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88430 octobre 2009 — Le 28 octobre 2009, RAW Story revenait sur une interview donnée par Georges Soros au Financial Times le 23 octobre 2009. RAW Story présente également un commentaire de l’interview de Soros.
• Que dit Soros? En gros, il s’agirait de remplacer le Washington consensus par le Beijing consensus. Soros ne donne plus cher, ni des USA, dans tous les cas comme leader du monde, ni du dollar comme monnaie de référence. D’ailleurs, juge-t-il, l’abandon de ces privilèges qui ne reposent plus sur rien est de l’intérêt des USA.
Voici deux des questions-réponses qui cernent le mieux le rôle déclinant des USA et le rôle que pourrait jouer la Chine, manifestement en remplacement des USA, tels que Soros considère les choses.
Financial Times: «Does it, at some point, need also to decline against the renminbi? Does there need to be some sort of a new global currency deal?»
George Soros: «No. I believe that basically the system is broken and needs to be reconstituted. We cannot afford to have the kind of chronic and mounting imbalances in international finance. So, you need a new currency system and actually the special drawing rights do give you the makings of a system and I think it’s ill-considered on the part of the United States to resist the wider use of special drawing rights. They could be very, very useful now when you have a global shortfall of demand. You could actually internationally create currency through special drawing rights and we’ve done it. We issued $250bn and that’s a very, very useful step, except the rich countries don’t actually need the additional reserves, so all they can do is put it in the shop window and say, we have got that much extra. But they can’t actually use it. Now I think it could be used to provide global public goods. The rich countries could put their allocations in escrow. The problem is that there is a cost to using SDRs. It’s a very small cost at the moment; it’s less than 0.5 per cent, but still is a cost, so somebody has to pay it and I think we have actually the means to do it because the IMF has very large gold reserves – kept in the books at a very low price – and it has been decided to use those gold reserves to the benefit of the least developed countries. So, the IMF could actually pick up the cost of paying for the special drawing rights...» […]
Financial Times: «What sort of a financial deal should Obama be seeking to strike when he travels to China next month?»
George Soros: «I think this would be time because you really need to bring China into the creation of a new world order, a financial world order. They are kind of reluctant members of the IMF. They play along, but they don’t make much of a contribution because it’s not their institution. Their share is not commensurate ... their voting rights are not commensurate to their weight, so I think you need a new world order that China has to be part of the process of creating it and they have to buy in. They have to own it the same way as, let’s say, the United States owns the Washington consensus, the current order, and I think this would be a more stable one where you would have co-ordinated policies. I think the makings of it are already there because the G20, in agreeing to peer reviews, effectively is moving in that direction.»
• Le site RAW Story, qui présente effectivement des extraits de ces deux réponses de George Soros, accompagne sa présentation d’un bref commentaire. Il situe toute la problématique de l’intervention du milliardaire-investisseur, dont les convictions idéologiques sont connues comme celles d’un cosmopolitique partisan d’une organisation mondiale – ce que RAW Story traduit instantanément, et justement pour l’entendement de la chose, par “gouvernement mondial”.
«Some critics of the global financial system have argued that SDRs are the thin end of the wedge to the creation of a world government, arguing that institutions like the IMF and the G20 undermine the sovereignty of nations by taking control of economic policy out of the hands of national leaders. Soros' comments are unlikely to assuage those concerns.»
Il y a effectivement une très abondante littérature autour des SDR, des ambitions de certaines organisations internationales et de la philosophie générale d’un “gouvernement mondial”. C’est dans ce sens qu’on doit apprécier les réponses de Soros lors de cette intéressante intervention, qui a au moins l’intérêt de fixer d’une façon de plus en plus nette l’idée que l’hégémonie US est considérée comme une chose du passé. En ce sens, cette réflexion poursuit celle qu’inspirait le texte de Michael T. Klare, avec notre commentaire, le 28 octobre 2009. Nous sommes vraiment, d’ores et déjà, en 2025, et le temps historique suit un rythme bien plus rapide que celui des tournées de conférences de nos commentateurs appointés chargés de nous instruire sur le courant des événements en cours et sur ce qu'il faut en attendre…
@PAYANT Le “Beijing consensus” à la place du “Washington consensus”, ou la globalisation réparée par le haut, et le système avec lui, et les USA jetés aux pertes et profits… Le programme est radical et expéditif. Il ne doit pas étonner de la part d’un Soros, prototype du spéculateur qui se pique d’une philosophie politico-financière qui n’a pas peur de l’audace conceptuelle, qu’il développe en s’appuyant sur la seule “science”, ou activité disons, qu’il affectionne: l’économie et la finance ou, plutôt, l’économie selon la finance.
Le programme est radical, et le temps historique file comme le vent divin (kamikaze selon les Japonais, autres nouveaux venus de la déconstruction du monde américaniste). A peine a-t-on lancé le G2 que nous en sommes au “G2 moins un”. La première remarque en importance à nous venir à l’esprit concerne cette rapidité du temps historique, la force majestueuse et colossale avec laquelle cette tempête emporte comme fétus de paille les psychologies les plus assurées et oriente les esprits les plus sûrs d’eux-mêmes, bien plus que la mathématique du bonheur du monde nous faisant passer du G2 au “G2 moins un”, juste le temps d’une saison des green shoots fanés.
Le propos n’est pas, ici, de vouer Soros aux gémonies pour ses déclarations. Cet homme représente un courant cosmopolite de la vision du monde qui ne date pas d’hier, qui est d’ailleurs plus une psychologie (nous ne parlerions certainement pas d’une “utopie”, car il s’agit bien d’une psychologie conformant l’esprit) qu’une conception politique. Dans ce cas comme dans d’autres, il est égal à lui-même, et là n’est pas notre sujet. Il est question d’observer aujourd’hui que l’intérêt se trouve plus dans ce que les effets des événements du monde conduisent à donner d’audace et d’avancement à la pensée, que dans le contenu de cette pensée. (Dans ce cas, “audace” et “avancement” n’indiquent nullement la moindre vertu, ou la moindre absence de vertu de la pensée ainsi exprimée; il s’agit de l’observation d’une dynamique à l’œuvre, avec des effets bons ou mauvais selon ce qu’on en juge.)
L’espèce d’enthousiasme de Soros – on le sent bien dans l’interview, avec, cerise saumon sur le gâteau, le FT comme interlocuteur – engendre une sorte d’ivresse qui conduit le raisonnement à se focaliser sur les seuls centres d’intérêt du même esprit. L’“audace” et l’“avancement” de l’esprit n’entraînent nullement l’ouverture, mais plutôt la fermeture de l’esprit sur ses domaines de prédilection. Son propos si audacieux se referme sur les seules valeurs que cet esprit favorise, lesquelles conduisent à une vision financière du monde, ou une vision économique basée sur la manipulation financière.
On comprend la faiblesse du propos. Le monde n’est pas réduit à la vision financière, ou la “vision économique basée sur la manipulation financière”. Le constat de l’affaiblissement dramatique des USA, absolument justifié, n’est pas prolongé au constat que des engagements puissants et pressants des USA restent en place, notamment au niveau stratégique et militaire, et au niveau de l’influence et de la corruption. Cela suppose, sans grande réflexion nécessaire, un ensemble de forces contraires à un schéma qui implique, d’une façon ou l’autre, une abdication volontaire des USA de son statut de super-puissance dominant le monde. Nul compte n’est tenu, non plus, de la spécificité de la psychologie US, de la perception du monde si particulière des USA, de la certitude des USA d’être une nation exceptionnelle à laquelle sont dues la mission et la gloire de conduire les destinées du monde, tous ces facteurs impliquant résistance et troubles aux USA à un schéma (celui de Soros) qui suppose une abdication des USA. Où tout cela se place-t-il dans le raisonnement de Soros, et de ceux dont, manifestement, il se fait le porte-parole à cette occasion?
Il n’est tenu aucun compte, également, des réactions que peut engendrer cette sorte de proposition, qui sera, qui est instantanément considérée comme une proposition d’instituer un “gouvernement mondial”. On retrouverait alors d’autres forces d’opposition, qui se mobiliseraient aussitôt. L’opposition à l’hégémonie des USA, courante dans ces forces, est aussi une opposition à la globalisation, et c’est à un replâtrage de la globalisation qu’invite la proposition de Soros. On voit mal comment les forces adversaires de la globalisation trouveraient tout d’un coup un charme complet à cette formule, simplement parce qu’on change de chapeau.
Enfin, il y a le principal intéressé, la Chine. Ce pays accepte-t-il le schéma ainsi envisagé? Rien n’est moins sûr. La Chine a peu de choses en commun, du point de vue des structures de pensées et des principes conceptuels des relations internationales, avec l’idée de la globalisation; si elle s’est adaptée à l’économie globalisée, ce n’est pas la preuve qu’elle en révère le concept mais plutôt le constat, pas nouveau d’ailleurs, qu’elle sait s’adapter aux choses existantes. De là à l’investir de la mission de mener cette conception dans un processus de transition qui relance et renforce la susdite conception, il y a un très grand pas du raisonnement, et fort risqué. Lorsqu’on observe l’actuelle évolution de la Chine vers une logique régionale qui la rapprocherait du Japon pour former un bloc asiatique – évolution qui est passée étrangement inaperçue tant elle contredit les schémas favoris de nos élites – on est conduit à constater qu’il s’agit d’un mouvement qui ne favorise pas vraiment une sorte de néo-globalisation, qui la contredit au contraire. L’hypothèse selon laquelle la Chine veut prendre la place des USA comme nation “guidant le monde” globalisée” satisfait peut-être les théories mais elle a fort peu de fondement historiques, psychologique et culturels. Comme l’on sait, les raisonnements des utopistes de la finance et des “ordres nouveaux” qui se succèdent depuis vingt ans n’ont que faire ni de l’Histoire, ni de la psychologie ni de la culture.
Fort bien, monsieur Soros pense, et il pense à la mesure du monde. Nul n’en a jamais douté. Il représente un courant de pensée, nul non plus n’en a jamais douté. Mais sa proposition de “remise en ordre” de l’état du monde, quelque force qu’elle ait par la présence qu’on y trouve derrière de milieux de poids dont elle traduit les penchants, n’apportera pas, nous le pensons, un facteur important de remise en ordre. Ce serait plutôt le contraire: un peu plus de désordre encore, si cela était nécessaire… En effet, ces conceptions signifient bien que, pour de plus en plus de milieux internationaux, l’heure des USA, de l’American Century, a passé. Cela n’apaisera pas les choses, cela les compliquera encore plus, en accentuant les antagonismes entre les USA et d’autres puissances, et, surtout, à l’intérieur des USA, entre ceux qui seraient inclinés à faire un compromis avec cette tendance et ceux qui la rejettent radicalement.
Sans aucun doute, le temps de l’hégémonie des USA est passé, et avec quelle vitesse. Mais cela ne signifie pas que l’heure est venue d’un réarrangement en souplesse et dans la concorde générale, mais que l’heure est venue de nouvelles tensions, de nouveaux affrontements. Les USA ne céderont rien d’eux-mêmes et dans l’apaisement – on en revient à la même problématique exposée le 28 octobre 2009; ils céderont, si c’est le cas, sous la contrainte, et cela débouchera sur de grands désordres et de grands changements, y compris et éventuellement, et surtout espérons-le avec la plus grande force, à l’intérieur des USA. George Soros, avec ses idées de remise en ordre du monde, apporte une utile contribution à l’aggravation du désordre. Même les spéculateurs milliardaires, voyez-vous, ne sont pas inutiles.
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