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18 novembre 2005 — Il se confirme que l’opposition entre le F/A-22 et le F-35 (JSF) dans la mise en place de la programmation de l’USAF pour la modernisation de sa flotte d’avions de combat devient un sujet majeur de spéculation. L’argument est désormais officiellement celui de la préservation d’une capacité américaine de production des avions de combat avancés. C’est l’argument que nous avons déjà présenté dans un “F&C” du 4 octobre.
Un article d’Aviation Week & Space Technology (AW&ST), dans les éditions du 14 novembre, renforce le cas pour nous convaincre que c’est de plus en plus la politique officielle de l’USAF de jouer in fine le F/A-22 contre le JSF, mais désormais selon une logique qu’il est difficile d’écarter. L’argument est simple, il est impératif, on pourrait même dire qu’il est tragique et grandiose. Nous compatissons. Il n’empêche : la machine médiatique marchant comme l’on sait au rythme du virtualisme, ce qui n’était qu’un argument de circonstance devient complètement sérieux (le virtualisme est notamment l’art de faire passer un argument de circonstance en quelque chose qui est perçu comme une réalité). Lorsque AW&ST écrit : « The U.S. Air Force is proposing adding a multibillion-dollar funding wedge to its budget plans to bridge the gap between the proposed closure of the Lockheed Martin F/A-22 production line after Fiscal 2008 and ramp-up of Joint Strike Fighter four years later », — il va de soi que la mesure est présentée désormais comme une mesure d’intérêt et de sécurité nationale.
Habile, l’USAF est en train de présenter le cas de la poursuite de la production du F/A-22 comme une mesure d’intérêt national. Elle renverse le problème. Ce qui était perçu au départ comme un moyen de sauver le F/A-22 en forçant à un surcroît de production devient une mesure à laquelle consent l’USAF pour sauver la capacité de production US des avions de combat avancés. Bien joué.
En attendant, il faut bien que quelqu’un paie le surcoût de cette production prolongée. Question de solidarité (entre avions de combat avancés). Le JSF paiera la facture (qui d’autre?). Les conséquences? On verra bien… Si jamais une telle opération conduisait à un nouveau délai pour le JSF (déjà passé de 2008-2009 à 20013-2014 pour son Initial Operational Capability [IOC]), il faudrait bien à nouveau prolonger la production du F/A-22. Et ainsi de suite?
« A senior propulsion industry official says the Air Force has struck a deal with acting Deputy Defense Secretary Gordon England to approve the so-called ''bridge funding'' by pulling the cash out of the F-35 account. To sustain a minimum efficiency rate of 18 F/A-22s per year, the Air Force would need to budget about $2 billion per year (if aircraft costs are reduced to around $100 million apiece) beginning in Fiscal 2009, according to a program official. Drawing from JSF could perturb the Pentagon's efforts to keep cost down for a fighter that will be used by three U.S. services and potentially a large number of international partners.
« also designed to embrace the “wing-walker strategy” of not closing down the F/A-22 line before production increases for JSF to meet the Air Force initial operational capability in 2013. [...] If approved, the bridge money would effectively overturn a December 2004 decision by England’s predecessor, Paul Wolfowitz, to truncate the F/A-22 buy at 180 aircraft and end production in Fiscal 2008. Program budget decision No. 753, which realigned $30 billion in the Pentagon budget at the 11th hour last year, raised the ire of USAF officers who say they need at least 381 of the fighters to fully outfit 10 expeditionary squadrons.
» Since then, the Air Force has been working to find a way to fit more F/A-22s in the budget. The Air Force argues it needs the funding to stabilize Lockheed Martin's fighter production workforce, which is spread between its facilities in Marietta, Ga., and Fort Worth. The only other U.S. fighter program expected to continue in production is Boeing's F/A-18 Super Hornet family.
» The Air Force wants approval for a multiyear contract to build up to 24 twin-engine Raptors per year in Fiscal 2009-12, says a senior service official participating in the Quadrennial Defense Review. The QDR is a sweeping review of Pentagon roles and missions. With the addition of a multiyear contract, the Air Force could boost the stealthy F/A-22 buy to 275, depending on the approved production rate. However, numbers as high as 320 are still under consideration. (...)
» Yet, the plan hinges on what could become a controversial proposal to pull the funds out of the JSF budget. The Air Force is proposing to cut funding late in the production run for the USAF F-35 to offset the F/A-22 account. Moreover, an aerospace industry official says that the idea of killing one or even two versions of JSF is not dead in QDR and budget discussions. »
Ces arguments intérieurs sont renforcés par les arguments des concurrences extérieures et des pressions industrielles sur le DoD, d’une façon qui mérite quelques commentaires (d'ailleurs et ailleurs sur ce site, nous nous y employons): « “Why run the risk of taking the F/A-22 line down before we really demonstrate the operational concept of the JSF?” the program official says. “What message would that send to China? What message would that send to France's” aerospace industry? Furthermore, bridge funding would calm the industrial base for shared or similar equipment, like the advanced radars and raw materials for both platforms. »
Redevenons sérieux, — peut-être, en succombant nous aussi au virtualisme, — ou bien, en nous en délivrant? Le vrai et le faux, le réel et le spin se mélangent dans une mêlée vertigineuse dans cette affaire des avions de combat, si essentielle pour le statut de puissance des Etats-Unis, et aussi pour la coopération entre les USA et leurs alliés (le JSF International, avec huit partenaires non-US, dont cinq européens). Finalement, cette valse-hésitation, alternant présentations fausses et avantageuses des choses et évolutions inquiétantes dans la réalité, débouche sur des appréciations générales de la situation radicalement modifiées. Il est vrai que l’évolution conjuguée des deux programmes a effectivement placé l’industrie aéronautique américaine face à un “trou” inquiétant dans les capacités de production entre 2008 et 2013-2014, et, à cette lumière, l’argumentation apparue au début de l’automne finit par acquérir sa propre logique.
Si l’on veut dire autrement, on proposera l’idée que la réalité a rattrapé le virtualisme, — une nouvelle réalité est en train de remettre les choses en place, dans une perspective qui devient juste et incontestable. Les innombrables avatars, notamment budgétaires mais aussi techniques, qui ont démesurément allongé les délais du programme JSF et réduit d’une façon importante le programme F/A-22, ont installé une situation dangereuse pour les capacités stratégiques de l’industrie américaine. (Le dernier coup est venu avec la réduction du programme F/A-22 à 180 unités décidée par le cabinet Rumsfeld. Le paradoxe est qu’avec cette mesure qui réduit la production du F/A-22, ceux-là mêmes qui voulaient éliminer le F/A-22 ont permis de nourrir l’argument d’une capacité de production générale des USA mise en danger, lequel justifie la prolongation et peut-être la relance du F/A-22.)
Le reste s’apprécie d’une façon très logique: cette situation urgente est en train d’être reconnue comme telle et des mesures de sauvegarde sont organisées. Jusqu’alors seulement perçu comme un fardeau insupportable pour le budget courant du DoD, le F/A-22 apparaît désormais comme une solution pour sauvegarder la capacité US de production d’avions de combat, mais dans un environnement budgétaire tel qu’il faut lui donner les moyens d’assurer cette mission vitale. On va donc chercher ces moyens dans le programme qui apparaît de facto, par le retard qu’il a accumulé, comme la cause de cette situation dangereuse. Le JSF va donc payer les pots cassés. Les conséquences sont déjà prévisibles, transformant en une hypothèse très sérieuse ce que nous évoquions plus haut sur un ton plus polémique: en perdant de son budget de développement pour permettre la poursuite de la production, le JSF pourrait bien à nouveau voir sa mise en service reculer, — nécessitant à nouveau un surcroît de production du F/A-22…
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