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976Nous prenons un sujet que nous connaissons bien, que nous avons traité en abondance depuis quelques mois, que nous nommons “la crise de l’USAF”. Le dernier épisode en est la liquidation de la direction de l’USAF (la “décapitation” de l’USAF, selon un terme affectionné par les stratèges de l’USAF), – dont nous avons parlé, le 7 juin.
On sait qu’il y a une version officielle: le secrétaire à l’USAF et le chef d’état-major de l'USAF ont été liquidés à cause des récents incidents autour de divers matériels nucléaires, à propos desquels un récent rapport vient de conclure à la responsabilité de l’USAF. On sait qu’il y a à côté une vision bien plus intéressante, importante et évidente. Il y a de fortes présomptions, des confidences, des déclarations officieuses qui mettent en doute cette version, ou du moins le caractère exclusif de cette version. L'explication réelle est qu'il existe une opposition doctrinale et de programmation entre l’actuelle direction politique du Pentagone et l’USAF, qui s'est d’ailleurs signalée par des affrontements publics et peut-être d'autres, non révélés et très sévères.
Le site WSWS.org observe le 7 juin: «
Nous avions nous mêmes indiqué cette interprétation, que nous avions privilégiée au nom du bon sens de l'analyse politique autant que d'indications précoses, en citant des sources citées elles-mêmes par le site Danger Room:
«Despite reports you may be reading elsewhere, this firing was not about nukes or missiles, well-placed sources say. “Far and away the biggest issue was the budget stuff, not the nuclear stuff. The UAV [unmanned aerial vehicle] fight, the F-22 deal... Gates really didn't appreciate it,” one of those sources tells Danger Room. Now, with the botched missile and nuke shipments, “the SecDef [Secretary of Defense] has good cover to do something that suits him bureaucratically.”
»“The problem seems to be a philosophical difference between Gates and the USAF [U.S. Air Force], not anything to do with nuclear weapons,” another adds. And Moseley and Wynne may not be the last to go. Rumors are swirling of more top-level Air Force officers getting the axe…»
Il s’agit donc d’un cas beaucoup plus intéressant que la seule question de la surveillance des armes nucléaires, qui implique des maladresses ou des négligences techniques, – qui pourraient être graves selon les conséquences, mais qui ne sont tout de même que du domaine technique. Devant les signes extrêmement sérieux, sinon indubitables à notre sens, de l’autre explication d’une mésentente de fond marquée par un affrontement entre l’USAF et Gates, un journaliste doit évidemment signaler ce cas, insister là-dessus et privilégier évidemment le commentaire dans cette direction. Pour un journaliste d'un journal de la qualité prétendue du New York Times, c'est une démarche impérative. On comprend que cela nous conduise à l’éditorial du New York
Cet éditorial est tonitruant, un morceau de bravoure sur le courage de Robert Gates, sur la nécessité d’affirmer l’autorité du pouvoir civil, sur les dramatiques erreurs de l’USAF, etc., – avec pas un seul mot sur les possibilités évoquées par ailleurs.
«It's not often in American politics or government that officials are held accountable these days, so Defense Secretary Robert Gates' decision to fire the top two air force leaders on Thursday was as surprising as it was commendable.
»Gates made accountability a priority after taking office 18 months ago, and he removed senior army officers following disclosures of deplorable conditions at Walter Reed Army Medical Center. But never before had both a service secretary (the air force's Michael Wynne, a civilian) and a service chief (General T. Michael Moseley) been forced to resign simultaneously. It was an absolutely necessary move.
(…)
»How did the air force miss that message? Or was everybody at the Pentagon just too focused on waging an unnecessary war in Iraq?
»We applaud Gates' quick action in this case. Now, the special task force he named to propose security upgrades must complete its work as soon as possible so Bush, or his successor, can implement them with as little delay as possible.»
Sur ce sujet, qui pourrait paraître plus anodin, ou disons moins “politique” que d’autres, on peut voir exposée la technique de soumission complète de la presse libérale US, qui est le grand événement de la capitulation de ce qui restait d’esprit à prétention indépendante dans le système US en place, dans l’establishment. Aujourd’hui, le New York Times fonctionne comme la Pravda du temps de Brejnev, avec plus de légèreté journalistique et avec beaucoup plus d’arrogance et encore plus d’hypocrisie.
Que est le but général? Dissimuler que le système puisse avoir un vice fondamental. Faire un véritable acte d’analyse dans le cas exposé, selon l'orientation que nous avons décrite, c’est envisager ceci, – qui est par ailleurs évident, mais tant pis, – qu’il existe un conflit d’autorité au Pentagone, impliquant des dysfonctionnements graves entre pouvoir militaire et pouvoir civil, entre bureaucratie et direction politique, qui sont autant de prémisses de la crise du Pentagone qui menace. La querelle Gates-USAF depuis plusieurs mois, sur la question de la programmation, en est la marque évidente. Le départ de Wynne et de Moseley en est la conséquence.
La chose est totalement ignorée par l’édito du NYT, comme s’il s’agissait d’un autre Gates, d’un autre Moseley, d’une autre USAF, d’un autre Pentagone. Cette absence est compensée par une emphase vertueuse sur les devoirs de surveillance des militaires du matériel nucléaire, avec au passage une pique sur la soi-disant obsession des militaires pour l’Irak, cette guerre que le NYT a laissé faire en sachant son imposture et en favorisant les mensonges structurant cette imposture. Le procédé consiste à en rajouter sur la vertu accessoire pour éviter d’avoir à faire acte de vertu essentielle: plus l’emphase de la vertu accessoire (protection du nucléaire, devoir de surveillance) est forte, plus on espère et l’on attend qu’elle comblera le vide de l’absence de vertu essentielle, celle qui distingue les choses qui comptent, celle qui suscite la curiosité sur la réalité de l’opposition entre Gates et l’USAF.
Ainsi fonctionnent le système et ses auxiliaires les plus zélés. La censure n’existe pas, elle est remplacée par l’absence. On ne ment pas vraiment, on écarte par défaut, sans avoir l’air d’écarter puisque c’est sans y toucher finalement. Peut-être même y a-t-il là-dedans plus de “bonne foi” qu’on imagine, une bonne foi absolument pervertie par la puissance d’une hypocrisie également inconsciente. Cela permet de bien dormir, conscience tranquille.
Mis en ligne le 9 juin 2008 à 15H10