“Fatigue ukrainienne” et crépuscule des “années neocons

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“Fatigue ukrainienne” et crépuscule des “années neocons

L’Ukraine se dirige vers des élections présidentielles particulièrement délicates, en janvier 2010. Actuellement, les trois principaux candidats sont crédités d’intentions de vote significatives: 4-5% d'intentions de vote pour le président Ioutchenko, 20-25% pour la première ministre Timochenko et 28-41% pour le dirigeant de l’opposition, le pro-russse Viktor Ianoukovitch. L’antagonisme entre les deux “héros” de la “Révolution Orange” de 2004, Ioutchenko et Timochenko, est à son comble.

Hier 25 novembre 2009, Simon Tisdall a publié un article détaillé dans le Guardian sur la situation politique et économique ukrainienne et sur les péripéties que connaissent les relations de l'Ukraine avec l'UE. Manifestement partisan d’une Ukraine forte éventuellement anti-russe, telle qu’elle prétendait être après les événements de 2004, Tisdall constate le naufrage complet de ce projet manipulé par les réseaux américanistes sous influence néo-conservatrice. Il constate également que l’UE est de plus en plus critique de l’Ukraine et modifie sa politique à son égard d’une façon marquée, autant en raison du désordre politique que des manipulations économiques, et, soupçonne Tisdall, parce qu’elle lui préfère de bonnes relations avec la Russie. La première ministre Timochenko paraît avoir choisi (une fois de plus) “le camp russe” après sa rencontre avec Poutine du 24 novembre à Yalta, tandis que Ioutchenko s’appuie sur l’habituelle ligne anti-russe, avec comme objectif affiché une entrée dans l’UE qui semble de moins en moins d’actualité à l’UE.

• La position de Timochenko vis-à-vis de la Russie est décrite comme “onctueuse” par Tysdall: «After late-night talks with Tymoshenko in the Crimean resort of Yalta last week, Putin said he had agreed to waive various penalties and amend Russia's natural gas supply contract with Ukraine to avoid a repeat of last January's dispute, which led to serious gas shortages in eastern and central Europe. “It would be very good to meet the new year without any shocks,” Putin said, adding that transit fees next year would rise by 60% – a change potentially worth billions of dollars to Ukraine. Tymoshenko's response was unctuous. “You, as a strong country, are meeting us halfway,” she said. The deal was seen as both a none-too-subtle attempt to show that she, unlike Yushchenko, could do business with Moscow, and as blatant electoral interference by Putin.»

• Tisdall rapporte l’humeur particulièrement furieuse de la Commission (Barroso) devant certaines manipulations qui ont abouti à la suspension de son prêt à l’Ukraine par le FMI: «All this is watched with trepidation in Brussels, where José Manuel Barroso, the European commission president, recently telephoned Yushchenko to reportedly express concern over the way the IMF bailout and Europe's gas supplies have become political footballs. According to euobserver.com, commission plans to offer €500m in economic aid are under review “because of Kiev's unwillingness to curb public spending or to clean up waste and corruption at its national gas company, Naftogaz”. About 80% of EU natural gas supplies from Russia transit Ukraine.»

• L’intervention US dans le débat ukrainien, qui fut si patente et idéologique par le biais de diverses organisations en 2004, semble se résumer au business as usual, avec l’arrivée massive et massivement rétribuées de consultants politiques pour les élections, pour les trois candidats, selon Politico.com du 18 novembre 2009: «The firm headed by Hillary Clinton’s former chief strategist, Mark Penn, is helping run incumbent President Victor Yushchenko’s campaign. Meanwhile Paul Manafort, whose firm worked on Republican John McCain’s losing effort, and Tad Devine, a top strategist on the Democratic presidential campaigns of Al Gore in 2000 and John Kerry in 2004, are consulting for Victor Yanukovych, the pro-Russian frontrunner in the polls. For Penn, Manafort and Devine, foreign elections have been a lucrative source of business for years. But for the Chicago-based media consulting firm AKPD, the contract to help guide Prime Minister Yulia Tymoshenko’s campaign is part of a new, growth area of business that presented itself after the firm helped Barack Obama win the White House last fall.»

• Tysdall conclut tristement qu’il semble bien que Poutine ait gagné… «Given the much reduced appetite for further EU enlargement, it seems certain that the high watermark of EU-Ukraine ties has already passed. It's no consolation for Yushchenko that much the same applies to Georgia, Belarus and Turkey. And for many in Europe who hoped for better, braver things along the EU's post-Soviet eastern frontier, it's galling to conclude that, in a sense, Putin has won.»

Notre commentaire

@PAYANT La première “sortie” diplomatique de la nouvelle Haute Représentante de l’UE, la baronne Ashton, se fera le 4 décembre, à l’occasion d’un sommet avec l’Ukraine. La rencontre ne soulève pas l’enthousiasme, ni pour les débuts de notre “super-ministre” européenne, ni pour la politique extérieure de l’UE, ni pour le résultat de toute une époque qui s’achève décidément, qui fut marquée par l’antagonisme avec la Russie.

Aujourd’hui, le désordre semble la règle de la situation ukrainienne et Tisdall estime que l’élection de janvier pourrait aboutir à une épreuve de force majeure. Les scénarios ne manquent pas, comme celui, déjà rodé, d’un Ioutchenko refusant de quitter la présidence parce qu’il contesterait des résultats qui lui seraient défavorables, ou bien diverses actions de fraude massive, etc. Là aussi, sorte de business as usual. Après la rencontre de Yalta, la Russie, en la personne de Poutine qui poursuit une vindicte personnelle contre Ioutchenko, a deux fers au feu; avec Timochenko, qui a affirmé plus fortement que jamais sa tactique de chercher un soutien russe contre Ioutchenko; et avec le candidat naturellement pro-russe, Ianoukovitch. Ce que veulent les Russes, c’est la fin de la carrière politique de Ioutchenko, symbole avec Saakachvili de l’offensive qui fut menée contre eux durant les “années neocons” 2002-2008. Aujourd’hui, l’UE et les USA ont passé la main et expédient cette période aux pertes et profits.

La situation ukrainienne s’avère être un symbole de plus de la fin de cette époque de l’attaque américaniste et occidentaliste de la Russie. Le “commencement de la fin”, avec la crise géorgienne déclenchée par Saakachvili et remportée par la Russie en août 2008, a été depuis largement confirmé par le tournant US imprimé par Obama dans les relations avec la Russie (abandon du réseau anti-missiles) et, aujourd’hui, par l’attitude de l’UE qui est en train d’abandonner sa politique de soutien aux pays anti-russes du pourtour de la Russie. Dans ce sens, Tisdall a raison: «…Putin has won.»

Il s’impose donc rétrospectivement le constat de la folie qu’a constitué cette politique des “années neocons” et la faiblesse conceptuelle, pour ne parler de tare congénitale, de l’UE de suivre aveuglément cette politique – comme elle suit d'une façon pavlovienne tout ce qui est américaniste. Aujourd’hui, l’Ouest se trouve massivement réduit à se tourner vers la Russie pour établir des rapports qui seront effectivement centrés sur cette puissance, au détriment de son “extérieur proche” qui sera laissé à lui-même et dont la situation dépendra essentiellement de cette même Russie. La chose vaut même pour d’autres pays qui croyaient pouvoir conduire une politique anti-russe parce qu’ils étaient entrés dans l’UE et dans l’OTAN. C’est le cas de la Pologne, avec l’affaire du réseau anti-missiles BMDE. Quant aux inquiétudes de l’Estonie concernant la vente possible du porte-hélicoptères français Mistral à la Russie, elle ne soulève guère de mouvement de solidarité à l’Ouest.

Cette aventure des “années neocons”, archétype de la “politique de l’idéologie et de l’instinct” identifiée par Harlan K. Ullman, représente la démonstration de l’inutilité et de la nocivité d’une politique de puissance (l’“idéal de puissance”, selon Guglielmo Ferrero); inutilité et nocivité quelles qu’en soient les conditions, et pire encore bien entendu lorsque cette puissance est essentiellement le produit d’une construction virtualiste, comme ce fut le cas durant les “années neocons”. Le résultat est de mettre la puissance qui en a été l’objectif, la Russie, dans une position de force qui n’a même pas été entamée par la crise financière. Objectivement, on jugera, au contraire de Tisdall qui continue à appuyer son analyse sur les slogans humanitaristes de l’Ouest, que cette situation est loin d’être dommageable, par rapport à 2005 ou 2006. Simplement, tout ce temps gâché depuis 2002 (et avant, depuis la fin de la Guerre froide), toutes les erreurs commises, les arrogances des leçons données aux Russes, les interférences dans la souveraineté russe au nom de l’humanitarisme, ont conduit à des relations plus forcées qu’élaborées et fructueuses, même dans les arrangements qui s’élaborent aujourd’hui avec la Russie. Autant les USA que l’UE ont définitivement montré leurs limites à cet égard, et seules quelques nations européennes, notamment la France, ont aujourd’hui la capacité d’établir des relations intéressantes avec la Russie. Quant à l’“extérieur proche” occidental de la Russie, marqué par l’arc en ciel des “révolutions de couleur”, il devra faire avec la proximité de la puissance russe, dans des conditions bien pires que celles de l’immédiat après-Guerre froide, lorsque les divers pays qui le composent auraient pu chercher des arrangements plus constructifs que ceux auxquels ils sont et seront contraints. Cette situation de l’Europe de l’Est et de l’ex-URSS est certainement l’exemple le plus achevé de la stupidité générale et sans compromis qui a caractérisé la politique américaniste et occidentaliste de l’après-Guerre froide. Bien entendu, la stupidité poursuivant son long cours tranquille, aucun enseignement majeur et décisif ne sera tiré, à l’Ouest, de cette débacle.


Mis en ligne le 26 novembre 2009 à 06H54