Fièvre de saison, la “Rouhanimania”

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Fièvre de saison, la “Rouhanimania”

Les esprits s’échauffent : au fait, et l’Iran ? Qui y pense encore ? Après huit années de menaces incessantes d’attaque, en général avec les dates communiquées par avance, de dénonciation du plus grand danger menaçant le monde civilisé, «sans doute la plus grave [menace] qui pèse sur l'ordre international» (Sarkozy en août 2007, voir aussi le 30 août 2007), de manœuvres byzantines des Israéliens pour impliquer les USA dans une attaque qui n’a pas lieu, etc., l’Iran apparaît brusquement comme une sorte d’ilot de stabilité, étonnant paradoxe ou bien mesure de la réelle substance de nos propos, projets, menaces, stratégies, etc. «The transition of power next week in Tehran makes Iran look what it is in actuality in the volatile Middle eastern region — an oasis of stability...», écrit le 29 juillet 2013 M.K. Bhadrakumar, qui préfère “oasis” à “ilot”.

Il faut mesurer cette transformation radicale de la position de l’Iran qui résulte du bouleversement qui s’est produit dans le reste du Moyen-Orient, autour des bouillonnements de la Syrie et de l’Égypte notamment, et de l’épouvantable désordre de la politique du bloc BAO qui s’est pulvérisée elle-même en une multitude d’affrontements internes et d’intérêts divergents devant les prolongements de ses divers épisodes catastrophiques. Les antagonismes déchirent désormais entre eux toutes les tendances qui se sont révélées, à ciel ouvert, sans plus aucune précaution d'aménagement des apparences et des narrative ... La poussée victorieuse des forces d’Assad avec l’affirmation puissante du Hezbollah ont été le premier élément, mettant par contraste en évidence l’affaiblissement des modérés de la rébellion au profit des djihadistes de la nébuleuse al Qaïda. Le second se trouve dans les événements d’Égypte qui ont poussé dans l’opposition d’une semi-rébellion les Frères Musulmans. Chacun des différents acteurs (Turquie, Israël, le Qatar, les autres pays du Golfe autour de l’Arabie, etc.) se trouvent dans des positions d’opposition ou de divergence, voire dans des situations de contradiction interne selon qu’il s’agisse de la Syrie ou de l’Égypte. La connexion explosive et créatrice de désordre dans le bloc BAO entre les situations syrienne et égyptienne n’a pas été assez mise en évidence, et elle donne aujourd’hui tous ses effets... Là-dessus, la pseudo-puissance US, va ses restes piteux, n’a contribué qu’à accroître le désordre avec une politique irrésolue, tanguant comme un esquif sensible au moindre caprice extérieur, incapable de se fixer. Certes, les deux acteurs à se tenir sur une position ferme sont la Russie et l’Iran, et dans la région, effectivement l’Iran apparaît soudain comme cet ilot/oasis de stabilité, et même comme producteur de stabilité en nuançant ses positions selon les uns et les autres pour trouver la meilleure politique d’arrangement possible en ménageant ses intérêts.

Dans tout cela, l’élection de Rouhani (ou Rohani selon les traductions) n’a joué qu’in rôle secondaire, mais elle apparaît soudain, alors que le pouvoir lui est effectivement transmis, comme la symbole, voire le catalyseur de cette nouvelle position iranienne. Du coup, tous les acteurs et producteurs de désordre se trouvent inclinés à se tourner vers l’Iran pour y trouver un peu de cette influence stabilisatrice, et cela se concrétise par la cour ardente qui est désormais faite au nouveau président. C’est ce que M K Bhadrakumar nomme la “Rouhanimania” Dans son commentaire, qui montre un certain optimisme concernant les relations entre le bloc BAO (les USA) et l’Iran, l’ancien diplomate indien ne fait que répercuter une impression née de plusieurs lectures et échos, et résumée comme ceci : «Especially so, when taking into account that Financial Times, which has been no friend of Iran, has featured an audacious editorial proposing the need for the West to be imaginative and not to hustle or bully Iran but to be rational and conciliatory in the negotiations in a step-by-step manner (which was somethign frist proposed by Moscow). It stands to reason that the FT reflects the prevailing thinking in London and Washington.»

• Cet édito du Financial Times, justement, est en date du 28 juillet 2013. C’est du pur Financial Times, avec ce ton d’une neutralité affirmée, avec l’emploi de cette forme grammatical impersonnelle sensée sanctionner l’objectivité qui est la vertu quasi métaphysique du FT (formule type-«This must be averted»). La “feuille de route” du FT dispensant ses instructions aux dirigeants-Système du bloc BAO est basée sur l’idée conforme à la pensée-Système générale que Rouhani va chercher un accord à cause d’une situation intérieure délicate, qu’il importe de profiter de cette occasion en ne lui imposant pas de conditions contraignantes et inacceptables, avec une chance sérieuse d’arriver ainsi à un accord, etc.

«After years of stalemate, Mr Rohani’s election provides grounds for optimism. Final decisions on the nuclear file remain with Ali Khamenei, the hardline supreme leader. And descriptions of Mr Rohani as a “moderate” are sometimes misjudged. He is a regime insider. But Mr Rohani was elected with a mandate to promote centrist policies. He knows it is essential for Iran to be rid of economic sanctions. Imposed on the country because of its nuclear ambitions, the sanctions have hobbled its economic performance and caused widespread unemployment.

»The goal of western policy over the next few months must be to avoid pushing Mr Rohani into a corner. The west must avoid giving ammunition to the many Iranian hardliners and apparatchiks who seek to undermine the new president to keep the country on a resolutely anti-western, nuclear path. This is the time for the US to engage in creative diplomacy with Iran, diplomacy which has three key elements.

»First, the US must resist adding more economic sanctions to those in existence. The current sanctions regime is effective enough to be forcing a serious policy rethink in Iran. Legislation currently before Congress would go even further, however, and impose a blanket oil embargo at the start of next year. This must be averted.

»Second, the US and its allies should reconsider their current offer to Iran. In the past 12 months, the US has tried to get Tehran to sign up to an early confidence-building deal. This would see Iran shut down its second enrichment site at Fordow; stop production of highly enriched uranium; and ship existing stockpiles of highly enriched uranium out of the country. In return, the US and its allies are offering Iran a modest peeling back of existing sanctions.

»The west should revise its approach and ask “more for more”. It should extend its demands to require that Iran freeze its centrifuge installation and allow intrusive inspections of its nuclear programme. In return, it should offer a much more substantial reversal of the banking and energy sanctions in place. It should also nod to the idea that Iran will end this entire negotiation with some limited right to enrich uranium.

»Third, it is time for the US and Iran to forge a direct bilateral relationship...» [...]

»Mr Rohani’s inauguration opens a period of intense diplomacy over the next 12 months in which a nuclear deal should be pursued. His appointment signals that the Iranian people want the country to go in a new direction. The US and the five other world powers should stay united and tough in their demands. But they must not squander the opportunity that Mr Rohani’s election now provides.»

• On signalera, comme révélateur du courait actuel de pensée aux USA, avec la redécouverte de l’existence de l’Iran, une analyse de Patrick Buchanan, qu’on a vu plus inspiré par sa véhémence habituelle, qu’on trouve dans ce texte singulièrement absente. Ce commentaire est sur Antiwar.com du 29 juillet 2013. Buchanan ressort divers arguments et parallèles avec divers anciens présidents, pour mettre en évidence que tous, dans leurs seconds termes, connurent des scandales et des crises, mais qu’ils purent tout de même marquer le second terme par une réalisation importante en politique extérieure (certains de ces rappels sont peu convaincants, comme celui de Clinton “réussissant presque à faire signer un accord de paix par Ehud Barak et Yasser Arafat”). Fort justement, Buchanan conseille à Obama de ne pas trop s’attacher à l’“illusion” d’un accord sur un État palestinien entre Israël et les Palestiniens. Obama doit se concentrer sur un accord avec l’Iran.

«Rouhani’s political future, the continued allegiance of his Iranian followers who want to re-engage with the West and the world, hangs on whether he can get a deal on Iran’s nuclear program and a lifting of sanctions. He knows this. What Rouhani cannot do is surrender Iran’s rights to nuclear power and research. On this his nation is united. But he may be able to give the West what it requires, intrusive inspections, to prove that what Iran claims to be true is true – that it has no nuclear weapons program.

»If we can get that, we should be able to get a deal, and America can lift her sanctions, their objective having been achieved. That would be the crown jewel of Obama’s second term.

»Who would be against such a deal? Bibi and the War Party that wants Iran smashed, as we smashed Iraq, even if that means another trillion-dollar unnecessary war. Obama can, however, defeat the War Party coalition. He should congratulate Rouhani on his inauguration, declare his readiness for direct talks with Tehran, and appoint as negotiators national security hawks who want no war with Iran, but no Iranian atom bomb either.

»History beckons. Obama should seize the moment.»

Il s’agit bien de Rouhanimania... Le nouveau président iranien est universellement présenté comme un “modéré”, ce qui apparaît dans la pensée-Système du bloc BAO comme un élément décisif parce que la narrative du bloc est depuis des années que l’“extrémisme” de Ahmadinejad, y compris ses discours de “négationnistes” du génocide juif et d’apprenti-liquidateur d’Israël, – toutes choses également fausses par simples et grossières manipulations volontaires de traduction, – empêche tout accord. Autrement dit, avec Rouhani, l’Iran devient raisonnable et un accord, selon des termes évidemment “généreux” que dictera le bloc, selon les instructions généreusement signalées par le FT, est possible. Ainsi va la narrative d’une résolution de la crise iranienne, basée sur autant de narrative précédentes. Parvenir à un accord sur de telles bases relèvera des quelques fameux “Travaux d’Hercule” (ou d’Héraclès), ce qui est toujours possible après tout... Mais cela, pour l’instant, nous laisse bien sceptiques, – à charge des événements à venir de nous démentir...

Dans le meilleur des cas où tous ces divers acteurs, du FT au “prevailing thinking in London and Washington” et à l’Obama qu’on connaît dans sa résolution triomphante et sa volonté politique qui ne recule devant rien, se révélaient égales à ce que nous disent les divers réalistes-optimistes, il resterait à convaincre le Congrès US de ne pas s’embarquer dans une nouvelle série de sanctions (le fameux «This must be averted» de l’impérial et objectif FT). Sur ce point précis, qui est bien suffisant pour tout bloquer quand on connaît l’attitude sinueuse, fuyante et couarde de BHO vis-à-vis du Congrès, et quand on sait la fureur belliciste et anti-iranienne du dudit Congrès, nous voyons un obstacle du type “nécessaire et suffisant”, capable de pulvériser la narrative du type-Rouhanimania. Là aussi, le scepticisme est de rigueur, et diablement, bien que cela soit “toujours possible après tout” puisque Hercule-Héraclès a réussi à venir à bout de ses Travaux. Attendons de voir nos Hercule-Héraclès à l’œuvre.

Il reste par contre une certitude, de notre point de vue analytique. Ce courant enthousiaste de Rouhanimania nous paraît le signe évident, non d’un triomphe (sic) du bloc BAO trouvant enfin l’opportunité de conduire à son terme sa politique de sagesse (sanctions, invectives anti-iraniennes, narrative basée sur des manipulations de traduction, etc.), mais bien le signe évident d’un épuisement et d’une panique latente et bien entendu inconsciente comme c’est l’habitude de sa “pensée”, du susdit bloc. C’est en effet pour tenter de compenser une politique-Système qui conduit de désastre en désastre (Libye, Syrie, Égypte, etc.) que le bloc BAO en revient à l’Iran avec des analyses soi-disant arrangeantes. Les événements des deux dernières années ont conduit cette politique-Système qui est imposée au bloc par son allégeance au Système à une situation de plus en plus intenable, entre le désordre incontrôlable, la résurgence des extrémistes djihadistes, les mésententes et les conflits internes au bloc, l’incapacité de rétablir ne serait-ce que les positions d’intérêts existantes avant le “printemps arabe”, etc. De ce point de vue, l’Iran, ce paradoxal “ilot de stabilité” après huit ans d’attaques de déstabilisation lancées contre lui par le bloc BAO, est une sorte de dernière chance pour le bloc BAO de tenter de rétablir un semblant de contrôle et une amorce de stabilité... La Rouhanimania ressemble plutôt, dans notre jugement, à une sorte de prière adressée à l’Iran par le bloc BAO  : “S’il vous plaît, donnez-nous un peu de votre stabilité”... Ceux qui en ont encore le goût apprécieront l’ironie.


Mis en ligne le 31 juillet 2013

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