Gaza divise l’Amérique (et les Juifs US)

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Gaza divise l’Amérique (et les Juifs US)

Un point important de la crise de Gaza, c’est l’impact très fort de l’événement dans le public US. Les deux tendances, pro-israélienne et pro-palestinienne, s’affrontent avec une réelle violence verbale et de comportement, à propos d’une crise où, pourtant, les autorités US restent en retrait. (Les votes de soutien automatique à Israël, de la Chambre et du Sénat, par des majorités type-Politburo des temps staliniens, relèvent d’une diplomatie pavlovienne. Il s’agit du degré zéro de la réflexion politique, quelle que soit la position qu’on prenne sur la crise. Même les partisans d’Israël, nous parlons des partisans éclairés, devraient déplorer grandement cette dérisoire caricature du système démocratique qui ne fait qu’abaisser leur cause. Point final sur ce cas.)

Brian Till, sur le site The Washington Note, relève, ce 12 janvier 2009, cette implication de l’opinion publique US dans la crise…

«The U.S. feels surprisingly intertwined with the current conflict in the Levant – especially given the lack weight our own two wars often bring to bear. Protests in New York, Boston and Washington; counter protests to anti-Semitic vandalism in Chicago; in San Francisco Palestinians and Israelis protesting together, and in Los Angeles Mayor Antonio Villaraigosa becoming embroiled.

»Both sides of the heated conflict – those vehemently pro-Israeli and those more sympathetic to Palestinian views – seem anxious to find out where the next president will fall on the issue come January 20th.

»Lost in the chaos, though, seems to be the extent to which this clash is also America's, a fact outlined in Marzook's argument. American bombs, American planes, and American idleness, all lead rage in the Muslim world to be directed at the far enemy in addition to Israel. As Lawrence Wright often remarks, “if the Israeli-Palestinian crisis were resolved tomorrow,” bin Laden “would be heartbroken.” The conflict remains his bread and butter.»

La référence de Till à Marzook concerne un texte de commentaire du dirigeant du Hamas en exil en Syrie, publié le 6 janvier 2009 dans le Los Angeles Times. Le texte observait notamment combien, pour les Palestiniens, l’action des Israéliens est implicitement perçue comme une action des USA, et combien, par conséquent, ces mêmes Palestiniens attendent l’implication du président Obama dans leur drame, à compter du 20 janvier: «But now, amid Israel's latest attack on our people, as the death toll rises in the hundreds, with thousands wounded – all victims of American taxpayers' largesse – Palestinians wonder how Obama will react to the escalating crisis. They demand of the next White House a new paradigm of respect and accountability, because when Palestinians see an F-16 with the Star of David painted on its tail, they see America.» Ces observations rencontrent la remarque de Brian Till sur les liens entre les milieux israéliens militaires et industriels, et le Pentagon et, au-delà, l’industrie d’armement US: «It's difficult to think about this bitter fight without pondering the role of American war machines, and thus the American military complex.»

Les réactions des lecteurs du LA Times mesurent la force de l’impact de la crise dans le public US. (356 commentaires pour ce texte, un record; l’afflux des réactions a conduit le journal à fermer la rubrique.) Ces réactions sont extrêmement violentes, notamment celles qui accusent le LA Times d’avoir ouvert ses colonnes à un terroriste, manifestement indigne d’avoir vu le jour, et identifié au Diable soi-même.

Un autre texte, du 10 janvier 2009, du San Francisco Chronicle décrit combien la crise de Gaza divise également la communauté juive US, sans doute dans une mesure qui n’a pas de précédent.

«As war rages between Israel and Hamas in Gaza, and President-elect Barack Obama counts down the days until he has to deal directly with the conflict as the leader of the free world, a war to control the message is raging at home. And it's unusually fierce. This week, some jarring events made headlines and illustrated the nature of that war:

»– Hugely popular comedian Jon Stewart, who is Jewish – birth name, Jonathan Stuart Leibowitz – was lauded by the Muslim Public Affairs Council this week for a scathing ‘Daily Show’ segment entitled, “Israel Invades Gaza ... Missile Tov!” The Comedy Central host, noting that rockets lobbed from Hamas into Israel are not new, posed the question, “Why does Israel feel that they have to react so strongly right now?” Answer: the Obama inauguration. “I get it. ... Israel gets their bombing in before the Jan. 20 ‘hope and change’ deadline ... it's like a civilian carnage Toyota-thon!” he said to roars of approval from his audience.

» – In San Francisco, Jewish protesters joined pro-Palestinian forces this week as hundreds gathered outside the Israeli consulate to make their voices heard, some carrying signs saying “Gaza = Warsaw Ghetto.” Among them was Jack Fertig - known to many in town as performance artist Sister Boom Boom - who said, “I'm descended from Holocaust victims, and we need to identify with the oppressed, not imitate the oppressors.”»

L’article observe que l’opposition à l’action d’Israël à Gaza, et à la politique militariste d'Israël, est maintenant significative dans la communauté juive US. Des groupes de cette orientation se sont formés ces dernières années sous la forme classique US de lobbies et de groupes d’influence; la période de tension actuelle montre que leur influence est désormais importante et sans aucun doute significative. «[I]ncreasingly, growing progressive Jewish political action groups like Americans for Peace Now and the J-Street Project – with energetic fundraising and activism – have begun to serve as an alternative voice to the group that has long held center stage as the powerful pro-Israel lobby, the American Israel Public Affairs Committee. “They're saying we can be pro-Israel, and we can criticize Israel. It's not cut and dried,” [Journalist Ron Kampeas, bureau chief of the Jewish Telegraphic Agency in Washington, D.C.] said of groups like J Street, which appeal to an increasing number of American Jews who have been concerned about the wide-ranging impact of the Gaza escalation.» A côté de cette opposition modérée, on trouve même une opposition juive US plus radicale, considérant Israël comme un “Etat-terroriste”.

Cette situation aux USA, par rapport à la crise de Gaza et en-dehors de la ligne officielle washingtonienne à la fois inexistante et/ou pavlovienne, constitue un fait politique important. La réaction publique est à la mesure inverse de l’absence de réaction officielle sérieuse, et cela constitue un événement singulier et remarquable. Dans ce pays au conformisme très grand, une politique officielle active, même pro-israélienne à 100%, tend à contenir une partie des réactions publiques, ou à les faire considérer comme “dissidentes” lorsqu'elles sont opposées à cette politique officielle; l'absence de politique officielle, au contraire, tend à donner un certain statut, disons semi-officiel, aux réactions populaires.

On peut avancer l’hypothèse que c’est justement le vide officiel, cantonnant effectivement l’attitude politique de Washington à des automatismes indignes, qui ouvre le champ à ces réactions populaires qui ne sont pas sans effet structurant puisque des associations qui commencent à avoir de l’importance affirment à cette occasion leur présence et leur poids (les associations juives critiques d’Israël J-Street Project et Americans for Peace Now). Un mouvement d’opinion structuré, avec des relais efficaces vers Washington et une forte participation de la communauté juive, commence ainsi à se mettre en place. Il pourrait constituer une base d’influence qui, à son tour, pourrait faire sentir ses effets au niveau politique; cet effet pourrait également se manifester assez rapidement, à la faveur du changement de pouvoir, et encore plus rapidement bien sûr si l’attaque israélienne se poursuit avec la violence qu’on lui voit.

Les dirigeants israéliens se sont toujours appuyés sur leur énorme influence à Washington, pour conduire leur politique. Ils tiennent cette influence pour acquise, s’en tenant aux prises de position conformes actuelles. Mais peut-être ne voient-ils pas le changement qui est en train de s'opérer, notamment avec ses effets sur les structures d’influence en voie de modification. De ce point de vue, s’il se confirme que le vide du pouvoir à Washington a favorisé l’émergence de ce tissu d’influence, leur intervention à Gaza pendant la transition politique, qu’elle soit l’effet d’un choix délibéré ou d’un choix de circonstance, si elle semble profiter d’une situation avantageuse pour l’instant, aurait sur un terme à peine plus long des effets très désavantageux pour eux.


Mis en ligne le 13 janvier 2009 à 12H27