Filouterie courante comme grande politique européenne

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Filouterie courante comme grande politique européenne


9 mars 2007 — «S’il y a un accord, ce sera un grand succès pour Merkel», dit un diplomate d’un pays d’Europe centrale, un de ces fameux dix “nouveaux” de l’Europe de l’Est dont la vertu est un précieux apport pour la vertueuse UE. Le Guardian, dont la citation («If there is agreement, it will be a big success for Merkel») est extraite de l’article qu’il publie ce jour sur le conseil européen, termine ce passage par cette considération à la fois hautement tactique et hautement morale :

«A series of coincidences are conspiring to strengthen her hand. The gathering in Berlin will be Jacques Chirac's last EU summit. The crucial June session will be Mr Blair's last European summit.»

Nous sommes donc en plein ébats démocratiques : ou comment filouter la volonté des peuples (les référendums sur la Constitution) et profiter du handicap circonstanciel de la direction de ces peuples pour faire passer tout de même une Constitution européenne. Rassurons-nous un tantinet sur le fond : ce n’est pas la “grande” Constitution, mais le modèle “light”, pour estomac fragile. Pour l’instant, en attendant d’autres débats sur le fond, — car ce n’est pas fini, loin de là, — laissons le fond de côté et apprécions la méthode.

«According to officials in Brussels and ministers in eastern and western Europe, the German leader plans to have the charter wrapped up by February.

»To avoid controversy and division and to try to avoid national referendums, the blueprint reshaping how Europe is run would no longer be called a constitution. While retaining the key points, it would also be a fraction of the size of the document agreed by EU governments in 2004 but then rejected by French and Dutch voters in referendums in 2005. Ms Merkel aims to set up a conference of government officials from all 27 members countries in June to thrash out the details by the end of the year.

»The chancellor used her first European summit as EU president last night to sound out other leaders on the wording of a declaration to be issued later this month to mark the EU's 50th birthday. She is seeking to use the so-called Berlin Declaration, to be signed by European leaders on March 25, as a springboard for reviving the moribund European constitution.

»The aim is to set up a rolling conference of EU governments in June to draft a charter by December which will be endorsed by all 27 governments by February 2008, according to senior sources in European capitals.

»But Berlin still has to persuade the doubters, most notably Britain which was delighted to see the constitution stalled by French and Dutch voters. The German timetable will also present Gordon Brown with a headache if it coincides with his accession, although the Blair government has already agreed to the key changes in the way the EU is organised. These are: a single fixed-term EU presidency ending the current system of six-month rotation among 27 countries; a single European “foreign minister” representing a common EU line in international affairs although the post will probably no longer be entitled “foreign minister”; and a system of double majority voting in EU councils which erodes national vetoes and which, for the first time, recognises Germany's position as the biggest and most powerful EU country. These were the central changes agreed in 2004 and derailed in 2005 and are likely to survive in the new “simplified” version being negotiated.

»West European sources familiar with the negotiations believe Mr Blair could strike a deal in June. A European foreign minister said Mr Brown had “a great interest in finding a solution very quickly, so it could be forgotten before any general election in 2009”.

»Following the Berlin summit beginning on March 25 Ms Merkel hopes to end her EU presidency at another summit in June by establishing a so-called inter-governmental conference to thrash out the details. To make the project more palatable to sceptics such as Britain, Poland, and the Czech Republic and also, crucially, to try to avoid any need for popular referendums on the blueprint, the charter will no longer be called a constitution, but a “treaty” or “simplified treaty”, according to sources.»

Comment chaparder un poulet dans la basse-cour

Que dire de cette méthode, sinon qu’elle se situe vaguement entre l’escroquerie de bas étage à la vente par tempérament et le chapardage classique d’un poulet isolé dans une basse-cour caquetante. Ni gloire ni héroïsme là-dedans, ni “grand dessein” mais le travail des tâcherons bureaucratiques courants. Il faut dire que les Allemands y excellent et la chancelière Merkel en est le premier exemple, le primus inter pares de cette médiocrité-là.

L’ambition est évidemment “européenne”. C’est un moteur habituel pour le tout-venant des dirigeants des pays de l’UE. Pour qu’ils continuent à exister, il leur faut se dire “européens”. (Il est symptomatique que, seules parmi les pays d’Europe, la France et l’Angleterre n’ont pas besoin de cet artifice-là dans leurs campagnes électorales où l’on ne recule pourtant devant aucun artifice. On le voit en France actuellement, où l’Europe est absente du débat électoral. Ces deux pays sont les deux seules nations restantes du domaine et, si leur état n’est pas meilleur que le reste, ils persistent à exister par eux-mêmes. L’Allemagne, par exemple, ne le peut pas.)

Que veulent faire ces dirigeants européens ? Imposer par la manœuvre et la filouterie de circonstance une version allégée de la Constitution, — surtout en évitant l’affreuse circonstance de la démocratie (le référendum). Le cynisme des commentaires est, à cet égard, assez réjouissant par sa “transparence”. On ne s’embarrasse même plus du moindre gant pour user du double langage et étaler le virtualisme démocratique. On agit en pure illégalité selon l’esprit de la chose. C’est trahir l’esprit des institutions qu’ils entendent défendre que de vouloir imposer par la manœuvre tactique et de circonstance un document de façon à ce qu’il fasse une unanimité forcée, comprenant notamment les pays réfractaires. Le conformisme de vertu impose ces palinodies puisque ce conformisme implique l’unanimité.

Par ailleurs, tout cela sent sa diplomatie d’opérette… Il n’est pas dit qu’un Président en fin de parcours (Chirac) soit plus facile à manoeuvrer. Ce serait plutôt le contraire. Plutôt que le décrire comme affaibli, on le décrirait plus justement comme paralysé. Affaibli, on peut céder ; paralysé, on ne cède sur rien. Dans tous les cas, une décision dans de telles circonstances aurait une légitimité tellement douteuse qu’elle ouvrirait la porte à de nouveaux remous et à des aventures supplémentaires.

Mais notre analyse fondamentale est qu’en plus des ambitions et des illusions personnelles et nationales, — celle de Merkel de paraître une chancelière “européenne” et celle de l’Allemagne de croire que la puissance s’acquiert par le nombre de votes, — une trouille nouvelle commence à presser l’establishment européen.

De quoi s’agit-il ? Nous voulons parler de cette “trouille nouvelle” qui n’est pas encore bien réalisée en tant que telle parce que les esprits n’ont pas encore fait la connexion entre les deux événements. En effet, il y a maintenant deux crises en Europe. A côté de la crise constitutionnelle désormais classique (la Constitution), il y a la perspective d’une crise stratégique majeure que nous désignons comme “euromissiles-II”. Cette seconde crise ne peut être cantonnée au seul domaine stratégique parce qu’elle est essentiellement politique. Elle interfère désormais directement et gravement dans les relations entre les Etats, dans la mesure où la Pologne et la Tchéquie sont directement concernées et où des prises de position très vives sont faites en fonction de ces engagements. Traduisons cela en termes de connexion avec la crise institutionnelle : est-ce que, aujourd’hui comme hier, n’importe quel pays accepterait d’être lié aussi fortement que par une “Constitution” avec des pays aussi complètement irresponsables, anti-russes, pro-américanistes, que la Pologne et la Théquie (et d’autres ) ? La question est intéressante.

Il ne nous intéresse pas, vraiment pas, de juger du fond. Peut-être quelques éléments de la Constitution “light” sont-ils intéressants. C’est de moins en moins probable, quand on voit les pays avec lesquels d’autres vont lier leur sort. On verra. En attendant, voilà leur méthode et voilà le cadre pressant dans lequel ils l’appliquent. Si la crise stratégique prend l’essor qu’on peut envisager, pour ne pas dire souhaiter, le bouleversement européen dépassera largement le cadre stratégique.