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98726 juillet 2008 — «His appearance had the air of a rock concert, with a teeming crowd hooked on every word», explique le Scotsman du 25 juillet. C’était Obama à Berlin, où cela se passa de cette façon : «It was part John F. Kennedy, part Martin Luther King and part Ronald Reagan. But in the end, it fused into one man: Barack Obama.» Les Européens découvrent, avec Obama, une formidable machine de reconstruction de la réalité, plus que jamais américanisée dans la méthode, – et dans les rapports avec les autres. Le Monde détaille, le 25 juillet, quelques aspects de l’organisation de la chose, qui tient évidemment des relations publiques et du show (de l’entertainment), organisée d’une façon très efficace et d’une exceptionnelle puissance.
«Les images de la tournée de M. Obama sont extrêmement calibrées. On voit le candidat démocrate portant son gilet pare-balles à la main, signe de son sang-froid dans des régions aussi troublées. Il entoure ses hôtes d'un bras, pour montrer aux électeurs américains qu'il parle à égalité avec les leaders étrangers. Il porte sa veste sur l'épaule, comme le faisait John Kennedy. Les moindres détails semblent étudiés. Un aide a même demandé aux journalistes de ne pas porter du vert, indiquant que c'est la couleur du Hamas. “Barack Obama a enfin trouvé un musulman au côté duquel il veut bien être photographié” : le roi de Jordanie, a ironisé Maureen Dowd, la chroniqueuse du New York Times.
»Sur NBC, l'une des vedettes de la chaîne, Andrea Mitchell, a protesté contre le fait qu'aucun journaliste n'avait pu accompagner M. Obama en Afghanistan ni en Irak, et que les images diffusées provenaient des services de l'armée et avaient été choisies par son équipe de campagne. On y voit des soldats enthousiasmés par M.Obama. “Ce que vous voyez sont des images prises par les militaires et ce qu'on pourrait appeler de fausses interviews”, a mis en garde la journaliste. En Afghanistan, Barack Obama a réussi un panier de basket tiré de loin, mais rien ne prouve que c'était le premier essai. “Politiquement, c'est tout à fait bien vu. Mais je ne me souviens pas d'avoir jamais vu un candidat présidentiel pratiquer de la sorte”, a ajouté Andrea Mitchell.»
Cette organisation est un trait classique de notre régime politico-médiatique, une perversité courante mais formidablement amplifiée par la communication, bien entendu unanimement pratiquée, qui, par conséquent, ne peut être désignée que comme le contraire du “changement”. Obama en use avec maestria, avec une organisation d’une puissance exceptionnelle; sans aucun doute, le “candidat des pauvres gens”, dont le slogan est “le changement”, use des ficelles du système jusqu’à plus soif, avec un financement absolument formidable. Son équipe est à mesure. On sait qu’il a une armée de conseillers de politique de sécurité nationale (300!). Pour ce voyage, Le Monde constate:
«L'équipe de M. Obama n'a pas voulu révéler le nombre d'aides qui voyagent avec lui. Les envoyés spéciaux ont compté une vingtaine de voitures pour transporter M. Obama et son entourage à Amman. Des conseillers ont été dépêchés à l'avance pour préparer les entretiens: Scott Gration, un ancien général de l'armée de l'air, en Jordanie, l'ex-négociateur Dennis Ross en Israël, le spécialiste des relations transatlantiques – et traducteur de Nicolas Sarkozy, Philip Gordon –, en Allemagne; l'ancien conseiller à la sécurité nationale de Bill Clinton, Antony Lake, à Paris.»
Tout cela n’est-il pas contradictoire? On veut dire, bien sûr, entre la politique qu’Obama prétend proposer sous l’étiquette flatteuse de “changement”, avec une image de candidat proche du peuple, et la réalité du candidat disposant de la plus grande puissance financière et infrastructurelle dont ait disposé un candidat, par conséquent d’autant de liens qui l’attachent à la politique conforme du système, au moins par le biais de ses donateurs. (Obama en tant que candidat, hors du contexte de son parti, supplante largement McCain pour les donations. En juin, il a récolté $50,5 millions contre $16,4 millions à McCain.) Mais cette sorte de contradiction n’est pas nouvelle. Il faut voir si elle emprisonne le candidat ou si elle peut tout de même lui laisser l’opportunité de s’évader.
Le discours d’Obama à Berlin a été marqué par rien qu’on puisse rapprocher d’une substance de pensée politique novatrice ou originale. Demander au vieux continent d’«aider l’Amérique à lutter contre la terreur», comme le résume en sous-titre Le Figaro du 25 juillet, ne peut guère séduire que Le Figaro. Même les Allemands se sont aperçus de quelque chose, puisque, selon CNN.News qui nous donne une recension de la presse ce 25 juillet, «Obama wins hearts, not minds, in Berlin».
Certains commentaires allemands ont été très durs et l’appréciation de plusieurs ministres allemands est qu’Obama ne cherchait en Allemagne que l’occasion de quelques photos impressionnantes, – ce qui fut le cas avec le discours de Berlin, avec fond de souvenir du Pont Aérien de 1948 et du JFK de 1963. Cette conclusion du vide politique est finalement plus encourageante que celle à laquelle nous conduirait une recherche entêtée de la signification politique du voyage. Il n’est pas utile d’évoquer une quelconque pensée politique occidentale puisque la chose se résume à l’architecture virtualiste de la guerre contre la terreur avec un assortiment de “valeurs communes” autour, pour la décoration, qui est le vade mecum fourni par le système pour remplir le vide du discours politique et de la vision stratégique; vide pour vide, vide comblé par une idée complètement virtualiste, du moment qu’on comprend bien qu’il s’agit de virtualisme, il y a dans cet enchaînement une certaine logique qui nous met hors de portée de la tromperie.
Obama en Europe n’a rien apporté du point de vue politique, il n’a fait que convoyer le message de conformité au système. Reste à voir ce qu’il en sera dans l’exercice du pouvoir, – si exercice du pouvoir il y a, puisque, aux USA, au contraire de l’Europe, le candidat démocrate est loin d’avoir partie gagnée (voir le Times du 25 juillet).
Ce constat nous invite par conséquent à nous attacher plus précisément à la forme. C’est le seul domaine où nous pouvons espérer trouver une signification et/ou un enseignement. De ce point de vue, et comme on en a déjà vu des indications, le voyage “autour du monde”, le “Obama’s Tour” comme le nomme le Times en employant l’expression consacrée pour les “rock stars”, n’a que le but principal d’une tournée de relations publiques, avec comme objectif de renforcer aux USA une image très faible, – faire en sorte que Obama “looks presidential”. Du côté européen, l’enthousiasme pour Obama se confirme comme étant du genre de pur symbolique, avec Obama comme superbe symbole postmoderne et symbole d’un américanisme phantasmatique, sans aucune substance politique. Tout cela est cousu de fil blanc et correspond à une sorte de troc: Obama ramène quelques photos qui pourraient faire croire aux Américains qu’il a une expérience d’homme d’Etat, en échange il donne aux Européens l’illusion que l’Amérique d’après-Bush pourrait rencontrer leurs phantasmes.
Ce virtualisme du “tour operator” d’Obama autour du monde, ces applaudissement berlinois n’ont rien à voir avec ce qui s’est passé durant les primaires. La tournée d’Obama confirme en réalité une chose, a contrario si l’on veut. Le candidat démocrate, qui n’est pas encore assez instruit des consignes conformistes du système dans les domaines de la politique de sécurité nationale, ne donne le meilleur de lui-même qu’au niveau de la politique intérieure transcendée par un discours inspiré (même s’il est imprécis), comme on l’a vu durant les primaires. C’est cette attitude que dénoncent certains commentateurs, qui y voient le diable et dénoncent les signes avant-coureurs d’un führer américaniste. Après la tournée européenne, et vu l’orientation que les démocrates vont donner à leur convention, il paraît probable que c’est sur cette particularité de sa candidature qu’Obama va être tenté de s’appuyer, si ses efforts pour paraître plus “responsable” ne donnent pas de résultats aux USA. La question est en effet de savoir comment sortir de l’addition de tant de blocages: les exigences du système sur les questions de sécurité nationale (ne rien annoncer d’autre que la politique conformisme, dito la guerre contre la terreur et tout ce qui va avec), les exigences des électeurs sur ces mêmes questions politiques (paraître novateur et original certes mais s’affirmer comme un homme d’expérience en restant absolument conforme à la politique du système), les exigences des spécialistes de la communication (présenter une image conforme pour n’effrayer personne en paraissant original et novateur), etc. On n’en voit pas l’issue, et l’absence d’affirmation dans les sondages (et même un recul, avec une avance sur McCain qui se réduit) depuis qu’Obama tente de se fabriquer une image d’homme politique pseudo confirmé est un signe décourageant.
Avançons donc quelques “si”, puisqu’il faut bien spéculer… Si cette tendance poussive se poursuit pour Obama (absence de résultat dans les sondages pour le soi disant homme d’expérience), si la crise économique s’aggrave et si les électeurs souffrent, la tentation deviendra effectivement forte, peut-être irrésistible pour Obama de revenir à son “populisme prophétique” du début de la campagne. Le style de l’incantation, qui est une farce dans sa tournée européenne, pourrait redevenir une force aux USA, où elle a un objet et répond à une attente (rien à voir avec les phantasmes d’Européens effrayés d’être privés de leur mentor US, et qui sont, paraît-il, “en besoin d’Amérique”).
Dans ce cas, à nouveau s’ouvre l’hypothèse d’une campagne électorale intéressante puisque le candidat démocrate se trouve engagée dans une voie incontrôlable, y compris incontrôlable par lui-même. Effectivement, il entre de ce fait dans la catégorie des tribuns à tendance populiste, voire à tendance fascisante, selon les âmes sensibles. La comparaison avec le Führer n’a pas grand sens avec toute la charge qu’on connaît, elle en a plus lorsqu’il s’agit de Juan Peron, encore plus dans le cas de FDR, – lequel FDR fut effectivement et copieusement accusé de fascisme dans les années 1933-1938. (Nous parlons du “style”, de la représentation politique mais qui peut conduire à l’action, etc., pas de la politique formulée, ni de la morale politique, ni même de l’idéologie. Toutes ces choses – politique, morale, idéologie, – n’ont plus cours hors des images.)
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