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3562• Avec un extrait d’une interview de Poutine par Keir Simmons, de NBC.News, on peut mesurer la tension extrême qui anime les débats-affrontements entre les dirigeants russes et la presseSystème, surtout américaniste. • Il y a un terme technique pour la tactique adoptée par Poutine : l’“àproposisme”, dont il use avec brio et sans aucune vergogne. • Le but de Poutine est de dénoncer publiquement toutes les tares et avatars que connaissent les USA aujourd’hui. • Un exemple frappant de la “guerre de la communication” existant aujourd’hui entre la Russie et les USA•
Le sommet Poutine-Biden de Genève et ses alentours, – et surtout ses alentours : interview avant, conférences de presse pendant, – a été l’occasion pour Poutine de déployer son art et son brio de l’“àproposisme”. C’est le mot que les journalistes US ont forgé, – “whataboutism” en anglais, – à propos de la technique des personnes interrogées pour ne pas répondre directement à la question posée. Il s’agit du néologisme formé à partir de l’expression “à propos”, consistant à répondre à une question sur un point précis, par un autre point précis pris comme parallèle ou comme démonstration contraire à ce que le journaliste veut faire dire.
Dans le cas de Poutine, l’“aproposisme” est plus utilisé comme une arme dialectique de contre-offensive que comme une arme dialectique de défense par déflexion. Les Russes ont déjà annoncé, et mis en pratique, leur volonté de procéder de la sorte, estimant que les USA ont beaucoup plus à répondre que la Russie sur certaines questions sensibles, notamment de morale, de “droits de l’homme”, etc. Cela fait partie de la “guerre de la communication” devenue un modèle majeur sinon exclusif du conflit en cours, conflit où les Russes sont désormais partie prenante, et même partie agressive, face au simulacre-narratif du bloc-BAO fonctionnant à grande vitesse depuis 2014 à peu près, en mode de ce que nous nommons “déterminisme-narrativiste”. En fait, ils (Poutine dans ce cas), répondent à une question, en général très agressive et complètement basée sur les narrative du bloc-BAO (et donc répondant au déterminisme-narrativiste) par une simple négative en général avec dérision sinon mépris, puis ils enchaînent aussitôt sur un développement d’une situation délicate, sinon fautive et scandaleuse, dans le même domaine aux USA.
Nous avons sorti un extrait significatif d’une interview très longue et très agitée de Poutine par Keir Simmons, de NBC.News, le 11 juin à Moscou. Il est remarquable que cette interview, prévue pour durer au plus une heure, s’est prolongée (une heure et vingt-deux minutes) de la volonté même de Poutine, qui semblait particulièrement remonté et désireux de faire jouer à fond son droit à l’“àproposisme”. On le voit dans le passage ci-dessous, qui concerne la délicate question des droits de l’homme, Navalny en Russie, – mais aussi, et d’une façon terriblement incisive par Poutine, la façon dont on a traité et dont on traite les manifestants du Capitole le 5 janvier dernier, à Washington, sous le prétexte-bouffe d’une insurrection en forme de coup d’État, – bouffonnerie typique de la narrative américaniste, prestement avalée comme telle par toute la presse libre du Bloc-BAO.
Le passage montre une très forte tension, un dialogue très offensif, l’outrage manifeste ressenti par Simmons lorsqu’on parle des multiples dérapages de la démocrature US comme s’il s’agissait effectivement de “dérapages” , comme si la splendeur impériale américaniste pouvait en être soupçonnée, sinon capable d’une façon extrêmement active. Il y a des passages (désignés : “ON PARLE ENSEMBLE”) où les deux interlocuteurs parlent ensemble et rendent incompréhensible l’échange devenu mélange.
L’intérêt est donc nettement dans la posture contre-offensive furieuse de Poutine, la façon dont il ne lâche rien, dont il insiste, dont il tient, dont il frappe comme “dans un combat de rue” comme il aime lui-même à évoquer à partir de ses souvenirs de jeunesse.
Keir Simmons : Laissez-moi vous poser une question sur les droits de l'homme, une question que le Président Biden va soulever, Monsieur le Président. Il soulèvera la question d'Alexei Navalny, visé par un assassinat, maintenant dans une prison russe. M. le Président, pourquoi êtes-vous si menacé par l'opposition ?
Vladimir Poutine : Qui a dit que je me sentais menacé par l'opposition ou que nous étions menacés par l'opposition ? Qui vous a dit... qui vous a dit que...
Keir Simmons : Eh bien, un tribunal russe vient de...
Vladimir Poutine : ... que j’ai peur de l’opposition ?
Keir Simmons : Eh bien...
Vladimir Poutine : C'est... c'est juste comique...
Keir Simmons : Un Ru... excusez-moi. Je suis désolé. Un tribunal russe vient d'interdire les organisations liées à M. Navalny. Littéralement toutes les figures de l'opposition non systématique font face à des accusations criminelles. Dans le journalisme, – Meduza et VTimes ont été catalogués “agents étrangers”, – et ils sont menacés de faillite. Monsieur le Président, c’est comme si la dissidence n'était tout simplement plus tolérée en Russie.
Vladimir Poutine : Ce... eh bien, vous le présentez comme une dissidence et une intolérance envers la dissidence en Russie. Nous voyons les choses tout à fait différemment. Vous avez mentionné la loi sur les agents étrangers, mais ce n'est pas quelque chose que nous avons inventée. Cette loi a été adoptée dans les années 1930 aux États-Unis. Et cette loi est beaucoup plus sévère que la nôtre, et elle est orientée et destinée, entre autres choses, à prévenir l'ingérence dans les affaires politiques intérieures des États-Unis...
Keir Simmons : Mais... mais... mais, M. le Président...
Vladimir Poutine : Et dans l'ensemble, je pense qu'elle est justifiée.
(ON PARLE ENSEMBLE)
Vladimir Poutine : Est-ce que vous voulez que je continue... est-ce que vous voulez que je réponde...
Keir Simmons : Écoutez, je vais juste...
Vladimir Poutine : Est-ce que vous voulez que je continue à répondre ?
Keir Simmons : En Amérique, nous appelons ce que vous fais maintenant de l’“àproposisme”. “Et à propos de ceci ? Qu’en est-il de cela ?” C’est une façon de ne pas répondre à la question. Laissez-moi vous poser une question directe. Est-ce que... est-ce que vous... est-ce que vous...
Vladimir Poutine : Je... Je...
Keir Simmons : Avez-vous...
Vladimir Poutine : Je... Je... Je vais...
Keir Simmons : Laissez-moi vous demander...
Vladimir Poutine : Je... je vais continuer. Je vais continuer.
(ON PARLE ENSEMBLE)
Keir Simmons : Laissez-moi vous demander...
Vladimir Poutine : Vous, laissez-moi... laissez-moi répondre. Vous m’avez posé une question. Vous n’aimez pas ma réponse, alors vous m'interrompez. C’est... c’est complètement déplacé. Donc j’y reviens. Aux Etats-Unis, cette loi a été adoptée il y a longtemps. Elle fonctionne, et les sanctions prévues par cette loi sont beaucoup plus sévères...
Keir Simmons : Et voilà, vous parlez toujours de...
Vladimir Poutine : ...qu’ici [en Russie]
Keir Simmons : ... de... des États-Unis.
(ON PARLE ENSEMBLE)
Vladimir Poutine : ... jusqu'à l'emprisonnement. Oui, oui, oui. Encore une fois, vous ne me laissez pas... Mais je vais... je vais... je vais revenir à nous. Je reviendrai vers nous. Ne vous inquiétez pas. Je ne vais pas juste... Je ne vais pas juste me concentrer sur les problèmes des USA. Je vais... je vais revenir en arrière, et commenter ce qui se passe...
Keir Simmons : Parce que... je... parce que..
Vladimir Poutine : ...sur ce qui se passe ici.
Keir Simmons : Parce que, M. le Président, je pensais que votre conviction était que les nations ne devaient pas intervenir dans les affaires intérieures des autres pays, ne devaient pas commenter les autres...
Vladimir Poutine : Correct.
Keir Simmons : -les pays...
Vladimir Poutine : C'est exact.
Keir Simmons : ...politique. Mais vous êtes là, vous le faites encore.
Vladimir Poutine : Non. Non. Si... vous faites preuve de patience et vous me laissez finir de dire ce que je veux dire. Tout sera clair pour vous. Mais vous n’aimez pas ma réponse. Vous ne voulez pas que ma réponse soit entendue par votre public. C'est là le problème. Vous me faites taire. Est-ce une expression libre...
Keir Simmons : Répondez s'il vous plaît.
Vladimir Poutine : ...ou est-ce une expression libre à l’américaine ? Alors merci beaucoup. Nous y voilà. Les États-Unis ont adopté cette loi. Nous avons adopté cette loi très récemment afin de protéger notre société contre les interférences extérieures. Dans certains états, un observateur étranger vient dans un bureau de vote.
L’autorité qui surveille le vote lui, “Si vous approcher de quelques mètres, vous irez en prison.” Est-ce normal ? Est-ce la démocratie dans le monde moderne ? Mais... c'est une pratique courante dans certains États. Nous n'avons rien de tel. Quand je parle de ces lois sur la non-ingérence ou les tentatives d'ingérence, qu'est-ce que je veux dire dans le cas de la Russie ?
Il y a de nombreuses entités de la soi-disant “société civile”, la raison pour laquelle je dis “soi-disant société civile” est que beaucoup de ces entités sont financées par l'étranger. Des programmes d'action spécifiques et pertinents sont préparés. Leurs principaux membres sont formés à l'étranger. Et lorsque nos autorités officielles voient cela, afin d'empêcher ce type d’ingérence dans nos affaires intérieures, nous prenons des décisions pertinentes et adoptons des lois pertinentes.
Et ils sont plus indulgents que les vôtres. Vous avez... nous avons un dicton : “Ne soyez pas fâché contre le miroir si vous êtes laid.” Cela n'a rien à voir avec vous personnellement. Mais si quelqu'un nous reproche quelque chose, ce que je dis, c'est : "Pourquoi ne vous regardez-vous pas ?" C'est vous qui vous verrez dans le miroir, pas nous. Il n'y a rien d'inhabituel à cela. En ce qui concerne les activités politiques et le système politique, il évolue. Nous avons 44 partis enregistrés. Enfin, 34 je crois. Et 32- sont sur le point de participer à divers processus électoraux-
Keir Simmons : Ce sont les partis enregistrés...
(ON PARLE ENSEMBLE)
Vladimir Poutine : ... dans tout le pays [pour les élections de] septembre. Oui, oui...
Keir Simmons : Nous n'avons qu'un temps limité, M. le Président.
Vladimir Poutine : Il existe également une opposition non systémique. Vous avez dit que certaines personnes ont été arrêtées. Certaines personnes sont...
Keir Simmons : Ce sont ceux qui sont...
Vladimir Poutine : ... en prison. Oui, tout cela est vrai. Vous avez mentionné certains noms.
Keir Simmons : En prison...
Vladimir Poutine : Oui, oui. Je vais... je vais... je vais... je vais en parler. Oui. Je... je... je ne laisserai aucune de vos questions...
Keir Simmons : Alexei Navalny...
Vladimir Poutine : ...sans réponse adéquate.
Keir Simmons : ... c'est son nom. Je peux vous demander... je peux juste vous demander...
(ON PARLE ENSEMBLE)
Keir Simmons : Une question directe ? Avez-vous ordonné l'assassinat d’Alexei Navalny ?
Vladimir Poutine : Bien sûr que non. Nous n’avons pas ce genre d'habitude, d'assassiner qui que ce soit. C'est la première chose. La deuxième est que je veux vous demander : Avez-vous ordonné l'assassinat de la femme qui est entrée dans le Congrès et qui a été abattue par un policier ? Savez-vous que 450 personnes ont été arrêtées après être entrées dans le Congrès ? Et ils n'y sont pas allés pour voler un ordinateur portable. Ils sont venus avec des revendications politiques. 450 personnes...
Keir Simmons : Vous parlez de l'émeute du Capitole.
Vladimir Poutine : ... ont été arrêtées. Ils risquent, – elles risquent, – elles risquent une peine de prison, entre 15 et 25 ans. Et elles sont venus au Congrès avec des revendications politiques. N’est-ce pas de la persécution pour des opinions politiques ? Certains ont été accusés de comploter pour renverser, – pour prendre le pouvoir, – le gouvernement.
Mis en ligne le 17 juin 2021 à 10H40
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