False-flag pour Novichok

Les Carnets de Dimitri Orlov

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False-flag pour Novichok

La Grande-Bretagne est prise d’une frénésie médiatique à cause de l’empoisonnement récent de l’ancien colonel russe Sergueï Skripal et de sa fille à Salisbury, en Angleterre. La Première ministre britannique, Theresa May, a demandé à la Russie de s’expliquer en prétendant qu’ils avaient été empoisonnés en utilisant un agent neurotoxique appelé “Novichok” (débutant en russe) qui était un produit de la recherche soviétique sur les armes biologiques. Il n’est plus produit et la destruction des stocks a été vérifiée par des observateurs internationaux. Cependant, sa formule est dans le domaine public et il peut être synthétisé par n’importe quel laboratoire chimique bien équipé, tel que celui de Porton Down, un laboratoire militaire de la Grande-Bretagne, qui, soit dit en passant, n’est qu’à 18 minutes en voiture de Salisbury.

May n’a fourni aucune preuve pour étayer ses allégations de complicité russe dans la tentative de meurtre. Le ministère russe des Affaires étrangères a demandé à la Grande-Bretagne de fournir toutes les preuves disponibles pour étayer son accusation d’utilisation d’armes chimiques (selon la Convention sur les armes chimiques, la Grande-Bretagne doit le faire dans les 10 jours). Par conséquent, le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a répondu que la Russie ne répondrait pas à de telles allégations sans fondement.

Une clef importante pour repérer un attentat sous faux drapeau (false flag) est que la “connaissance” de qui est à blâmer doit être disponible avant que la première preuve ne soit sur la table. Par exemple, dans le cas de l’avion de la Malaysian Airlines, le fameux MH-17, abattu à l’Est de l’Ukraine en juillet 2014, tout le monde en Occident était convaincu que les “séparatistes pro-russes” étaient les coupables avant même le début de l’enquête. À ce jour, on ne comprend toujours pas comment ils auraient pu opérer compte tenu de l’équipement dont ils disposaient. Dans le cas des Skripal, la Russie a été accusée presque immédiatement, tandis que le ministre britannique des Affaires étrangères Boris Johnson s’est porté volontaire pour émettre la suggestion que la Grande-Bretagne n’autorise pas la participation de son équipe nationale à la Coupe du monde de football en Russie cet été. Ainsi était mise en pleine lumière la véritable raison de cette tentative d’assassinat.

Y a-t-il quelque chose de nouveau et de différent derrière cette dernière provocation ? Pas vraiment : on dirait un remake de l’assassinat de Litvinenko en novembre 2006. Le choix d’un poison exotique (Polonium 210), le manque de preuves (les Britanniques ont affirmé que des preuves circonstancielles convaincantes existent mais n’en ont fourni aucune), l’accusation instantanée de la Russie, – les ingrédients sont similaires. Les Russes ont offert de poursuivre les responsables si les Britanniques leur fournissaient la preuve mais les Britanniques n’ont pas donné suite.

Si l’on donne le bénéfice du doute à la version britannique, voyons ce qui aurait poussé les services secrets russes à poursuivre Skripal. En Russie, il a été reconnu coupable et condamné pour trahison, puis gracié et livré aux Britanniques à l’occasion d’un échange d’agents de renseignement qui comprenait dix agents russes ayant travaillé aux États-Unis, y compris l’inoubliable Anna Chapman. C’est une règle très importante dans une tractation entre services de renseignement que les personnes libérées lors d’un tel échange ne soient jamais inquiétées ; si cette règle tacite est violée, la perte de confiance professionnelle qui en résulte rend impossible la poursuite de cette sorte de pratique très importante dans cette activité professionnelle. Si les autorités russes avaient réellement commandité la mort de Skripal, cela ne serait pas simplement immoral et illégal. Cette sorte de considérations n’a qu’une valeur relative puisqu’il y a des cas où la raison d’État dispense de tels scrupules. Non, cela serait bien pire, car un tel comportement aurait été non-professionnel.

Ensuite, il y a la question du calendrier. Les élections présidentielles russes [devaient se dérouler quelques jours plus tard], le 18 mars. Il s’agit d’un moment particulièrement inopportun pour provoquer un scandale international. Quelle urgence pouvait-il y avoir à tuer un ancien espion pardonné qui ne possédait plus de renseignements à jour, qui vivait tranquillement à la retraite, et qui était à ce moment-là occupé à déjeuner avec sa fille ? Si le gouvernement russe était impliqué dans l’empoisonnement, quelle raison aurait pu être donnée de ne pas attendre après les élections ?

L’attaque contre Skripal n’est en aucun cas un incident isolé ; il y a eu plusieurs meurtres suspects de Russes avec une visibilité élevée au Royaume-Uni, pour lesquels aucune explication adéquate n’a été donnée. Il y a un schéma cohérent : un meurtre étrange, une communication immédiate pour “accuser la Russie et une tentative d’exploiter l’incident politiquement. Il serait utile de replacer l’affaire Skripal dans ce contexte-là mais cela nécessiterait un développement beaucoup plus long.

Vous auriez raison de penser que rien de tout cela n’a de sens. Compte tenu du manque de preuves, nous sommes obligés, pour donner un sens à cette histoire, de nous livrer à la pratique de ce qu’on nomme “complotisme”. Cependant, si l’on doit faire appel à la théorie du complot pour parvenir à l’explication la plus simple, la plus élégante et la plus cohérente, alors cela peut être en soi considéré comme une preuve circonstancielle convaincante de l’existence d’une conspiration. Mon explication simple et cohérente, exprimée en une seule phrase, devient alors la suivante :

Sous la direction de leurs collègues américains, et suivant au plus près un scénario déjà éprouvé avec l’affaire Litvinenko il y a plus de dix ans, les services secrets britanniques, en étroite coordination avec le gouvernement britannique et la presse, ont empoisonné Skripal et sa fille en utilisant un agent toxique obtenu auprès de la base de recherche militaire britannique de Porton Down afin d’avoir une excuse pour compromettre les matches de la Coupe du monde en Russie cet été et pour créer un scandale immédiatement avant les élections présidentielles russes.

C’est déplorable certes mais il y a un côté positif pour la Russie dans traquenard : la Grande-Bretagne (et, par association, les États-Unis) aura beaucoup plus de mal à recruter des agents doubles à l’intérieur de la direction russe. Les recrues potentielles sauront désormais qu’elles resteront en danger même si elles s’échappent ou sont graciées et échangées. De toute évidence, les Britanniques les considèrent comme consommables et liquidables s’il s’avère intéressant de les tuer de façon exotique pour créer un incident exploitable à des fins politiques.

En ce qui concerne Skripal lui-même… Eh bien, c’est une histoire vraiment triste : réputation ruinée, vie ruinée, existence en exil, femme morte d’un cancer, fils mort d’une insuffisance hépatique, et maintenant ce drame. Tout cela peut servir d’avertissement à d’autres candidats : ne faites aucune confiance aux Anglos car ils sont sournois et sans vergogne.

Dimitri Orlov

(Le 13 mars 2018, Club Orlov – Traduit par Le Sakerfrancophone)