Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
2313On peut douter de la capacité à se faire entendre de ceux qui voudraient protéger nos territoires des dégâts que produira inévitablement l'exploitation des gaz de schistes, si ceux-ci se révélaient plus abondants que prévus. Nous sommes en face d'une course à la performance entre ceux qui veulent consommer toujours plus d'hydrocarbures et ceux qui veulent en extraire toujours plus. Aucun mécanisme collectif efficace ne semble pouvoir arrêter cette course, quels que soient les dégâts et risques pouvant en découler.
Le récent rapport de l'agence internationale de l'Energie (voir références ci-dessous) a été accueilli chaleureusement par les promoteurs de l'exploitation des réserves de gaz naturels dont disposerait l'Europe. Les «experts», qui bien évidemment prêchent pour leur paroisse, y font valoir que grâce à l' «indépendance énergétique» procurée aux Etats-Unis par les gaz de schistes, tout un plan de la géopolitique du monde va changer. L'Amérique n'aura plus besoin des pétroles du Moyen-Orient et pourra se désinvestir, y compris militairement, de cette partie du monde où elle accumule les ennemis. Selon l'expression de Raymond Cartier, les sultans arabes n'auront plus qu'à transformer leur pétrole en shampoings. Ne parlons pas de la Russie et de l'Algérie, qui perdront une bonne partie des acheteurs de leur gaz. Par ailleurs, diminuant sa consommation de charbon dont elle est riche, l'Amérique pourra revendre celui-ci à la Chine dont la soif d'énergie est inextinguible et qui se montrera ainsi plus docile. Le Canada bénéficiera des mêmes avantages.
Comme le continent nord-américain est vaste et peu peuplé, peu de populations se plaindront des nuisances provoquées par l'exploitation industrielle des gaz et pétroles de schistes. En fait, les plaintes sont déjà nombreuses, comme le relatent la presse et les réseaux sociaux, mais elles émanent de gens ayant peu de pouvoir et qui ne sont pas politiquement audibles. Les réserves étant apparemment considérables, l'avenir de l'exploitation et celui de la nouvelle puissance américaine paraîssent assurés pour de longues années.
Quant aux Verts américains qui s'inquièteront de la production de nouveaux tonnages de gaz à effet de serre, la réponse est déjà toute prête: compte tenu des limites imposées de facto à l'augmentation de la production des énergies vertes et à celle des économies d'énergie, les besoins en énergies fossiles mondiaux demeurent considérables. L'Amérique du Nord serait suicidaire si elle n'exploitait pas à fond le nouvel atout dont elle se trouve dotée (par Dieu, of course). Tant pis pour le réchauffement.
Il ne faut pas être grand devin pour comprendre que nous sommes là en face d'un mécanisme déterministe s'imposant aux sociétés industrielles en compétition, malgré les résistances individuelles. Dans le langage utilisé sur ce site, l'on pourrait parler d'un méga-processus anthropotechnique qui ne serait pas contrôlable par des décisions volontaires, ceci pour une raison simple: il ne se trouvera pas de volontés assez fortes politiquement pour s'y opposer, face à la conjonction des intérêts agissant en sens contraire. Les éventuelles manifestations d'activistes n'y changeront rien.
Si nous appliquions ce postulat – que certains optimistes refuseront sans doute, en lui reprochant de faire le jeu des pétroliers. – à la situation européenne, les conclusions en seraient simples. A supposer que l'Europe dispose de réserves significatives en hydrocarbures de schistes, rien n'empêchera gouvernements et industriels de les exploiter, quels que soient les dommages à terme ou même immédiats pouvant en résulter. Les insatiables consommateurs d'énergie que nous sommes leur en seront reconnaissants. Les victimes de ces exploitations pourront tout au plus être admis à faire valoir des droits à indemnisation.
Il en sera de même en France. Les esprits attardés pourront y dire adieu à la paix de nos campagnes, car nul n'écoutera leurs plaintes. On verra en eux les derniers résistants d'un mode de vie qui a déjà changé.
Jean-Paul Baquiast
Source : “North America leads shift in global energy balance, IEA says in latest World Energy Outlook”, Novembre 2012.