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97830 avril 2008 — Ce fut une obscure bataille. (Il n’est certainement pas sûr qu’elle soit terminée et l’on peut même être assuré du contraire.) Elle se situe dans le courant d’une autre bataille qui est, elle, extraordinaire par son apparence de grande futilité, par son explosibilité jacente, par son contenu dramatique. Elle concerne un système et des candidats dont on se demande s’ils mesurent, les uns et les autres, la force et la signification de l’enjeu qui les divise, – dont on est vite convaincus qu’ils ne les mesurent pas mais qu'ils se laissent parfois tenter.
Michael Tomasky, dans le Guardian d’hier, nous dit que, cette fois, Obama s’est tiré du guêpier que représentaient ses liens avec le révérend Jeremiah Wright, après la sortie du même Wright dans sa conférence de presse du 28 avril au National Press Club de Washington D.C.
«Well, he couldn't have been much clearer than that. Barack Obama has thrown his old pastor to the dogs. In a dramatic press conference this afternoon in North Carolina, Obama said he found Jeremiah Wright's comments yesterday at the National Press Club “appaling” and “ridiculous” and gave a “performance” with a “complete disregard for what the American people were going through.” It was “antithetical” to his campaign and to everything he has stood for as an adult, trying to unite people around common values and aspirations.
»Last time around, in his earlier speech in Philadelphia, Obama couldn't quite bring himself to renounce Wright. Today, Obama said that he was shocked that Wright would use yesterday's forum to accuse him of political posturing, and said very clearly that his friendship with Wright is over. “Obviously, whatever relationship I had with Rev Wright has changed as a consequence of this,” he said.
»So. Is it enough? In the short term, Obama's decision to discuss Wright one more time means that the story will stay alive for another day or two. So that might seem a negative. But the story showed every sign of staying alive anyway. In fact it showed every sign of finishing him off. So having addressed Wright probably does give Obama the chance to stop the bleeding and shift the story in a day or two and move back to talking about the economy.»
D’autre part, il n’est pas sûr que la présentation, outrageusement partisane et “politically correct”, et pourtant la plus souvent citée, de Dana Milband dans le Washington Post le 28 avril, soit précisément loyale pour le révérend qui ne mâche pas ses mots. Celle du Chicago Tribune, du 28 avril, est présentée comme plus précise et moins déformée par le souci de la bienséance américaniste. Le commentaire quelque peu furieux de l’exploitation faite de cette affaire du site Buzzflash.com, du 29 avril, nous paraît approprié.
Le révérend Wright, qui fut un confident et un ami d’Obama (l’emploi du passé est de circonstance puisqu’Obama nous dit que les choses ont changé), vitupère l’Amérique au nom d’arguments parfois extrêmes mais nullement infondés. La chose a choqué, dans une démocratie exemplaire où l’on a le cuir sensible et un coeur de midinette. (Question de Stephanopoulos, d’ABC.News, à Obama, le 25 avril: «Do you think Reverend Wright loves America as much as you do?» ; il en effet question d’amour; l’amour est aveugle et autorise ces débordements affectifs.)
Parmi les arguments du révérend Wright, retenons celui-ci, qui n’est pas si bête: «Reminded that some critics have said his sermons are “unpatriotic,” Wright told the audience that he is a former service member. He served six years in the Marine Corps and Navy. “Does that make me patriotic?” he asked. “How many years did Cheney serve?”»
Sur Obama, enfin, Wright a dit ceci, qui n’est pas si bête non plus:
«Asked to explain his recent comment about why Sen. Barack Obama has been distancing himself from Wright's remarks, Wright said Obama was acting as a politician. “If Sen. Obama did not say what he said,” said Wright, “he would not get elected.”
»Politicians think about electability, said Wright, while pastors answer to a higher authority. “They have a different person to whom they are” accountable,” Wright said. “I do what pastors do,” he said, while Obama does what politicians do.»
C’est une remarque désormais banale que d’observer que les candidats à l’élection présidentielle US n’ont pas des positions révolutionnaires, qu’ils n’ont pas entre eux de différences fondamentales. En fait, ils se gardent bien d’avoir des différences fondamentales entre eux et, stricto sensu, à part l’une ou l’autre remarque dont on admettra qu’elle ne mange pas de pain sur l’“oblitération” évidemment nucléaire de tel ou tel pays, rien ne les distingue. Quelles que soient leurs pensées secrètes, s’ils en ont, ils doivent répondre aux impératifs du conformisme du système. («“If Sen. Obama did not say what he said,” said Wright, “he would not get elected.”»)
Pour autant, on a déjà observé que, dans l’étrange trio actuel de la course à la présidence, Obama paraît être celui qui se laisse le plus tenter par d’éventuels chemins de traverse. (On a déjà beaucoup parlé de la terrible affaire du Bittergate.) On juge Obama un peu trop détaché, un peu trop “facile” dans son attitude, et l’on se dit, et on le craint, qu’il pourrait se laisser aller à dire, par inadvertance, quelque chose comme “le roi est nu”. D’où le soulagement pour Michael Tomasky, après la réaction encolérée d’Obama suivant la “sortie” du 28 du révérend: ainsi donc Obama est humain... (dito, il est conforme)
«Another plus: it showed Obama angry, and punching back. He's such a cool and even-tempered figure that one had a hard time imagining him getting worked up over anything (he's the anti-McCain, emotionally). In political terms, this attribute isn't a positive; getting angry over important things is not a negative for someone hoping to be president. So it surely helped Obama for people to see him get mad.»
Est-ce une nouvelle tempête dans un verre d’eau? Soit, mais l’eau est saumâtre. Comme Buzzflash l’écrit justement à propos de l’histoire de la paille et la poutre: «The re-emergence of Rev. Wright as a national news story when we have Bush and Cheney preparing to possibly bomb Iran and Senator Clinton threatening to “obliterate” the same nation, not to mention a three trillion dollar debt, the destruction of our environment, the loss of jobs to overseas slave-labor nations, and the nearing of a tipping point in our dependency on oil – well all this re-emphasizes that Clinton may be right: we are still stuck in the gutter of our baser instincts and anyone who wants to appeal to our better selves is in for a rude awakening.»
Buzzflash pense que le traitement réservé à Obama relève du racisme. Certaines choses, sans doute, et l’attitude du public en est évidemment un facteur essentiel, y font penser; mais fondamentalement non, nous semble-t-il. Le racisme est encore une voie de détournement. Ce qui effraie chez Obama, c’est l’inconnu d’un politicien dont l’allégeance au conformisme du système n’est pas garanti pur sucre à 120%. Il nous semble qu’Obama doit être le premier surpris et scandalisé d’un tel procès d’intention, car lui se considère comme “garanti à 150%”, et il “loves America” ça c’est sûr. En d’autres mots, l’“inconnu Obama” n’en est certainement pas un au point où l’on croit. D’ailleurs, qui croit quoi, et à quel propos, à Washington et dans les capitales occidentales? Qui perd son temps à croire?
A part les habituelles espérances ambitieuses et politiciennes, les ragots, les vertus affichées et constamment relookées au goût du jour, les déclarations d’amour (“Do you love America”, Nom de Dieu?), à part tout cela c’est la peur inexplicable qui domine. Bien sûr, nous ne voulons pas dire “la peur d’Obama”; Obama est là, il est à moitié Africain Américain, il fait temporairement l’affaire pour expliquer cette peur à certains mais rien d’autre. Au reste, Obama lui-même, lui aussi, fait partie de ce sentiment de peur éprouvé; par conséquent, sans doute l’éprouve-t-il à son tour, par instant. D’ailleurs et pour parler plus largement, nous avons tous peur devant cette gigantesque agitation souterraine et inconnu que nous percevons indiciblement.
Mais la peur dont nous parlons précisément est bien celle de l’esprit absolument cadenassé par le conformisme du système. Ces candidats se déchirent avec une énergie extraordinaire, une hargne à ne pas croire, sur des sujets de 36ème zone alors que America the Beautiful se désagrège sous leurs pieds; mais de cela, du dernier point, il est interdit de rien dire de fondamental, et d’ailleurs il n’est pas sûr que quiconque parmi eux pourrait en dire quoi que ce soit de fondamental.
Cette campagne, à la fois inconsistante et extraordinaire de tension, arrangée par avance et absolument incertaine comme l’on plonge dans le trou noir de l’inconnu, est une image parfaite de la crise qui accélère; crise des USA, crise de notre civilisation et tout le reste, avec l’impuissance épouvantable à supporter d’une pensée enchaînée au conformisme et qui écarte l’inéluctable appréciation eschatologique de cette crise. Il est assuré que tout le monde est sur le pont où gronde la tempête, mais pas pour lutter contre la tempête; tout le monde est sur le pont pour s’assurer que personne ne dit rien d’important à propos de la tempête, et qu’à tout moment, dans le vent de la tempête déchaînée, une parole importante ne puisse échapper à l’un ou l’autre. La campagne est engagée dans une entreprise titanesque de déni de la réalité et, à chaque instant, menace de basculer dans les griffes de la réalité. Dans cette entreprise, Obama, qui est le plus jeune de la bande, semble assez inexpérimenté pour faire craindre plus que les autres un trébuchement intempestif.
Tous ces candidats sont évidemment “maistriens”. Cela ne signifie certainement pas, contrairement à ce qu’interprète faussement tel ou tel lecteur, qu’ils soient grands, historiques ou remarquables. (Pour l’instant, réservons notre jugement.) Cela veut dire qu’ils sont ballotés, secoués, emportés, incapables de saisir la substance des choses, effrayés à l’idée de le faire par inadvertance, à la fois résignés et furieux, et montrant par contraste la puissance du courant historique qui nous secoue. Ces personnages sont impuissants à repousser la tentation de la calomnie et impuissants à s’empêcher, à tel ou tel moment, de clamer une vérité par inadvertance. Ils sont les jouets de l’ébranlement du monde, chargés de décrire cet ébranlement comme étant le signe évident d’une démocratie en bonne santé as usual, de répéter, chacun, that he loves America, que le système est near perfect, – pourtant assez faibles pour parfois laisser voir qu’ils craignent le pire. C’est bien la quadrature du siècle, – de notre siècle: leur faiblesse est la condition impérative de leur présence là où ils sont («If Sen. Obama did not say what he said, he would not get elected») et leur faiblesse fait craindre ce “trébuchement intempestif” d’une parole révélant la vérité de la réalité du monde.
Euh… Finalement, le plus sérieux dans cette affaire ne serait-il pas le révérend Wright?
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