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7 décembre 2006 — Les déclarations de Robert Gates devant la commission sénatoriale des forces armées pourraient donner l’espoir à certains que les Américains pourraient envisager de suivre la voie d’écarter l’option d’une attaque contre l’Iran. Lors de son audition de confirmation par la Commission des forces armées, Gates a parlé de cette façon de la possibilité d’une attaque contre l’Iran (selon le New York Times) :
Robert Gates «...expressed grave reservations about taking military action against Iran, an idea that the Bush administration has not ruled out as it seeks to halt Tehran’s nuclear program.
»“I think that military action against Iran would be an absolute last resort,” Mr. Gates said. “I think that we have seen in Iraq that once war is unleashed, it becomes unpredictable. And I think that the consequences of a conflict — a military conflict with Iran could be quite dramatic. And therefore, I would counsel against military action, except as a last resort,” he added.
»Mr. Gates said that he opposed an attack on Syria, which the Bush administration has criticized, along with Iran, for contributing to the instability in Iraq.»
Ces déclarations ont été accueillies par certains commentateurs comme le signe que les nouvelles forces qui investissent l’administration vont pouvoir apporter une certaine réserve, voire un recul décisif dans les projets éventuels d’attaque contre l’Iran. Pourtant, ce sentiment n’est pas nécessairement unanime.
Au contraire, d’autres sources et d’autres milieux nous viennent des indications différentes, selon lesquelles les projets d’attaque contre l’Iran restent complètement d’actualité. Il s’agit de milieux européens, qui sont en contacts réguliers et précis avec les milieux américanistes et peuvent ainsi témoigner du sentiment général qui y prédomine.
Nous allons citer ces milieux européens, en y ajoutant la référence de Daniel Ellsberg.
• Lors d’un symposium à Bruxelles, le 5 décembre, il y a eu plusieurs interventions d’orateurs américains. L’un était nettement de tendance néo-conservatrice (American Enterprise Institute), l’autre était de tendance conservatrice classique (Carnegie). L’un et l’autre ont laissé entendre que cette option de l’attaque contre l’Iran restait sans aucun doute, selon l’expression consacrée, “sur la table”. L’intervenant néo-conservateur a précisé : «Vous n’imaginez tout de même pas que le président Bush va rester à son bureau jusqu’au début 2009 sans activer l’option d’éliminer la possibilité que l’Iran s’équipe de l’arme nucléaire?» L’argument était évidemment que seuls les États démocratiques (dont l’Iran n’est pas, selon l’intervenant) peuvent avoir ce type d’armes. Confronté à une question sur le fait que le seul État à avoir utilisé l’arme nucléaire dans l’Histoire est justement présenté comme une démocratie exemplaire, l’orateur a répondu sans autre explication : «Mais si c’était à refaire, il faudrait le refaire, sans la moindre hésitation !»
• Au même symposium, des intervenants européens, notamment allemands, ont catégoriquement rejeté toute idée d’usage de la force contre l’Iran. Cette option d'une attaque contre l'Iran semble de plus en plus impensable pour les pays européens.
• Une autre source, d’origine européenne également, signale qu’une récente tournée de fonctionnaires européens à Washington a rencontré la même détermination concernant la possibilité d’une attaque contre l’Iran, dans divers milieux de spécialistes de la capitale. Cette détermination est fortement appuyée par les pressions israéliennes dans le même sens.
• Daniel Ellsberg, fameux pour la diffusion publique des “dossiers du Pentagone” en 1971, recevait avant-hier à Stockholm le Right Livelihood Award, surnommé le “Nobel alternatif”. Ellsberg a déclaré à l’Associated Press : «It is more likely than not, in the next two years, that President Bush and Vice President Cheney will direct an attack on Iran. Such an attack [...] might escalate too, to the use of nuclear weapons against underground installations in Iran, with incalculable consequences. [...] Of the various disastrous policies of their administration, this one is the most susceptible to being changed and averted by public pressure.» Ellsberg a beaucoup insisté, comme il le fait souvent, pour que des fonctionnaires ayant accès à des documents classifiés sur l’attaque contre l’Iran rendent publics ces documents («Don't do what I did, don't wait until the war has started before you tell the truth with documents.») Il a également recommandé aux pays européens de se retirer de l’OTAN si les USA ou Israël utilisaient du nucléaire contre l’Iran: «They should say right now that there will be no NATO if it's a NATO member that commits a nuclear aggression against Iran. Saying that before the event has a real chance of avoiding that disaster.»
L’atmosphère n’a jamais été aussi étrange, presque surréaliste, comme si les échanges se faisaient entre gens d’une planète différente. Nous parlons de l’atmosphère à Washington et de l’atmosphère autour de Washington, dans les pays alliés qui observent l’évolution des sentiments, des intentions supposées, des possibilités implicites, etc., de cette attaque contre l’Iran.
En même temps, la commission Baker, l’Iraq Study Group (ISG), remet son rapport qui est un document prônant l’apaisement à tout prix, la recherche d’un repli de la politique agressive des USA, essentiellement d’Irak bien sûr : «A bipartisan commission warned on Wednesday that “the situation in Iraq is grave and deteriorating,” and handed President Bush both a rebuke of his current strategy and a detailed blueprint for a fundamentally different approach, including the pullback of all American combat brigades over the next 15 months.
»In unusually sweeping and blunt language, the panel of 10 Republicans and Democrats issued 79 specific recommendations, including a call for direct negotiations with Syria and Iran and a clear declaration that the United States would reduce its support to Iraq unless that weak and divided government makes “substantial progress” on reconciliation and security in coming months.»
Quelle est la réalité washingtonienne? Passé l’effet massif, avec un soutien médiatique massif, de la publication du rapport de l’ISG, qu’en restera-t-il demain? Tout le rapport détaille une stratégie qui implique nécessairement une certaine “collaboration” de pays tels que la Syrie et l’Iran, outre celle, éventuellement étonnante, des insurgés et autres résistants.
Pendant ce temps roulent toujours les bruits d’une attaque contre l’Iran. On se trouve devant un cas typique de la situation washingtonienne où des options diamétralement opposées dans la forme, supposant des moyens complètement différents (dont certains ne sont pas disponibles) et des politiques totalement divergentes, se côtoient d’une façon étrange sans paraître interférer l’une avec l’autre. L’idée de l’attaque contre l’Iran n’est pas aujourd’hui le seul apanage des néo-conservateurs, par ailleurs en perte de vitesse dans toutes les positions d’influence qu’ils tenaient jusqu’alors. Elle est si peu leur apanage qu’elle est, comme on l’a vu plus haut, évoquée froidement par les sénateurs de la Commission des forces armées, devant le futur secrétaire à la défense, pour lui demander les effets qu’on en pourrait attendre, et surtout craindre. Ce n’est pas le principe de cette attaque qui est discuté, mais les effets. Pour le principe, tout le monde s’accorde pour admettre qu’il reste placé haut sur la liste des options de la politique extérieure des Etats-Unis. («There is only one thing worse than military action and that’s a nuclear-armed Iran», disait le 29 avril dernier, à Bruxelles, le sénateur McCain. Comme le champ des spéculations et des prévisions autour de l’idée d’un Iran devenant puissance nucléaire est vaste, qu’on peut même estimer qu’en cette circonstance l’intention n’est pas loin de valoir l’acte lui-même, on apprécie combien l’action militaire est, dans les temps de la doctrine de frappe préemptive, une possibilité bien réelle et clairement envisagée.)
Le fait extraordinaire de cette situation est la similitude des deux événements : les bruits d’attaque contre l’Iran et l’Iran désigné comme interlocuteur privilégié éventuel d’une tentative de remettre de l’ordre en Irak. Cette cohabitation de deux traitements si complètement opposés, destinés par le même pays au même pays, est une des caractéristiques constantes les plus étonnantes de la politique washingtonienne, et une marque du désordre psychologique qui l’habite. L’explication ne peut être trouvée ni dans des calculs tactiques, ni dans un dessein machiavélique (les interférences entre les deux politiques sont en général négatives et contre-productives). Elle se trouve dans l’approche psychologique américaniste des problèmes envisagés, qui se fait selon un cloisonnement très étanche de la psychologie et en incorporant des facteurs virtualistes manifestes (l’attaque contre l’Iran, même si elle est envisagée comme limitée en raison des moyens réduits des USA, est tout de même basée sur le postulat de la puissance irrésistible des Etats-Unis, sans tenir aucun compte de la moindre leçon des événements en Irak).
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