Gabbard vs Google

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Gabbard vs Google

Après un délai (à première vue) inexplicablement long, l’organisation de la campagne de Tulsi Gabbard pour les présidentielles de 2020, Tulsi2020 (ouTulsiNow Inc., nom officiel de l’organisation) a annoncé qu’elle portait plainte contre la société Google. La plainte porte sur une interruption inexpliquée de six heures de l’identification de son site de campagne, donnant notamment accès aux dons de soutien, immédiatement après le débat télévisé du 26 juinentre dix candidats pour les primaires démocrates de 2020 conduisant à l’élection présidentielle. Malgré les orientations défavorables des divers présentateurs et organisations de la presseSystème, Gabbard était arrivée largement en tête dans les classements d’intérêt des auditeurs selon divers sondages de sites alternatifs. Tulsi2020 a transmis prioritairement le communiqué présentant sa plainte au New York Times, ce qui lui vaut un long article du quotidien new-yorkais de ce 25 juillet sur un acte juridique qui est le premier du genre, présenté de cette façon :

« La représentante Tulsi Gabbard, candidate présidentielle hawaïenne de longue date, a déclaré dans une plainte fédérale déposée contre Google que cette société avait porté atteinte à sa liberté d'expression en suspendant brièvement le compte publicitaire de sa campagne après le premier débat des candidats démocrates au primaires en juin.
» L'action en justice, déposée jeudi devant une cour fédérale à Los Angeles, constitue le premier cas judiciaire où un candidat à la présidence poursuit en justice une grande entreprise technologique de l’internet. »

Gabbard demande divers actes de réparations de la part de Google et également $50 millions  de dommages & intérêts pour le manque à valoir estimé de ses donations durant la période des six heures incriminées. Selon l’organisation Tulsi2020, les réactions de Google à ses réclamations durant l’incident ont été « confuses et contradictoires jusqu’au moment de la réactivation de la publicité et du compte, effectué brusquement et sans donner la moindre explication.. [...] À ce jour, Google n'a toujours pas fourni de réponse claire, – et encore moins crédible, – quant à la raison pour laquelle le discours politique de Tulsi a été réduit au silence au moment même où des millions de personnes voulaient l'entendre ».

Outre son action en justice, Gabbard s’est donc engagée d’une façon très marquée et solennelle dans un courant qui tend à devenir de plus en plus populaire dans le monde politique US, aussi bien chez les républicains que (désormais) chez les démocrates, et notamment chez une autre candidate, Elisabeth Warren, qui dénonce publiquement les pouvoirs monopolistiques et les tendances marquées à la censure des GAFA ; d’où la déclaration personnelle de Tulsi Gabbard à ce propos : « Les actions discriminatoires de Google à l'encontre de ma campagne reflètent à quel point sa domination totale dans le domaine de la recherche et de l’identification sur Internet est dangereuse, et à quel point la domination croissante des grandes entreprises technologiques sur notre discours public menace nos valeurs américaines fondamentales. C'est une menace pour la liberté d'expression, des élections justes et notre démocratie, et j'ai l'intention de me défendre au nom de tous les Américains. »

L’article du NYT à propos de cette affaire, – qui est présentée par certains autres médias, dont RT.com, – est intéressant dans la mesure où il présente une dose considérable d’appréciations divergentes, accordant de l’importance à l’action et à la candidature de Gabbard, tout en émettant des doutes très marquées sur certaines de ses positions, et également sur sa position officielle dans la course à la présidence. On sent le journal un peu hésitant devant l’événement (la candidature Gabbard en général et son action en justice) qu’il considère pourtant comme historique, et l’hostilité considérable que cette candidature soulève dans l’establishment

« L'intérêt pour Mme Gabbard, qui a servi quatre mandats à la Chambre et qui est un vétéran de la Garde nationale de l'armée, a augmenté après le débat. Elle est entrée dans la course à la présidence comme relativement inconnue et elle continue à recueillir moins de 1% d’intentions de vote, selon les moyennes des sondages du New York Times.
» Mais son appel a franchi les frontières traditionnelles des partis. Elle a obtenu des soutiens de la droite et de la gauche en raison d'un message anti-guerre ferme. Elle a également reçu une couverture favorable de médias conservateurs influents comme Drudge Report, Fox News et Breitbart.
» La campagne de Mme Gabbard est historique, même dans une course où il y a potentiellement la possibilité de beaucoup d’événements sans précédents... »

La présentation de la candidature Gabbard est aujourd’hui célèbre, par exemple dans les termes originaux et partisans où l’a définie TheDailyBeast.com ; ce site néoconservateur extrêmement influent s’emploie par conséquent à discréditer cette candidate très nettement située à gauche, notamment sur les questions sociales, mais développant un discours antiguerre totalement inédit et jugé comme un anathème par les dirigeants démocrates influencés par les neocons : « Pourquoi les médias conservateurs et l’extrême-droite adorent la perspective de Tulsi Gabbard-Présidente... Cette énigmatique députée de la Chambre s’est attirée des soutiens conséquents de divers courants de droite, – de la star de Fox News Tucker Carlson au suprémaciste blanc David Duke... »

Comble de la notoriété paradoxale et étrange signe des temps d’une “étrange époque” : un compte #NeverGabbard a été créé, à l’imitation du compte fameux de 2016 #NeverTrump. On y trouve une  collection extraordinaire  d’accusations contre Gabbard, ou bien entendu domine le constat évident qu’il s’agit d’une manipulation de la Russie et que Gabbard est une marionnette de plus de Poutine.Voilà donc une aubaine pour l’ex-Procureur Spécial Mueller, actuellement sans emploi, qui pourrait espérer reprendre du service et nous régaler d’un travail aussi brillant que dans le cas de Trump...

Quoi qu’il en soit et pour l’instant, le constat que fait Gabbard est qu’il y a effectivement intervention illégale dans la campagne présidentielle, et qu’elle n'est pas, à ce point, le fait du tandem Poutine-Russie mais le fait d’un des plus glorieux fleurons des GAFA : « Google s'immisce déjà dans l'élection présidentielle américaine de 2020... [...] Google pourrait unilatéralement et de manière décisive mettre fin à la candidature d'un candidat à la présidence s'il le souhaitait. »

Il s’agit donc d’une affaire complètement inédite qui rend effectivement la candidature Gabbard encore plus “étrange” sinon « énigmatique », et extraordinaire dans le sens de “fort peu ordinaire”. Rien que ceci n’est pas rien : le NYT en arrive à vous dire qu’une candidate qui fait moins de 1% dans ses propres sondages pour la désignation aux primaires démocrates est en train de mener une campagne dont il (le NYT) estime qu’on peut d’ores et déjà la décrire comme « historique ». Et il apparaît qu’il y a également chez Gabbard une stratégie et une tactique pour l’appliquer, pour percer cet équivalent US du “plafond de verre” en France pour les candidats dont le Système ne veut pas, – mais dans le cas US, nous parlerions plutôt d’un “plafond de plomb”.

“Une stratégie et une tactique pour l’appliquer” ? Il nous paraît à la fois évident et logique de spéculer que Gabbard a beaucoup réfléchi (un mois) avant de lancer son action en justice contre Google pour viser, nous semble-t-il, deux buts principaux, – plutôt que les $50 millions pour son trésor de guerre, bons à prendre éventuellement mais pas l’essentiel :

le premier but est d’imposer une dynamique d’augmentation de sa notoriété au système de la communication, notamment à la presseSystème qui a pratiqué jusqu’ici un blackout considérable à son encontre, parce qu’elle entreprend une action contre Google qui peut faire l’équivalent US d’une jurisprudence et ne peut être passée sous silence ; 
parce qu’ainsi, et c’est le second but, elle pourrait s’imposer en force et en position de force parmi les meneurs de la lutte de plus en plus populaire (y compris chez certains dans la presseSystème) contre les monopoles tyranniques et la censure des GAFA.

Dans ce nouveau front ouvert par Gabbard, la “candidate énigmatique” continue à jouer les extrêmes et les trouble-fête selon le calcul évident qu’elle n’a rien à perdre dans cette forme de tactique, parce qu’elle doit suivre une stratégie hors-Système pour tenter d’imposer sa présence au Système, – et éventuellement jouer bien entendu la candidate antiSystème c’est selon, pour refaire un “coup à la Trump” en 2020. (Contre Trump en 2020 si l’on va jusqu’au bout ? L’Histoire a le sens de l’ironie des catastrophes de Fin des Temps.)

Bien entendu, elle emploie d’autres armes que Trump, et notamment une cohérence de discours et un programme très structuré autour de sa personnalité qui n’est vraiment pas celle de Trump (femme, membre d’une minorité ethnique, vétéran d’Irak et officier de la Garde Nationale, etc.). Son discours et son programme ont peut-être la vertu paradoxale de n’avoir a priori aucune chance de passer. En juin 2015, Trump n’avait a priori aucune chance de passer : lui-même n’y croyait pas une seconde et même, semble-t-il, selon Michael Moore, il ne le souhaitait absolument pas. Le fait de “n’avoir pas une chance de passer” semblerait parfois devenir aujourd’hui comme un signe du destin à “D.C.-la-folle”.

Qu’elle veuille ou non, qu’elle le sache ou pas, Gabbard est une “candidate du désordre” dans un Washington D.C. devenue “D.C.-la-folle”. Par conséquent, elle ne doit rien offrir d’important dans son programme, – essentiellement, une politique extérieure antiguerre, – qui corresponde à l’ordre qu’on a coutume de croire installé à jamais à Washington, et cet ordre qui est l’ordre du Système, de plus en plus secoué chaque jour... Jusqu’ici, après tout, son parcours n’est pas si mauvais.

 

Mis en ligne le 26 juillet 2019 à 15H25