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28 mai 2007 — Nous avons vu hier, à 12H40 sur la 5ème chaîne télévisée française, l’émission Arrêt sur image, que nous avons jugée particulièrement intéressante.
• Le thème était «Sarkozy : inventeur ou copieur ?» (une comparaison essentiellement entre le début du septennat de Giscard d’Estaing, en 1974, et le début du quinquennat de Sarkozy).
• Les invités : Dominique Jamet, journaliste, écrivain, qui fut notamment reporteur à L'Aurore, chroniqueur fugitif (six mois, du temps d’Hersant) à France Soir, rédacteur en chef au Quotidien de Paris, éditorialiste à Droit de réponse de Michel Polac, etc.; Bernard Rideau, conseiller en communication de Valéry Giscard d'Estaing de 1975 à 1981
La présentation de l’émission sur le site de la chaîne: «Un président de la République en train de faire du sport ou partageant un repas avec des Français, un Premier ministre entouré de femmes ministres sous l'œil de photographes, des ministres soudainement convertis à l'écologie, et qui l'affichent...
»Que d'images télévisées ces derniers jours qui réveillent en nous des souvenirs plus ou moins anciens. Et de se dire : mais où Nicolas Sarkozy est-il allé chercher toutes ces idées ? Est-ce vraiment nouveau d'entendre des journalistes s'attarder sur un chef de l'Etat faisant un footing ? Où Nicolas Sarkozy et son gouvernement ont-ils trouvé l'inspiration pour produire de telles images ? Chez Valéry Giscard d'Estaing ? Chez François Mitterrand ? Chez Bill Clinton ?....
»Comment avait été pensée la communication de Valéry Giscard d'Estaing à son arrivée au pouvoir, en 1974 ? Quelles images de ce président ont dépoussiéré la communication politique à partir de son entrée à l'Elysée ? Le nouveau style de VGE avait-il été bien accueilli par la presse et l'opinion de l'époque ?»
Ce rapide extrait montre bien qu’en réalité et sur cet argument de départ de l’émission (qui évoluera bien, on va le voir), la seule comparaison intéressante est entre VGE et Sarkozy, et la présence de Bureau était intéressante à ce titre. Les deux hommes sont du même âge à leur prise de fonction (48 ans pour VGE, 51 pour Sarko), les deux veulent “dépoussiérer”, les deux se présentent comme des présidents de changement, des hommes dynamiques, bondissants et ainsi de suite.
Mais l’essentiel, plutôt que ces proximités, est apparu dans les différences. Cela permet également de séparer ce que nous nommons “l’écume des jours” de l’essentiel… On verra que l’écume des jours, ce sont les proximités, et l’essentiel dans les différences. (Mais disons “la différence”, cela va mieux.) Cela permet d’affiner le portrait de Sarkozy en s’appuyant sur celui de VGE.
Ce qui apparaît remarquable, c’est que tout ce qui est présenté comme neuf, excitant, original et people chez Sarko, tout ce qui déchaîne l’intérêt de la presse (son jogging, ses rapports avec Cecilia, son intention de “dépoussiérer” la fonction présidentielle, ses intentions de réforme, son “ouverture” à gauche), c’est ce qu’il y a de plus vieux et de plus rabâché. Les similitudes entre VGE et lui, et d’autres d’ailleurs, sont à cet égard frappantes.
“Nouveau style”, Giscard, qu’on revoit jouer au football un an avec l’élection, allant par les rues et entrant à l’Elysée à pied le jour de son inauguration, répondant avec le sourire “populo” qu’on imagine à un Léon Zitrone people avant l’heure, qui l’interroge sur la marque du début de cette présidence, sur la caractéristique principale que veut lui donner le nouveau président, — et Giscard, chuintant comme jamais, bronzé, avec le geste si simplement emprunté et sophistiqué, caricaturalement aristocratique et condescendant jusqu’à la caricature : «La simplicité!», — puis s’enfuyant à toutes jambes. Plus tard, on retrouve VGE dans une prison, lors d’un déplacement impromptu, VGE recevant des éboueurs à l’Elysée comme vous et moi, et l’on se rappelle VGE encore ministre, VGE qui avait pris le métro en tricot comme vous et moi. Chaque fois, coïncidence heureuse, TV et photographes sont là.
Sarko n’a donc rien inventé. Il n’a pas copié non plus, ces “trucs” viennent naturellement. La seule chose qu’on aimerait savoir pour l’anecdote intéressante, c’est la part de Sarko dans toute cette agitation, avec TV conviée à immortaliser ces aspects si simples de la vie de tous les jours. Pour VGE, Bureau confirme ceci qui ne nous étonne pas : «C’est Giscard qui avait la plupart de ces idées et il fallait le freiner, le stopper, parce que l’effet n’était pas bon du tout dans le public.» En effet, ces “gadgets” des présidents commençants, qui ont tous une popularité peu ordinaire (Kahn, rigolard bien à propos : «Toutes les présidences commencent bien!»), n’ont vraiment que la valeur de l’“image” qui se dissipe comme la fumée dans le vent, comme la poudre aux yeux dans une bourrasque d'escampette.
Le changement aujourd’hui, puisqu’il faut bien en parler comme s’il existait, n’est pas dans les présidents et leurs jeux dérisoires pour distinguer leur “image” mais dans la façon d’en rendre compte. L’émission a, peut-être involontairement, fixé la chose. Kahn remarque justement : «Il y a eu un événement extraordinaire lorsque Sarkozy était à Brégançon. Il y a eu une dépêche de l’AFP avec ce titre : “Le président Sarkozy quitte le Fort de Brégançon pour aller faire son jogging”. Vous imaginez l’AFP titrant, en 1967 : “Le général de Gaulle vient de quitter La Boisserie pour aller promener son chien”?»
Non, on n’imagine pas cela, — d’autant que de Gaulle n’avait pas de chien. Cela est une mesure de l’évolution des temps, pas de l’évolution des présidents. Le jogging du président Sarkozy n’a guère d’intérêt pour notre propos sinon que le monde médiatique s’en alarme lui-même comme s’il s’agissait d’un événement, et sinon que le service de communication de la présidence se fait le complice de ce branle-bas en avertissant la presse. D’où ce jogging sous l’œil de la caméra qui n’en est plus un puisqu’il est ainsi une complète mise en scène. (Avec la remarque des participants à l’émission, hilares, selon lequel dans ces “sujets” de JT de vingt heures, le président est toujours en tête, comme s’il importait qu’il parût un athlète remarquable parce que toujours en tête. Sauf que… — exclamations également hilares à la vision d’un film où l’on voit Sarkozy courant en discutant avec Fillon courant, Fillon qui a rejoint la course et est légèrement en tête, — et l’un des protagonistes de l’émission [Jamet] remarquant, plus hilare que jamais: «Celui-là, il n’est peut-être pas Premier ministre pour longtemps!» Remarque juste, qui fixe l’importance de l’épisode.)
(Au passage et pour compléter le rayon des “gadgets”, Jean-François Kahn exécute l’“ouverture”, — et grâce lui en soit rendue. On fait un rapide parallèle avec le gouvernement de Rocard de 1988, où il y avait des gens de droite, précurseur évidemment de cette ouverture qui n’est qu’un arrangement cosmétique. Aucune influence, aucune suite, avec l’expérience Rocard qu’on avait oubliée. Kahn remarque qu’une véritable ouverture serait de négocier un programme de gouvernement avec le/les partis d’opposition. Au lieu qu’ici, comme en 1988, on pêche quelques consciences élastiques et disponibles et le tour est joué. Souvenir à propos, non mentionné dans l’émission : la même chose avait eu lieu en 1974, avec le premier gouvernement Chirac, avec JJSS/Jean-Jacques Servan-Schreiber [ministre des Réformes pendant 14 jours] et Françoise Giroud. Sans importance et sans conséquence, vraiment, — à classer dans “écume des jours”. )
Mais l’essentiel tient dans un des points abordés par l’émission, résumé en passant par une remarque de Dominique Jamet: «On sait bien qu’on dit que la fonction de président change l’homme.» Il est vrai que, là aussi, dans cette émission consacrée volontairement à l’accessoire de l’écume des jours, cette idée essentielle était dans les esprits. C’était tout l’intérêt de l’émission, par contraste avec l’écume des jours.
Cela fut évident lorsqu’on compara l’acte de commémoration des divers présidents considérés, pour leur premier jour de présidence, et lorsqu’on remarqua que les présidents de la Vème semblent à cet égard se déterminer en fonction du souvenir de la Résistance. (On remarque ici, complémentairement, combien de Gaulle a parfaitement réussi son ambition de résurrection de la légitimité française, en liant par l’évidence de sa personne les deux événements fondateurs : la Résistance et la Vème.) On mit en perspective de comparaison, VGE, Mitterrand et Sarko.
• VGE s’abstint d’un tel acte (la commémoration d’un événement fameux de la Résistance). Bureau marmonne qu’«il ne voulait choquer personne». On s’étonne (Schneidermann), déjà prêt à sortir l’argument pétainiste: “choquer qui ?” Bureau précise, un peu gêné: «Les gaullistes résistants, qui lui faisaient la vie dure.» Drôle d’explication, drôle de calcul pour un jour si solennel. Mais VGE n’avait que faire de cette solennité-là et Dominique Jamet va au fond des choses lorsqu’il remarque: «Tout le monde sait que Giscard n’aimait pas l’histoire» (intervention de Bureau, confirmant implicitement le propos: «C’est un polytechnicien»). Jamet : «Son rêve, c’était d’aller le plus vite possible vers les Etats-Unis d’Europe. Il n’avait aucun goût pour l’exaltation de la France éternelle.» Tout est dit.
• Mitterrand, on connaît: lui, tout seul, pompeusement, allant déposer une rose sur la tombe de Jean Moulin, avec la foule exaltée tenue à distance du Panthéon, en ce jour de Mai où l’orage va éclater (ambiguïté à mesure du nouveau président du message des dieux). Film du parcours présidentiel et solitaire, comme une montée au Ciel, ou sur le trône, cette éclatante fausseté de la solennelle simplicité, — mais l’émotion de l’événement arrangé malgré tout… Long plan sur la rose posée sur la tombe-monument éclatante de simplicité au son de la 9ème de Beethoven, sur le nom simplement gravé (“Jean Moulin”) et les deux dates de la naissance et de la mort, et l’on sait dans quelles conditions cette mort (“1899-1943”). Excellente mise en scène de Serge Moatti , et déjà ce mélange de faux-nez et de réalité historique (Jean Moulin c’est Jean Moulin), cette ambiguïté marquant autant l’ère Mitterrand que le personnage, son goût pour la tromperie florentine et pour la vieille terre de France malgré tout.
• Sarko, c’est plus franc du collier. Il va devant la stèle commémorant le martyre de l’adolescent, où une jeune fille lit la dernière lettre à sa famille de Guy Mocqué, ce jeune communiste qui va être fusillé par les Allemands. C’est en 1941. On rappelle que Sarkozy a fait savoir qu’il «n’a jamais pu entendre ce texte sans pleurer». Film de la cérémonie très simple: il semble pleurer effectivement, il grimace, peu à son avantage à cet instant, essuie quelques larmes qui fixent l’atmosphère. Les anti-Sarko peuvent soupçonner quelque subterfuge lacrymal; aucun des participants à l’émission ne s’y arrête. Le président pleure. L’un d’entre eux répète le propos : «On dit que la fonction de président change l’homme. Sarkozy est-il en train de changer ?» Remarque étrange: changer en laissant voir un événement intime qui lui est coutumier? C’est pourtant bien cela : changer, dans ce cas, c’est retrouver quelque chose de profond de soi-même qui se marie à la fonction, — s’il y a changement.
(Cette rétrospective à deux semaines confirme, sur le fait lui-même de la commémoration, les impressions du jour même, notamment de cette citation de The Independent: «By going to a resistance shrine in the Bois de Boulogne as one of his first acts as president, M. Sarkozy signalled that he plans to resurrect the very different post-war approach of his political hero, Charles de Gaulle. Like De Gaulle's France, Sarkozy's France will glorify acts of patriotism and achievement. It will not dwell on past failures, wickedness or betrayals.» L’ambiguïté de Mitterrand, commençant par la commémoration elle-même dont on a vu les contrastes ambigus et éventuellement suspects, ouvrait l’époque où “la repentance” allait s’en donner à cœur joie, y compris avec la poursuite avec Chirac, — preuve que droite et gauche ne se distinguent pas. La simplicité de la cérémonie-Guy Mocqué autant que les intentions de Sarko mettent un terme à la période.)
Concluons sur cette remarque essentielle. Le débat autour de l’inauguration de Sarko est bien entre l’apparence et la substance, l’écume des jours et l’essentiel, et il se fixe sur cette question : “la fonction (de président) change-t-elle l’homme ?” Question sans originalité toujours recommencée, mais qui n’a jamais été plus intense et plus pressante qu’aujourd’hui, plus profonde en un sens, — question du destin lui-même. La question et le débat sur la transcendance n’ont jamais été plus vifs alors que la décadence accélérée du monde politique n’a jamais autant réduit les hommes et les femmes au rang de “scélérats” que leur assignait Joseph de Maistre. Cela nous confirme, pour notre compte, d’être dans cette “époque maistrienne”, puisque le seul débat d’importance est bien implicitement celui-ci : les “scélérats” restent-ils “scélérats” ou bien sont-ils transcendés par la fonction transcendantale? On nous fera la grâce de nous laisser croire que c’est bien plus important que la veille rancunière et rassise sur la renaissance du fascisme, à la manière de ces jeunes officiers fringants et inutiles devant le vide angoissant du désert des Tartares.