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152124 juillet 2009 — Le voyage en Ukraine et en Géorgie de Joe Biden, vice-président US, a montré combien la politique US dans la région était soumise à un processus de révision discrète mais significatif. Pourtant, Biden était le visiteur idéal pour laisser subsister la fiction d’une “politique de l’idéologie et de l’instinct” poursuivie, – par exemple, comme le demandaient les 22 divers signataires de la lettre ouverte au président Obama (voir notre F&C du 17 juillet 2009). Sorte d’Holbrooke en plus fin, Biden est grande gueule, portant beau mais rouleur de mécaniques, du type du démocrate qui tient à en rajouter pour ne pas laisser à penser qu’il est “weak on défense”; qui plus est, gaffeur émérite, ce qui permet de laisser parfois échapper quelque bon mot qui dévoilent le fond de la pensée.
Au contraire, tant à Kiev qu’à Tbilissi, Biden a été très strict, très professionnel. Lorsque l’onctueux Saakachvili l’appelle “Joe”, comme si on était entre amis, il répond “Mr. President”, comme BHO lui a recommandé de dire. Ces paroles, échangées après qu’un “officiel” bien placé ait précisé au correspondant d’AP, ce 23 juillet 2009, que les USA ne s’engageraient nullement pour répondre à une demande de réarmement de Misha Saakachvili, – en tout bien tout honneur, d’ailleurs, des armements “défensifs” pour se protéger des effrayants desseins du couple Medvedev-Poutine.
«Georgia's president asked U.S. Vice President Joe Biden on Thursday for advanced U.S. weaponry, military aid and unarmed observers to monitor a cease-fire along the boundaries of two Moscow-backed breakaway regions, a senior U.S. official said. Biden made no promises of any U.S. military assistance, the official said, speaking on condition of anonymity. Georgia specifically asked for anti-tank and anti-aircraft weapons, he said. […]
»Biden emphasized to President Mikhail Saakashvili that military force should not be used to retake control of the two breakaway regions at the center of last year's war with Russia, and warned against taking any actions that could provoke a Russian military response, the official said. The vice president knows Saakashvili well and felt “comfortable speaking very bluntly with him,” the official said. […]
»Before their talks Thursday, Saakashvili said he and Biden had spoken informally Wednesday night at a dinner in the $40 million presidential compound's glass-domed dining room. “I told you there was no such thing as a free dinner in Georgia,” Saakashvili told Biden, an apparent reference to Georgia's requests for expanded military assistance. The smiling Georgian leader, who referred to Biden as “Joe,” called the discussions “very productive.”
»Biden seemed more reserved, calling Saakashvili “Mr. President.” While citing U.S.-Georgia ties, he also expressed support for political reforms that Saakashvili announced earlier in the week to counter claims he has turned authoritarian. “We're here to talk about your security, economy, your democracy and the steps you are taking for solidifying your democracy,” he told Saakashvili.»
Dans une étrange référence inversée aux habitudes américanistes, Biden en a également profité pour rencontrer les archi-ennemis de Saakachvili, dirigeants de l’“opposition démocratique” (l’ancien ambassadeur de Géorgie à l’ONU, Irakli Alasania, et l’ancienne présidente du Parlement, Nino Bourdzhanadze). D’habitude, cette sorte de démarche hautement symbolique et donc efficace, est réservée aux pays “suspects”, type Russie ou Chine.
D’une façon générale, la visite de Biden en Ukraine, avant celle de Géorgie, s’est faite sur le même mode, – mezzo voce et sur la pointe des mots. Le site WSWS.org rapporte, ce 23 juin 2009, quelques précisions sur cette visite, qui s’est faite dans le même style; une phase dite de “lip service”, réaffirmant les habituelles fadaises sur les liens entre les USA et ces jeunes démocraties, et leurs diverses ambitions, leur intégrité, etc.; tout cela aussitôt nuancé de la deuxième phase, celle de la prudence, avec restrictions suggérées, mises en garde aimables, etc.; enfin, avec, en bout de piste, l’aimable “officiel” US pour tenir les pendules à l’heure. On peut prendre, par exemple, la question de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN.
«The vice president arrived in Ukraine’s capital, Kiev, for talks with Ukrainian President Viktor Yushchenko on Tuesday. After the meeting Biden made a speech suggesting that US relations with Russia would not impact on Ukrainian plans to join the North Atlantic Treaty Organization (NATO). Biden’s words were tailored to leave the door open to future Ukrainian membership of the US-led military alliance, while suitably vague so as not to antagonize the Kremlin.
“If you choose to be part of the Euro-Atlantic integration, which I believe you have, then we strongly support that,” Biden said, adding, “We do not recognize—and I want to reiterate it—any spheres of influence.” “We do not recognise anyone else’s right to dictate to you or any other country what alliance to belong to or what relationship to have.”
»Despite the warm words in public, unnamed US officials accompanying the vice president told the press that Ukraine had a “long way to go” before the US would consider allowing it into NATO.»
D’autres indications plus générales, et, en général, plus intéressantes parce que plus significatives, sont présentes dans ce texte de WSWS.org. Elles concernent toutes ce qui pourrait apparaître comme une sorte d’entente tacite, mais néanmoins explicitement exprimée entre Russes et Américains, pour écarter tout risque d’affrontement entre les deux pays et la Russie, et pour freiner les attitudes irresponsables des dirigeants type Saakachvili et Ioutchenko. (Il y a des indications selon lesquelles, les Américains pourraient soutenir éventuellement Timochenko pour la présidence, pour les futures élections. On pourrait aboutir à une situation où l’actuelle Première ministre pourrait réunir sur son nom l’intérêt conjoint des USA et de la Russie.) Tout cela rejoint, sous une autre forme, des rumeurs qu’on qualifierait de persistantes sur une “entente objective” entre les deux puissances.
«In an indication of the new deal struck between Moscow and Washington over Georgia, Obama recently nominated John Bass as the next American ambassador to Georgia. Bass recently worked at the US Embassy in Baghdad and has specialized in developing NATO-Russia relations in the State Department. The appointment is seen as a move to ease Washington’s tensions with Russia while maintaining the US effort to foster Georgia as a key regional ally.
»Commenting to television station France 24 on Biden’s tour, George Frederick Dewsbury of the Center for the Study of Caucasian, Central European and Russian Worlds, stated that Washington was already looking for “the next generation of leaders” in Georgia. […]
»The Russian newspaper Kommersant reported this week that Biden would pressure the unpopular leaders of Georgia and Ukraine to resign. Though the story is likely a plant from the Kremlin, there is a degree of truth in the suggestion that both leaders are considered to be too destabilizing for current US interests in the ex-Soviet region. Saakashvili’s war with Russia last year and Yushchenko’s disputes with the Kremlin over NATO and gas supplies, while supported by the US at the time, are now viewed as distractions from the central focus of US imperialism under the Obama administration – the successful occupation of Afghanistan and securing Pakistan as a reliable US client. For this, Washington has come to the conclusion that it needs Moscow’s aid, for the time being.»
On appréciera le rapprochement qu’on peut faire entre les rumeurs de “pressions” US pour que l’une ou (et) l’autre marionnette(s) en place tire sa révérence, avec le commentaire sentencieux de l’expert de service selon lequel «Washington was already looking for “the next generation of leaders” in Georgia». Il faut dire que Misha, avec ses 42 ans, commence à faire un peu vieillot et usé… Le travesti du commentaire pour maquiller une politique de force vieille comme la politique étrangère des USA, autant pour décamper que pour s’installer, a au moins la vertu de l’ironie pathétique.
D’une façon générale, disons que la tournée assez morose de Joë Biden apporte aux deux pays qui ont assuré l’avant-poste anti-russe de la “politique de l’idéologie et de l’instinct” du temps de GW Bush la confirmation que la récréation est finie. Il est temps de rentrer dans le rang, de se conduire bien et assez poliment avec le voisin russe et de s’armer d’une immense patience, un peu à la façon des officiers du Désert des Tartares, en attendant l’heure venue d’envisager d’entrer dans l’OTAN, quelque part d’ici le début du XXIIème siècle, – disons, quelques décennies après que la Russie y soit elle-même entrée. Fin de séquence.
Le problème que nous avons et que nous aurons avec l’éventuelle “nouvelle politique” d’Obama est qu’elle manquera nécessairement d’éclat et de brio et qu’elle sera accompagnée d’un tonnerre permanent de désinformation nourrie du mensonge systématique, si elle est faite dans les limites du système comme c’est le cas actuellement. En effet, dans ces limites-là, et selon la logique qui accompagne le système, il s’agit d’une politique de retraite et d’une politique honteuse, – dans un système qui se nourrit d’une vanité égotique qui ne semble envisager aucune limite. L’essentiel du travail est donc de maquiller la poudre d’escampette en potion magique, pour que la politique ne paraisse pas ce qu’elle est; il s’agit d’en rendre discrète la substance et de poursuivre des proclamations convenues qui font croire au contraire que l’engagement US reste constant. La tournée Biden répondait à ce dessein, et encore, dans une mesure où la partie plus “réaliste” de la politique (la retraite) est apparue plus nettement qu’on aurait cru.
De quoi s’agit-il? De retraiter d’une politique, dite de “l’idéologie et de l’instinct”, caractérisée par la vanité du dessein, l’absence de recherche du moindre équilibre, l’agressivité idéologique proche de l’hystérie, le soutien à l’irresponsabilité systématique des marionnettes classiques (type sud-américain des années 1950 recyclé Europe de l’Est circa post-Guerre froide: “He is a sonovabitche but he is our sonovabitche”). Cette politique pratiquée jusqu’en 2008, conduite selon la logique de la force aveugle et de l’éclatement du pouvoir (lobbies, ONG idéologiques, complexe militaro-industriel), s’est heurtée à la catastrophe de la crise géorgienne d’août 2008 où les USA officiels (il y en avait) ont été incapables, et par ailleurs tout à fait peu intéressés, de venir à l’aide de Saakachvili.
L’ordre du jour a été largement, c’est-à-dire lourdement confirmé par la puissance de la crise du 15 septembre 2008; il est devenu: comment retraiter sans en avoir l’air? Une aide est demandée aux Russes, qui ne peuvent que se satisfaire de l’orientation de la chose… On observera, ci-dessus, de nombreuses voies où l’on pourrait effectivement trouver des esquisses d’entente entre Américains et Russes.
Tout cela n’est pas éclatant. C’est la politique d’avant, celle de “l’idéologie et de l’instinct” qui était éclatante, même si de sottise nihiliste, et sa dégradation en cours est évidemment plus une décroissance de l’éclat initial qu’une affirmation structurante et remarquable. L’essentiel de la politique de “l’idéologie et de l’instinct” est marquée par des affirmations complètement artificielles, – pourtant reproduites avec un zèle d’automate par tout ce que la presse-Pravda (occidentaliste, celle qui est encore plus Pravda que la Pravda) compte de plumitifs prenant pour du comptant déclarations et communiqués officiels.
Ceux qui, au nom de la rigueur géopolitique, affirment que les USA n’abandonneront pas les avantages acquis en Europe, comme par exemple le projet de déploiement du BMDE, parce qu’on ne sacrifie pas ses intérêts géopolitiques (c’est la thèse de George Friedman, de Stratfor.com) n’ont pas raison parce qu’ils mettent de la logique géopolitique là où il n’y en a pas. Le BMDE est une pure création de la promotion marketing du complexe militaro-industriel, avec l’aide des réseaux néoconservateurs type Bruce P. Jackson; il ne correspond à aucune logique géopolitique et constitue une constante source de tension qui constitue finalement une charge inintéressante pour les USA, s’ils choisissent plutôt la “politique de la raison”, – laquelle place les relations avec la Russie comme première priorité, – et là, c’est répondre à la logique de la géopolitique. On a pris le cas du BMDE pour montrer l’envergue du problème, et l’on comprend que, pour les cas ukrainien et géorgien c’est la même chose. Il s’agit d’avantages tactiques qui finissent par détruire la stratégie centrale. Le jeu n’en vaut pas la chandelle.
Pour l’heure et pour autant, on ne peut parler d’une véritable “politique” de la part de l’administration Obama. Il s’agit de la force de l’évidence, qui enseigne que les relations entre les USA et la Russie sont plus importantes que les relations avec la Géorgie et l ‘Ukraine, que les folies ukrainienne et géorgienne toutes enfantées par “la politique de l’idéologie et de l’instinct” n’ont pas apporté grand’chose aux USA, tout en leur coûtant beaucoup, notamment dans leurs relations avec la Russie. Les conditions où s’abîment aujourd’hui les USA ne leur permettent plus de s’offrir cette sorte de luxe suspect. La retraite est, dans ce cas, un simple mouvement de bon sens, sinon un mouvement obligé.
On ne peut nommer cela une “grande politique” de la part de l’administration Obama, mais simplement une nécessité comptable. L’administration Obama est loin d’avoir une “grande politique” qui la distingue du lot; il lui faudrait pour cela parler haut et clair, avec le courage de la logique structurante d’une grande politique, et affirmer qu’elle met en place une politique d’équilibre et de recherche de bonne entente avec les forces naturelles existantes, une politique réellement structurante, – au lieu de s’en tenir aux restes des slogans de l’hystérie de “l’idéologie et de l’instinct” mâtinés de “petites phrases” à la Joe Biden d’avertissement à un Ioutchenko et à un Saakachvili. L’administration Obama est encore à des années-lumière d’avoir le courage et la sagesse d’une politique à la Gorbatchev, – c’est-à-dire, pour celui-ci, de dire qu’il se retire d’Europe de l’Est d’une façon consciente et organisée, pour rompre une stupide politique de l’“idéologie et de l’instinct”. Cette absence de courage et de sagesse se mesure dans les insanités que leur nécessités de propagande poussent les américanistes à proférer, – comme ce mot de Biden, dans son discours au Parlement géorgien, avertissant qu’il ne faut plus compter sur la force militaire pour la “reconquête” (Ossétie du Sud notamment) : «It's a sad certainty but it is true, there is no military option to réintégration.» S’il y a quelque chose de “triste”, c’est bien d’entendre un vice-président US, avec tout ce que poste suppose de prétention à la “grande politique”, qualifier de “triste” le fait de ne plus pouvoir se servir des armes pour arriver à un résultat politique, – on veut dire, “tristesse” devant le spectacle de la stupidité utilisée sans même songer à la qualifier, – fort probablement, d’ailleurs, en ignorant que c’est de la stupidité pure qui est proférée dans ce cas.
Les USA, depuis la fin de la Guerre froide, ont repris à leur compte, et dans l’autre sens, cette politique d’expansion bureaucratique et militariste de l’URSS telle qu’elle s’était installée en Europe de l’Est. L’URSS avait au moins l’excuse d’avoir conquis cette partie de l’Europe avec l’Armée Rouge, dans les conditions qu’on sait, dont paraît-il “le monde libre” dans son ensemble ne se plaignit pas lorsque la chose se fit. Les USA n’ont même pas cela, n’ayant jamais rien risqué d’eux-mêmes, avec cette absence de courage si caractéristique, dans la “conquête” obscène de l’Europe de l’Est et dans la destruction atroce de la Russie par l’argent et la cupidité de Wall Street et de l’idéologie hyper-capitaliste, dans les années 1990. Tout cela est une illustration de l’exemplaire lâcheté de la civilisation occidentale, de sa substance absolument nihiliste et mortifère.
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