Gates et le nucléaire au Moyen-Orient, et les rires des amis arabes

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Après l’effet tonitruant, aux USA et dans les diverses régions et diplomaties intéressées par la crise iranienne, de la publication de la NIE 2007 sur le nucléaire iranien, le secrétaire à la défense US Robert Gates a fait une rapide visite au Moyen-Orient pour une mission de “damage control” paradoxale. Le paradoxe est dans ce que, d’une part Gates a favorisé la publication de la NIE, faite notamment pour désamorcer la possibilité d’une attaque de l’Iran à laquelle il s’oppose; et que, d’autre part, il a du ensuite mettre en évidence “la menace iranienne” pour éviter une démobilisation des alliés arabes des USA, ou/et une perte de crédit de la puissance US après la NIE.

Gates a participé à une conférence à Manhama, au Bahrain, le 11 décembre. Il y a pris la parole pour remplir son contrat, et insister à nouveau sur le danger de la menace iranienne, avec en arrière-plan l’éclairage paradoxal de la NIE 2007. L’intérêt de son intervention est dans la façon dont elle a été accueillie, mise ici en évidence par le commentateur George S. Hishmeh, dans un article d’opinion pour Gulf News, publié le 13 décembre. On y entend le rire sonore de divers ministres de pays arabes du Golfe après que Gates, coincé par une question, ait assuré que les capacités nucléaires d’Israël ne constituent pas “une menace pour la région”.

«Gates chose to stress the danger of Iran's nuclear programme and in the same breath appealed to his Arab audience to force Iran to abandon its uranium enrichment plans, which the Tehran government has repeatedly argued was a peaceful programme. His remarks came a few days after the release of a declassified consensus view of 16 US intelligence agencies that maintained Tehran had halted atomic weapons development in 2003 and had not resumed it since. This surprise revelation was seen as a slap in the face of President George W. Bush, who only recently was talking about a third world war should Iran proceed with its alleged secret plans. In fact, an earlier intelligence report had erroneously insisted that Iran had restarted its programme in 2005, a point still being made by Israeli intelligence.

»Soon after Gates's speech, the defence secretary was challenged by Bahraini Minister of Labour Majid Al Alawi, who wanted to know whether Gates thought “the Zionist (Israeli) nuclear weapon is a threat to the region”.

»The defence secretary paused, and answered tersely: “No. I don't.”

»The statement was greeted by laughter from a room filled with senior Arab government officials.

»Another Arab official, Abdul Rahman Al Attiyah, the secretary-general of the Council, responded: “Not considering Israel a threat to security in the region is considered a biased policy that is based on a double standard.”

»Also, Qatari Prime Minister Shaikh Hamad Bin Jassem Al Thani took to task Gates's disparaging comparison of Iran and Israel. “We can't really compare Iran with Israel. Iran is our neighbour, and we shouldn't really look at it as an enemy,” he said, continuing “I think Israel through 50 years has taken land, kicking out the Palestinians, and interferes under the excuse of security, blaming the other party”.»

Hishmeh rappelle également combien Gates, en général comme tous les officiels US, marche sur des œufs lorsqu’il est obligé d’évoquer la question de l’armement nucléaire d’Israël (y compris durant cette conférence, dans la façon dont il répondit): «A year ago, Gates had reportedly angered Israelis during testimony before the US Congress by including Israel in a list of nuclear-armed countries in the region around Iran to explain why Tehran might have sought the means to build an atomic bomb. The defence secretary has not publicly discussed the subject since, and when responding to the questions from the Bahrain audience, according to Reuters, he carefully referred to its “nuclear programme”, thus allowing himself room to dismiss any suggestion that he implicitly confirmed the existence of nuclear weapons in Israel.»

Cette situation anecdotique décrit assez bien la tromperie fondamentale sur laquelle est construite la crise iranienne, avec la situation d’Israël comme puissance nucléaire majeure au Moyen-Orient. Cette situation d’Israël doit être jugée, du point de vue de la stabilité des relations internationales, comme menaçante et même illégale dans l’esprit de la chose (elle ne l’est pas dans la lettre puisque Israël n’est pas signataire du traité de non-prolifération), – si l'on se place du point de vue selon lequel la prolifération du nucléaire est un danger. Au-delà des péripéties, le caractère général de la crise iranienne apparaît ainsi évident, chaque fois que cette crise est considérée dans son cadre réel. Le procès fait à l’Iran concerne un programme nucléaire militaire arrêté en 2003, au nom d’une part d’une menace nucléaire iranienne hypothétique pour après 2015, d’autre part d’une signature iranienne du traité de non-prolifération, alors que le pays qui dénonce hystériquement le “danger nucléaire iranien” possède d'ores et déjà un arsenal évalué à 200 têtes nucléaires. Ce procès relève d’une situation où le grotesque le dispute à l’hypocrisie, et il constitue, de la part des diplomaties européennes occidentales qui y sont partie prenante, une insulte à l’intelligence. (On met les USA à part, à cause des spécificités de leur politique étrangère qui rend leur problème encore plus grave.)

Le seul argument acceptable dans le procès fait à l’Iran serait finalement l’argument de l’irrationalité des dirigeants iraniens. Après d’autres, la NIE 2007 nous a également appris que le renseignement US considère ces dirigeants iraniens comme rationnels. La question de l’irrationalité de ceux qui dénoncent hystériquement l’Iran devient à cette lumière complètement légitime.


Mis en ligne le 20 décembre 2007 à 10H18