Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
5154 novembre 2004 — Le rêve s’évanouit. Dans ses derniers jours, la tentative de Kerry avait fini par forcer une certaine sympathie. Le candidat démocrate était touché par la passion de ses partisans et semblait mesurer l’enjeu, pour mieux le relever. On se prenait à rêver que l’Amérique allait revenir parmi nous. Ce n’était qu’un rêve et ce ne pouvait être qu’un rêve, parce que la machine de l’américanisme est trop forte. Ceux-là même qui rêvaient hier et se désespèrent aujourd’hui, en réalité n’ont rien à regretter : Kerry n’aurait pu que faire illusion, entretenir pendant quelque temps une fiction. La chose avait été dite et répétée (avec une administration Kerry, peu de choses changeront), il faut bien comprendre qu’elle est tout à fait fondée.
D’abord, ce qui a triomphé mardi, c’est une force d’illusion d’une puissance inouïe. C’est ce que nous désignons comme le “virtualisme”, qui, aujourd’hui, se manifeste à visage découvert. C’est ce que Pepe Escobar, du site atimes.com, désigne de cette façon : « The faith-based, apocalyptic evangelicals have won this battle against the “reality community”. Bush won despite Tora Bora, Guantanamo, Abu Ghraib. The crusade continues. In God we trust... » D’une autre façon, pour faire plus court et ne pas s’embarrasser d’une rhétorique juste mais complexe, c’est ce que nous pourrions également designer comme la victoire des “fous de Dieu”.
Voilà désormais une réalité, bien qu’elle puisse nous paraître une réalité folle, aliénée, complètement irrationnelle. D’un autre côté, s’est concrétisé ce que nous pensions depuis longtemps : si GW est une aberration, ce n’est pas un accident. Désormais, plus personne ne l’ignore, et les malheureux libéraux européens qui comptaient enfin se réconcilier avec l’Amérique en jetant GW à la poubelle des accidents de l’Histoire, savent qu’il n’en est plus question. Comme l’écrit Jonathan Freedland aujourd’hui dans le Guardian, GW est bel et bien l’Histoire. Peut-être que l’Histoire est devenue une poubelle, on verra, mais dans tous les cas Dieu-GW, le virtualisme, l’irrationalité des born again sont devenus des facteurs essentiels des relations internationales.
« This is no passing phase. This is now an era.
» Once it looked like an aberration. Now it is an era. George W Bush's tenure of the White House was born in 2000 to an electoral quirk, the fruit of a Florida fiasco, the arcane algebra of the US electoral system, and a split decision of the supreme court.
It seemed to be the accidental presidency, one that would stand out in the history books as a freak event.
» Yesterday that changed, changed utterly. President Bush and his Republican army recorded a famous victory, one that may come to be seen as more than a mere election triumph — rather, a turning point in American life, a realignment.
» For 12 hours that fact was obscured by the fate of Ohio, and the desperate Democratic desire to see if that pivotal state might be wrested from Republican hands. By late morning the challenger John Kerry realised it was a vain hope. This was no Florida 2000.
» For George Bush had done more than rack up the requisite numbers in the electoral college. He had done what he signally failed to do four years ago, win the popular vote - and not by a sliver, but by a 3.5m margin. [;;;]
» So George Bush will be no footnote to history: he is instead making it. »
Du point de vue historique, nous allons devoir assumer cette fatalité nouvelle. Nous préparons déjà l’habituelle politique de l’apaisement, notre Munich à nous : puisque GW existe et qu’il est désormais légitimé, il faudra faire avec. Paroles rationnelles et raisonnables, qui n’ont pas le moindre sens, qui ont si peu de sens qu’il n’y a pas de temps à perdre à s’en indigner.
La question n’est pas de savoir comment s’arranger avec GW, parce qu’il n’y a pas de question : l’arrangement avec GW est impossible. Il faudra quelque temps pour comprendre cela, en attendant, car c’est évidemment là qu’est l’enjeu essentiel, une évolution des affaires extérieures et intérieures des USA qui conduira l’Amérique à des tensions internes si fortes qu’elles modifieront nécessairement sa politique et son équilibre instable. Il y a le point d’une Amérique désormais coupée en deux, sans aucune perspective d’apaisement (Freedland : « But it also poses a problem for America, which has somehow to house two radically diverging cultures in one nation. ») Il y a aussi le point de la puissance américaine, qui va être déchaînée vers d’autres aventures alors qu’elle est déjà, avec l’Irak, au bord de l’épuisement. (« “There are real threats that have to be dealt with,” Danielle Pletka of the impeccably neo-con American Enterprise Institute told the Guardian yesterday. Iran would not go away — indeed, Ms Pletka warned, “force might be the only option” — nor would North Korea. »)
Un autre constat doit être fait, qui nous concerne plus directement. En un sens, GW nous a révélé nos faiblesses en réunissant, sous sa bannière qui est celle d’une psychologie rendue hystérique par une “folie de Dieu”, deux facteurs qui semblent irréconciliables : d’une part, une politique extérieure aventuriste, agressive, hégémoniste, et qu’on doit même qualifier de déstructurante et de progressiste puisqu’elle s’attaque aux valeurs des autres cultures et les pulvérise pour donner un accès sans entrave à la puissance économique et commerciale. D’autre part, une politique culturelle très favorable aux valeurs conservatrices et traditionnelles, contre l’avantage systématiquement donné aux minorités, contre la poussée déstructurante du progressisme culturel. Cet assemblage lui a donné la victoire en même temps qu’il a révélé une de ses contradictions (réunir la globalisation et l’anti-globalisation), — mais une des nôtres également. C’est seulement lorsqu’ils auront réconcilié la protection politique des structures culturelles de tradition, avec une politique extérieure de bon voisinage et d’ouverture, que les Européens présenteront une alternative acceptable à la folie de GW.