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1682La mise à pied (démissions forcées) dans une même charrette du chef d’état-major de l’USAF et de l’adjoint au secrétaire à la défense qui le représente dans la hiérarchie du pouvoir civil n’est pas une chose courante à Washington. Au contraire, il s'agit d'un événement inédit, qui mesure la force de la tension à Washington. C’est donc ce qui s’est passé hier, à l’instigation du secrétaire à la défense Robert Gates et de son adjoint direct Gordon England.
England s’est chargé, lors d’un entretien confidentiel suscité sans avertissement, d’expliquer au secrétaire à l’Air Force Michael W. Wynne qu’il était préférable pour lui qu’il s’en aille. Quant au général T. Michael Moseley, on est allé le chercher au cœur d’un exercice de planification stratégique (exercice Corona) pour lui apprendre, ô surprise, qu'il avait l'intention de démissionner. Moseley, qui n'était pas encore au courant, s'est exécuté aussitôt. Ces conditions pressantes ont permis de voir une première apparition des deux hommes annonçant leur départ avec Moseley dans la “tenue de combat” propre aux aviateurs.
Ce “coup de force” contre l’Air Force se déroule dans une atmosphère surréaliste, très “à la soviétique” de fin d’époque. Tout le monde (Gates, le Congrès, l’Air Force, etc.) se félicite d’une même plume, quasiment dans la même phrase, de la qualité exceptionnelle des deux hommes et de leur travail, et de la nécessité péremptoire de leur départ. L’argument mis en avant concerne les incidents graves qui se sont produits ces douze derniers mois dans la manipulation et le contrôle d’armes nucléaires et de systèmes associés (dont l’incident du B-52 emportant des armes nucléaires sans le savoir). Mais il existe une autre appréciation, que nous partageons complètement, qui donne comme argument la mésentente affichée, parfois presque proche de l’insubordination dans le chef de l’Air Force, entre l’USAF et OSD (Office of Secretary of Defense) sur les questions budgétaires et de programmation (l’affaire du F-22, la modernisation de l’USAF), – bref ce que nous désignons comme la “crise de l’USAF”.
C’est notamment ce qu’exprime le site Danger Room en annonçant la mise à pied de la direction de l’USAF, hier, et en laissant entendre que d’autres têtes pourraient tomber:
«Despite reports you may be reading elsewhere, this firing was not about nukes or missiles, well-placed sources say. “Far and away the biggest issue was the budget stuff, not the nuclear stuff. The UAV [unmanned aerial vehicle] fight, the F-22 deal... Gates really didn't appreciate it,” one of those sources tells Danger Room. Now, with the botched missile and nuke shipments, “the SecDef [Secretary of Defense] has good cover to do something that suits him bureaucratically.”
»“The problem seems to be a philosophical difference between Gates and the USAF [U.S. Air Force], not anything to do with nuclear weapons,” another adds. And Moseley and Wynne may not be the last to go. Rumors are swirling of more top-level Air Force officers getting the axe…»
Bien évidemment, il faut placer cet épisode dramatique dans l’appréciation générale que nous faisons sur la montée en tension de la crise du Pentagone. C’est dire que nous n’en resterons pas là dans cette affaire de Gates versus l’USAF.
Par ailleurs, les caractères mêmes de cet affrontement en font un cas spécifique à l’intérieur de la crise générale du Pentagone, où les adversaires peuvent occuper des positions objectivement différentes selon les circonstances. La chose renvoie à la complexité du pouvoir à Washington, à la diversité des groupes d’intérêt, ce qui rend très difficile d’identifier un sens général à partir de tel ou tel événement, et qui rend nécessaire de replacer chaque événement dans le contexte général de la crise. Cette affaire de Gates versus l’USAF a des effets divers et, dans certains cas, la position de l’USAF peut renforcer ceux qui, au Congrès par exemple, veulent affronter le Pentagone. Dans la querelle Gates versus l’USAF, la position de l’USAF est “objectivement” défavorable au JSF, alors que le programme JSF est lui-même une crise spécifique qui fait partie de la crise du Pentagone, qui est par conséquent une cible pour ceux qui attaquent le Pentagone.
Nous ne sommes donc ni au bout de nos surprises, ni au bout de nos complications. L’USAF a, d’une façon générale, une position de défi vis-à-vis de Gates. Cela est remarquable dans le dernier éditorial de Air Force Magazine (juin 2008), bien entendu rédigé avant le départ forcé de la direction de l’USAF. (AFM est l’organe de l’Air Force Association, principal lobby de l’USAF.) C’est une violente attaque contre Gates, parce qu’il s’oppose à certains programmes de l’USAF (dont le F-22), parce que ces programmes n’ont pas leur place dans la “guerre contre la terreur”… Il suffit de citer le premier et le dernier paragraphe de l’édito. On comprend que la perspective du départ prochain de Gates est “le seul point positif de cette affaire” («the sole bright spot in this whole episode»).
«For a person once described as a “gray man” of “rigorous blandness,” Robert M. Gates seems surprisingly eager to take a rather large gamble. The Secretary of Defense is transfixed by the War on Terror. He wants to win it. He would risk future US power to do so.
(…)
»Only the naive believe that we’ve seen the end of major, force-on-force warfare. Luckily, Gates does not have much time left to impose his preferences, given that President Bush is set to leave office in late January. The Secretary will leave his imprint on the next budget, and that will be the extent of it. That is the sole bright spot in this whole episode.»
Mis en ligne le 6 juin 20098 à 08H50
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