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90828 mars 2008 — Notre thèse historique centrale est que la Grande Dépression est le grand événement du XXème siècle. La cause en est que la Grande Dépression est sans aucun doute le grand événement américaniste (de l’histoire américaniste) du XXème siècle, et peut-être de l’Histoire américaniste tout court, – c’est-à-dire sur toute sa longueur. (Nous exposons cela plus en détails, par ailleurs sur ce site.)
Comme nous sommes, depuis 1918, dans un monde en voie d’américanisation accélérée, et, depuis 1945, dans un monde américanisée et dans une conception américanisée du monde, “notre” événement central du XXème siècle est nécessairement devenu la Grande Dépression. Tout ceux qui nous ressassent autre chose depuis des lunes, notamment en axant toute leur vision du XXème siècle sur la Deuxième Guerre mondiale, sont des spécialistes de l’Histoire morale (ou “mémoire(s)”) aux dépens de l’Histoire vivante, – en général par courte pensée et pensée conforme plus que par esprit tordu. (Par “Histoire vivante”, nous entendons l’Histoire qui influe directement sur notre temps présent, qui explique et conditionne les événements de notre temps. L’“Histoire morale”, présentée également sous le terme de ”mémoire(s)”, sert à nous faire continuellement la morale dans le sens qui importe à la pensée conforme du temps présent. L’ “Histoire morale” est une activité des plus actuelles qui n'a guère d'intérêt pour le passé historique, un outil essentiel du virtualisme.)
(Selon notre appréciation, la Seconde Guerre mondiale est une conséquence et nullement un événement fondateur. Pour l’Europe, la Grande Guerre est l’événement fondateur de la période (“fondateur” d’une époque de destruction), et 1918 plutôt que 1914 termine le XIXème siècle. La Grande Guerre brise l’Europe comme élément civilisateur de la diplomatie et des relations internationales, consacre le triomphe du machinisme sur l’homme avec l’emploi fondamental des technologies de destruction massive dans la guerre et l’accélération de l’industrialisation qui va avec, ouvre la porte au triomphe de l’américanisme avec le fordisme, le machinisme, la propagande par la communication. A partir d’elle, l’américanisme triomphe sur tout le reste et seules ses contradictions internes pourraient le tuer, – d’où l’importance centrale de la Grande Dépression qui est le premier signe terrible de sa fêlure fondamentale.)
Le Washington bien-pensant, c’est-à-dire américaniste pur et dur, déteste Franklin Delano Roosevelt (FDR) depuis l’origine, c’est-à-dire 1933. La raison est simple: FDR a sauvé l’américanisme (le capitalisme) avec des méthodes que le capitalisme déteste (les méthodes du New Deal revenant à de l’interventionnisme type-keynesien). Depuis ce jour, FDR est dénoncé comme “un rouge”, “un socialiste”, ce qui est à mourir de rire. (Il n’y a pas de meilleur soldat du capitalisme que FDR, qui l’a sauvé de ses propres vices.) Il faut bien sauver ses convictions idéologiques et il n’est pire objet de haine que celui qui sauve votre idéologie en appliquant les méthodes de l’idéologie inverse.
Encore n’est-ce là qu’une partie de l’affaire. Notre conviction est que FDR a “sauvé” le système avec les instruments techniques de son New Deal (en peu) et avec son action psychologique (pour l’essentiel). L’action psychologique de FDR pour relever la psychologie américaniste (celle du consommateur landa) de l’abîme de désespoir où elle se trouvait en 1932-33 est sans doute l’un des grands chefs d’œuvre de la communication moderniste. A cet égard, dans tous les cas, FDR mérite de rester comme un des très grands chefs d’Etat du XXème siècle. (Pour la suite, certes, comme nous le répétons également souvent, FDR n’avait pas sauvé le capitalisme en 1933-35 ; il l’avait remis en selle très temporairement et d’une façon très incertaine, ce capitalisme qui était cul par-dessus tête. La sauvegarde achevée, – mais temporaire comme on le constate aujourd’hui, – vint avec la Deuxième Guerre mondiale et la mobilisation industrielle qui va avec.)
Voilà pour notre commentaire qui, une fois n’est pas coutume, se trouve en tête de cette rubrique “Faits & Commentaires”. Les faits, maintenant, – avant un second commentaire, pour sauvegarder la tradition.
Il est vrai que depuis cet “historique” 14 mars où Bernanke a décidé d’y aller de sa poche pour sauver Bear Stearns, on annonce une orgie de mesures à caractère interventionniste. Le Financial Times, fidèle commentateur de nos illusions et de nos malheurs, nous en fait hier une description enlevée; “enlevée”, c’est le cas, puisqu’il s’agit d’une charge de cavalerie, puisque, comme dans les westerns, la cavalerie arrive toujours à temps pour sauver le brave immigrant-fermier menacé par les sauvages du cru, – puisque, nous dit le titre : «Washington sends in cavalry to fight crisis»
Rapide description de la bataille, en notant ce jugement d’une source à JP Morgan, une société bien placé pour en connaître là-dessus comme repreneur de Bear Stearns avec la garantie très “friquée” du contribuable US: c’est une «“socialisation of housing finance” in the US»…
«The US is sending in the cavalry to fight the crisis in the credit and housing markets – unleashing government-sponsored enterprises to buy and hold mortgage-backed securities (MBS) for which there is little private demand.
»The move marks a new stage in the policy response to the credit crisis, in which the US government is increasingly deploying all the tools at its disposal – short of an outright public purchase of mortgage securities – to prevent a full-blown credit crunch.
»It also marks an expansion of what Michael Feroli, an economist at JPMorgan, calls the “socialisation of housing finance” in the US – ever greater reliance on Fannie Mae, Freddie Mac and the Federal Home Loan Banks to sustain the flow of funds into the crisis-hit housing sector.»
La charge de cavalerie que décrit le FT se fait avec des instruments et des méthodes relevant d’un arsenal juridico-financier mis en place pendant la Grande Dépression, essentiellement par FDR. Cela fait dire à Daniel Gross, dans Slate le 25 mars: «The New New Deal — Roosevelt-era reforms are saving capitalism—again.»
Développement de la chose:
«In the 1930s, Franklin Delano Roosevelt saved American capitalism from its own self-inflicted wounds by erecting a new financial infrastructure—often over the vociferous opposition of the bankers and investors whose poor judgment had helped precipitate the Great Depression. During the New Deal, the government reacted to a disastrous systemic failure by creating the sort of backstops, insurance, and risk-spreading mechanisms the market had failed to develop on its own, such as deposit insurance, federal securities registration, and federally sponsored entities that would insure mortgages.
»Despite sustained efforts to tear down the New Deal—from the repeal of the Glass-Steagall Act in 1999 to President George W. Bush's ill-fated 2005 efforts to dismantle Social Security—the 1930s-vintage infrastructure has proved remarkably durable. And this crisis has elicited new experiments in policy, just as the Great Depression did. The Federal Reserve has been systematically lowering its standards for what it will accept as collateral for loans. This week, Hillary Clinton called for a national panel to recommend solutions to the housing morass. (She said the group should include former Federal Reserve Chairman Alan Greenspan, which is a little like Chicago appointing a cow to a panel on preventing disastrous fires.) But as the nation once again confronts a systemic failure in housing and housing-related credit, the Bush administration is going back to the future, using New Deal-era agencies as the cornerstone of its response.
»Although the Tennessee Valley Authority has yet to pitch in, four 70-year-old agencies are helping to cushion the blow of the housing bust. Let's count them….»
Ce spectacle fait dire à une source également consultée par le FT, dans le même article déjà cité: «“The government of last resort is working with the lender of last resort to shore up the housing and credit markets to avoid Great Depression 2,” says Ed Yardeni of Yardeni Associates. “I think the federal government and the Federal Reserve will succeed.”»
Ainsi le tour serait-il joué et nous aurions enfin notre sortie de crise. Permettez à notre plume dubitative de s’exprimer à nouveau, moins en pronostiquant le futur qu’en rappelant le passé. Nous sommes fondés de le faire puisque, à Wall Street, temple du futur, tout le monde ne jure plus que par FDR, même si c’est en lui crachant dessus.
Au reste, notre argument sera bref. D’abord, notre constat “FDR, le reour” signifie que nous sommes bien en 1933. Mais cela ne signifie pas que nous soyons sauvés – “…le retour (à moitié)”, – tant et tant s’en faut… Trois facteurs de référence, essentiellement, justifient cette réserve complètement fondamentale:
• L’absence totale de dimension psychologique de l’action curative de la direction américaniste. (Ce qui a fait le génie de FDR. Bien entendu et avant tout, la première cause en est que pas un homme politique ne peut prétendre à la cheville de FDR à cet égard. La seconde est que personne ne songe à une telle action ni n’en voit la nécessité ni l’utilité. Seuls comptent les avatars des banques.)
• L’absence, qui va de pair, d’intervention publique directe auprès des victimes populaires de la crise en tant que telles, qui devrait être le complément de l’action psychologique. De ce point de vue, il n’y a aucune reconnaissance qu’il y a bien des victimes directes du système dans la population, qu’il y a une dimension sociale de la crise, ce qui était le fondement de l’action psychologique de FDR. GW reste bien “Herbert W. Bush”.
• A plus longue échéance et pour ce qui concerne le problème dans sa vastitude, l’absence de “sortie de crise” puisque, désormais, la guerre c’est la crise et non l’inverse comme avec la première Grande Dépression.
Alors, que se passe-t-il? L’étrange euphorie que l’on ressent intuitivement dans toute cette description de l’arsenal anti-crise mis en branle, ressemble à une libération psychologique. On retrouve cette même roborative jubilation dans le commentaire churchillien de Gerard Baker, exigeant maintenant qu’on déverse «[the]“big public money” (dito, les $milliards des contribuables)» pour couvrir d’or les diverses entreprises financières au bord de l’effondrement. Comme si la direction américaniste s’était sortie pour ce cas de l’interventionnisme public direct auprès du monde financier du sortilège de son carcan idéologique, – comme si, à trois-quarts de siècle de distance, FDR les avait libérés par le biais de l’action des instruments mis en place durant la Grande Dépression… Comme si, indirectement, FDR avait recommencé son coup de remontage psychologique, mais cette fois pour la direction américaniste. (A contrario, cette réaction nous en dit long sur ce qu’est devenu l’état psychologique de la direction américaniste. Puisqu’ils se voient sauvés de la “Grande Dépression-2”, c’est bien qu’ils y croyaient déjà il y a quelques jours. C’est une mesure frappante de leur fragilité psychologique.)
Ils ont osé intervenir! Du coup, il ne semblerait plus y avoir de frein pour cette intervention. Mais il s’agit de l’intervention pour sauver ceux qui sont la cause directe de la crise, sans aucune pénalité ni remontrance, sans aucune régulation contraignante. Comme si on leur donnait des fonds pour recommencer, – et la crise pouvant ainsi rebondir et se poursuivre.
Bien sûr, on oublie le bon peuple. Et lui, il est loin, bien loin, de l’excitation enthousiaste des banquiers et des commentateurs à-la-Baker. Il est dans cet état d’esprit (sondage Gallup/USA Today du 18 mars, rapporté par Reuters ce même jour): «Asked if the United States could slip into a depression lasting several years, 59 percent said it was likely and 79 percent said they were worried about it, the newspaper reported.» (Gross convient en passant de cet “oubli” fondamental lorsqu’il écrit: «Although the Tennessee Valley Authority has yet to pitch in…». Effectivement, la TVA, qui lance un mouvement de remise au travail des chômeurs par des grands travaux publics, est la pierre sociale centrale des mesures de FDR contre la Grande Dépression. Là aussi, la mise en scène psychologique pour l’installation de la TVA joua un rôle fondamental dans l’action de FDR.)
D’accord pour une partie du titre de Gross («The New New Deal…»). Mais pour le reste («Roosevelt-era reforms are saving capitalism—again»), cela reste tellement à voir qu’on dirait bien que c’est tout vu.
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