques, des manipulations d'acronymes et de désignations. Le F/A-22 devient un avion capable d'effectuer les missions de supériorité aérienne comme les missions d'appui au sol/d'attaque au sol.

• Bien qu'en apparence relevant d'une classique transformation (ou “replâtrage”) d'un avion “mono-mission” en un avion “multimission”, les capacités du Raptor ont un fumet différent. Les formidables capacités du F (A/F)-22, telles qu'elles sont désormais présentées, en font un avion capable de voler très longtemps, très rapidement, un peu partout, sans se faire voir nulle part, de trouver des petits objectifs mobiles, évasifs, et de les détruire. Cela ne vous dit rien ? Defense News explique effectivement : « In fact, it's hard to find a weapon [the F/A-22] more in keeping with the Pentagon's dicta that transformation place a premium on precision, stealth, speed and the harnessing of massive quantities of information. These attributes are key in the military campaign against terrorists, which has illustrated the difficulties with finding and killing small groups of individuals who often are on the move. » Nous y sommes : le F/A-22 est l'arme absolue contre Ben Laden. Chapeau bas aux spécialistes de la communication de l'USAF.

• D'où la proposition de l'USAF : non seulement il ne faut pas réduire la production prévue du F-22 (successivement de 750 à 619, 420, 339, 295 et 180), — mais tout au contraire, relancer la production prévue du F/A-22 : hypothèse basse de l'USAF de 381 exemplaires, hypothèse haute de 762.

• Ces idées, annonce Defense News, vont être présentées à Rumsfeld.

On doit dire toute l'admiration devant la maîtrise tactique de l'USAF, qui excelle dans l'art de la guerre. Il s'agit de la guerre bureaucratique et la guerre de la communication, qui sont les deux seules guerres qui importent aux forces armées américaines.

A tort ou à raison, l'USAF juge le F-22 dans sa formule actuelle proche d'être condamné. De toutes les façons, le F-22 ne serait, dans celle formule, qu'une sorte de relique de luxe pour musée, dont chaque exemplaire serait observé et manipulé comme un objet rare ; une sorte de B-2 déguisé en chasseur, avec un destin marqué d'une réputation épouvantable. L'USAF bouleverse la donne dans une remarquable manoeuvre de contre-pied, en appliquant la fameuse maxime de Foch (“ma gauche est enfoncée, ma droite recule, mon centre est menacé, j'attaque”).

L'USAF ne fait rien moins que transformer son F-22 en le recréant, comme par magie.

• D'une part, il devient le type même du système voué à la “transformation” (maître-mot de Rumsfeld pour réformer le DoD).

• D'autre part, il devient le système rêvé de lutte contre le terrorisme.

• Enfin, l'USAF résout le problème du coût en multipliant virtuellement son avion par deux, voire par trois : avec le prix d'un seul F-22, vous aurez virtuellement le F-22 (chasseur pur), le F/A-22 (F-22 avec des petites capacités d'attaque) et, peut-être même, le A/F-22 (F-22 avec de grosses capacités d'attaque ou s'occupant seulement de l'attaque). (En prime, nous avons le FB-22 qui continue son petit bonhomme de chemin.)

Qui s'opposerait à cela ? L'USAF ajoute la description des nouveaux systèmes internes qu'elle va ajouter au F-22 pour en faire le F/A-22. C'est un gage d'efficacité, même si cela ajoute du coût. Quant à la remarque de bon sens qui nous conduirait à dire qu'il semble qu'un système hyper-sophistiqué de combat aérien pour combattre les terroristes, cela semble déplacé, qui la ferait, au DoD et au Congrès ? Qui y penserait ? Ce sont les mêmes qui ont fait de l'Afghanistan une victoire exceptionnelle contre le terrorisme grâce à l'hyper-sophistication des systèmes de combat aérien. L'USAF a retenu cette leçon.

Nous pensons donc qu'il y a de fortes chances pour que Rumsfeld ne puisse faire autre chose qu'accepter. Le F/A-22 a un bel avenir devant lui. Son prix dépassera certainement $190 millions, mais qui s'en plaindrait pour trois-avions-en-un ? Quant au reste, — c'est-à-dire l'argent nécessaire : qui paiera pour un programme réduit à 180 pour cause d'économie et qui, soudain, passerait à près de 800, et cela d'urgence puisque c'est l'outil idéal pour lutter contre le terrorisme ? Nous sommes donc conduit, une fois de plus, à penser au JSF et à son avenir. Le JSF correspondra moins que jamais, sinon comme “sous-fifre” local du F-/A-22 (contrôlé par le F/A-22 dans certaines zones), aux nécessités de la guerre en cours selon la vision virtualiste et bureaucratique du Pentagone. Il sera soumis à des pressions de plus en plus grandissantes, avec d'abord une réduction de la commande USA et les augmentations de coût consécutives. Cela, c'est le destin prévisible du JSF et c'est plus que jamais la préoccupation à venir des Européens qui l'ont choisi.