GAFAM : les limites de l’exercice

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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GAFAM : les limites de l’exercice

12 janvier 2021 – Antique apophtegme plein de sagesse, retrouvé dans un fond de tiroir : “N’est pas dictateur qui veut”. Je dis cela à propos des GAFAM et de leur offensive lancée jeudi dernier pour prendre, visage découvert et masque tombé, possession de leur domaine : l’empire numérique du monde de l’automatisme et des idées primaires-autorisées, signé The Start-Up Masters of the Universe.

J’ai écrit, je confirme et creuse profond cette remarque à propos d’une splendide « faute stratégique majeure, cette [...] idée-idéologisée sortie de cerveaux gavés de $milliards et d’une médiocrité à mesure, sans compréhension de la nature humaine, de sa psychologie ». Les petits-marquis milliardaires vont la sentir passer, cette marée terrible qui va emporter le mythe de la “dictature” des GAFAM pour le contrôle des esprits, des gens tout ce qui va avec.

Il y a eu hier, sur LCI (on a ses sources) une belle sortie du type-“chevalier blanc” de Philippe Val. On s’en souvient, Val était directeur de Charlie-Hebdo avec l’esprit qu’il faut, pour glorieusement passer à la direction de France-Inter en 2009, officialisant la connexion entre la gauche extrême-libertaire-radicale, et ci-devant ancêtre du wokenisme, avec les piliers institutionnalisés du Système. D’ailleurs, le cheminement de la manouvre, décrite par son Wiki, met en évidence cette douce et tendre complicité : « ...nomination décrite comme étant due à l’intervention de Carla Bruni-Sarkozy auprès de son époux ».

Cette “connexion entre la gauche extrême-libertaire-radicale, et ancêtre du wokenisme, avec les piliers institutionnalisés du Système” est toute entière présente dans son intervention d’hier. Parlant de la mesure de censure contre Trump prise avec fracas par Twitter (le reste du troupeau-GAFAM suivant), Val assure que c’est une remarquable « prise de responsabilité de Jack Dorsey », parce que l’homme de Twitter assume ainsi publiquement sa prétention à être un censeur, et par conséquent un éditeur responsable de ses actes d’engagement, et non plus dans l’état doucereux et cotonneux de simple intermédiaire commercial sans responsabilité que Twitter & les autres occupent présentement. Disant cela, Val semblait à la fois triomphant et ému : il venait tout simplement de réconcilier deux choses qui lui sont si chères, – la posture de censeur de la liberté d’expression et la glorification citoyenne et républicaine de cette vertu de la liberté d’expression.

Beau geste, d’accord, mais qui annonce de bien grandes difficultés. Effectivement, cette quête au “beurre et à l’argent du beurre” (censure assumée et liberté d’expression proclamée en même temps) trouve très vite ses limites. Si Dorsey peut continuer à censurer, il est également conduit à admettre que sa position de monopole est insupportable au regard de la liberté d’expression, et cette inéluctable conclusion est en train de se vérifier par la réaction des réflexes de l’hyperlibéralisme théorique. Partout apparaissent les signes d’une réaction qui pourrait devenir si sérieuse qu’elle menacerait rapidement la position des GAFFAM... En vrac, on note :

• Twitter a perdu hier 6% en bourse. Ce n’est rien qu’un signe d’un jour et cela peut se rattraper, sauf que l’on a là la tendance du ‘marché’ bien-aimé : même si la réalité montre un viol constant de cette règle, le viol à visage découvert (« prise de responsabilité de Jack Dorsey ») du principe de la dénonciation du monopole montre par conséquent le viol à visage découvert du libre usage des investissements ; cela conduira à généraliser cette tendance du ‘signe d’un  jour’.

• Les GAFAM se sont dits que le temps était venu (“visage découvert”) de se faire Parler.com, adversaire idéologique défiant et assumé de Facebook. Ils vont un peu vite en besogne. Cela a marché dimanche à minuit, mais déjà, quelques heures après le bouclage d’Amazon, Parler travaille sur un accord avec un autre serveur, Epik, qui se spécialise dans le service des concurrents idéologiques des GAFAM.

• Effectivement, Epik travaille par ailleurs avec Gab, concurrent de Twitter croulant depuis jeudi dernier sous les inscriptions au rythme de 10 000/heure. Apparaît aussi dans la lumière Minds.com, et il y en aura d’autre. Aux questions idéologique s’ajoutent évidemment les opportunités (encore elles) du marché, du Système, de la concurrence retrouvée comme vertu idéologique contre des monopoles qui se dissimulaient et qui se proclament déformais ‘dictateurs monopolistiques’ : un énorme pas de clerc, vraiment, cette « faute stratégique majeure » de se découvrir tel que l’on est.

• Enfin, d’une façon générale, les GAFAM étant ainsi à visage découvert et s’étant imprudemment séparés en partie de leur bouclier de défenseur des ‘valeurs’ en proclamant la dictature, ils trouvent sur leur chemin de plus en plus de résistance de la part des dirigeants politiques qui les encensaient il y a peu. De leur part, à ceux-là, ce n’est pas du courage mais de l’opportunisme politique ; qu’importe, en voilà assez pour montrer que la dictature-GAFAM sans bouclier des ‘valeurs’ entre dans la catégorie de l’’opportunisme politique’ à saisir pour divers ténors du Système. En cette matière il faut réaffirmer toute l’estime qu’on doit porter au Mexicain AMLO, qui a montré la voie aux veaux dirigeants du bloc-BAO.

Je crois que la partie ne fait que commencer et que les GAFAM vont la sentir passer, sévère et méchante. Ces crétins du capitalisme postmoderne et de la religion du Start-Up Ducon, n’ont pas compris qu’on ne peut être à la fois vertueux et abuser de la vertu sinon en s’en dissimulant, comme un bon vieux capitaliste bourgeois de la fin-XIXème, promenant discrètement ses fantasmes dans les bordels chics de la Belle Époque. Ils sont complètement indécrottables (je parle des GAFAM, pas du vieux bourgeois fin-XIXème) et, en plus ou en moins, sans expérience sérieuse car ce n’est pas du tout acquérir de l’expérience que d’empiler des $milliards.

Elles sonnent de tous les côtés, les analyses et prédictions apocalyptiques et pandémiques de notre entrée dans l’univers carcéral de la dictature numérique cosmique saupoudrée de dictature sanitaire. Moi, je crois exactement, parfaitement le contraire. Les GAFAM, pour leur domaine mais avec un formidable effet d’entraînement sur la “nef des fous” des démocrates du Congrès et des wokenistes, ont mis en marche une terrifiante machine infernale, du type “le roi est nu” en mode nucléaire. L’épouvantail va s’avérer épouvantable, simulacre trop hâtivement recousu, le dictateur-bidon pointant son visage imberbe sous l’humaniste transhumaniste de la communication globale. Foutaise qu’un peu de sable efface, dans le formidable désordre des contradictions idéologiques de la Grande Crise.

Franchement, jouer sur la contradiction mortelle des GAFAM, cela vaut mieux que mettre tous ses atouts (‘trump’ en, anglais) dans le sac d’un Trump, comme des œufs dans le même panier. Sans vouloir tirer sur l’ambulance et en gardant l’option de le voir riposter et attaquer ses adversaires du Système, Trump garde ses énormes et incroyables aveuglements politiques qui l’ont emprisonné pendant quatre ans face au Système-DeepState. Comment ce type laisse-il aller, comme une de ses dernières décisions politiques, le classement de Cuba comme pays-terroristes ? Comment n’a-t-il pas l’intuition du coup terrible qu’il peut faire en graciant Assange, qui a déjà défait en partie le système britannique ? Une telle orientation chez lui impliquerait un contrepied de génie et foutrait une incroyable zizanie chez ses adversaires, et lui agissant comme cela, se conduisant en véritable populiste. (Il y aurait des grincements de dents chez certains de ses partisans, mais dans les conditions actuelles nul ne peut faire la fine bouche et ils suivraient tout de même.)

Il faut bien apprécier les limites des choses et des gens. Trump presque-héroïque dans ces temps d’infamie (on trouve toujours plus infâme que soi) reste Trump-bouffe : original et tonitruant, mais vulgaire et le cerveau terriblement épais. Quoi qu’il en soit, – peut encore servir Trump, notamment comme excitateur de troubles et polarisateur de la haine des hyper-crétins d’en face, campant sur les berges du Système (c’est l’option dite ‘du chiffon rouge agité devant le taureau’) ;  mais point n’en faut de plus. Trump a déjà bien joué son rôle mais il nous a appris qu’il ne faut pas trop lui en demander. En attendant, sa carrure d’objet de haine va peut-être, sans doute, certainement, nous offrir involontairement le scalp des GAFAM-dictateurs et le naufrage de la dictature numérique comme épouvantail number one des sentinelles hystériques. Tout cela, l’univers numérique et le labyrinthe des communications, restera comme un facteur d’un poids fondamental pour alimenter le désordre du monde, et non pas une option du rangement terminal de la dictature du monde par les crétins.

Tant il est vrai que ce qui nous attend est d’une autre pointure, du type de la perdition de la foi des croyants globalisée dans la modernité autant qu’en l’Amérique.