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690La réaction du monde américaniste-occidentaliste dans son sens le plus large face aux événements que nous qualifions d’“enchaînement crisique”, d’une dynamique de “chaîne crisique”, se résume à un refus forcené de la réalité par tous les moyens possibles. On voit déjà dans Ouverture libere de ce 23 février 2011 une description de cette réaction au cours d’un débat avec Marwan Bishara, de Aljazeera, et Noam Chomsky. D’autres éléments vont dans ce sens.
• La réaction israélienne officielle au passage du Canal de Suez par deux navires de guerre iraniens (une première depuis 1979). Cette réaction est décrite par divers articles, dont, par exemple, celui du Guardian du 22 février 2011. Alors que le journal mentionne dans son sous-titre, d’une façon timide mais effective, le rôle pourtant essentiel de l’Egypte dans cette affaire («Israeli prime minister Binyamin Netanyahu views Egypt-approved manoeuvre ‘with utmost gravity’»), pas un mot n’apparaît du côté israélien sur ce rôle, tout étant mis au débit de l’Iran, et de la façon hystérique habituelle, comme si l’Iran seule avait pu réaliser cette “provocation”.
«There was no immediate reaction from the Israeli government, but the prime minister, Binyamin Netanyahu, told his cabinet on Sunday that Iran was trying to exploit instability across the region. “I think that today, we can see what an unstable region we live in, a region in which Iran tries to exploit the situation that has been created in order to expand its influence by passing warships through the Suez canal,” he said. “Israel views this Iranian move with utmost gravity and this step, like other steps and developments, underscores what I have reiterated in recent years – Israel's security needs will grow and the defence budget must grow accordingly.”
»Last week, Israel's foreign minister, Avigdor Lieberman, described the Iranian move as a “provocation that proves that the self-confidence and impudence of the Iranians is growing from day to day ... Regrettably the international community shows no willingness to deal with these repeated Iranian provocations.” Israel, he said, could not ignore such provocations forever.»
Une explication de l’absence de la moindre référence à l’Egypte, qui est pourtant l’acteur clef puisque c’est elle qui autorise les passages dans le Canal, pourrait être la volonté de ne pas envenimer les relations entre Israël et l’Egypte. Mais la logique serait alors de ne pas insister outre mesure sur l’événement, sur le passage lui-même des navires iraniens, ce qui est le contraire de ce qui est fait. Au contraire, cette réaction passionnée et obsessionnelle contre la “provocation” uniquement iranienne implique de facto l’Egypte comme on le comprend, mais en lui déniant un rôle important alors qu’elle l’a tenu effectivement. Le résultat serait alors inverse selon l’hypothèse, puisque l’Egypte n’apprécierait nullement d’être cantonnée dans un rôle négligeable, comme si les Iraniens pouvaient disposer du Canal à leur guise, alors que ce n’est nullement le cas.
Une autre hypothèse, que nous privilégions, est bien celle du négationnisme de la réalité, la direction israélienne étant conduite dans ses réactions par son obsessions du “danger” iranien, considéré ici comme le seul élément définissant l’événement. C’est une façon de refuser les événements de ces dernières semaines, en tenant implicitement pour acquis, presque sans réaliser cette attitude mentale, que rien n’a changé en Egypte depuis le début de l’année. Plus largement, c’est, pour Israël, refuser une évolution de la situation qui fait basculer ce pays de sa position offensive anti-iranienne dont il espère qu’elle est majoritairement suivie, y compris par les pays arabes alliés comme l’Egypte (ex-alliés, certes...), à une position défensive de plus en plus délicate et intenable du fait des changements qui, malgré tout, sont réellement survenus.
• D’une certaine façon, la façon dont l’essentiel des médias américanistes-occidentalistes se concentre sur la crise libyenne en oubliant de plus en plus les autres permet de réduire par simple élimination la “chaîne crisique” en une crise provoquée par un dictateur exotique dont l’équilibre mental est au-delà de la suspicion, et la folle et aveugle cruauté complètement avérée. On se retrouve en terrain connu, où l’on peut à loisir développer les thèses sur les droits de l’homme, les “crimes contre l’humanité”, etc., voire suggérer une intervention qui serait nécessairement humanitaire, toutes ces choses qui confortent tant les conceptions américanistes-occidentalistes, et en restreignant de ce fait la vision à ce seul aspect qui écarte l’essentiel des causes et conséquences de la “chaîne crisique”. L’on doit pourtant noter que, par ailleurs et ailleurs, les troubles se poursuivent… Notamment, selon Aljazeera.net, à Bahrain («Tens of thousands of protesters have taken to the streets in Bahrain in the possibly biggest demonstration since unrest began last week») et au Yemen («Across the country, tens of thousands rallied on Tuesday calling for Saleh's résignation»).
Ce “déni de réalité”, ou “négationnisme de la réalité” pour employer un terme politiquement marqué et dont on fait grand usage, s’avère être une constante de la perception américaniste-occidentaliste. Les événements de cette “chaîne crisique” étaient prévus et annoncés, bien entendu, et l’on n’a rien vu venir par conséquent, – puisque l’on a refusé de rien voir venir. Cela est même dit explicitement, lorsque Juan Gonzales, de Democracy Now !, résume pour Noam Chomsky un rapport US dont le Times de Londres a publié la substance, par une phrase à l’emporte-pièce : «Well, we were on top of the situation, even though we weren't. We knew that this was coming.» Quand on sait que cette information a sans doute été “fuitée” volontairement par l’administration Obama, on se trouve devant cet étrange constat que “les mal-voyants” eux-mêmes affirment qu’ils savaient ce qui allait arriver sans prendre garde qu’ils rendent encore plus pathétiques leur paralysie dans la réaction, voire même leur constante impréparation devant ces événements qui caractérisa leur attitude.
Il y a certes l’explication que nous avons donnée à propos des déclarations de l’amiral Mullen, le 22 février 2011, qui est fondamentale et d’ordre général, et qui domine tout le reste quant à la définition des événements eux-mêmes. Mais ce que nous observons ici est la réaction de l’establishment américaniste-occidentaliste, qui est effectivement un négationnisme par tous les moyens, soit en prolongeant des narratives d’avant ces événements, soit en tentant de fractionner ces événements en différentes séquences pour pouvoir les réduire aux problématiques habituelles à notre forte et belle pensée (“démocratisation”, droits de l’homme, dictateurs & tout le toutim). Il faut à tout prix éviter l’“horreur métahistorique”, qui est l’identification d’une attaque générale contre le Système. Le résultat est un establishment se roulant avec angoisse et fureur dans ce qui lui reste de virtualisme, lequel se trouve effectivement avec ces événements et ces réactions au terme de ce que nous avons désigné comme son “deuxième âge” (voir aussi dde.crisis du 10 décembre 2010).
La perspective est évidente. Les directions américanistes-occidentalistes et tous leurs satellites sont absolument impuissants et privés de tout entendement et de toute volonté de compréhension face à cet “enchaînement crisique”. Ils sont totalement prisonniers de leur allégeance au Système. Ils ne pourront rien faire et, d’ailleurs, ne s’imaginent pas une seconde qu’il y ait vraiment quelque chose à faire, – autant à cause de leur impuissance évidente qu’à cause de leur conviction virtualiste que la réalité n’est pas vraiment la réalité, que la réalité est plutôt dans leur vision virtualiste où les événements eux-mêmes finiront par s’ordonner selon les préceptes et les vertus du Système qui les contrôle.
Mis en ligne le 23 février 2011 à 07H14
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